Surnommée “la dame à la lampe” parce qu’elle faisait des rondes la nuit pour réconforter les soldats blessés au 19e siècle, Florence Nightingale est célèbre pour ses apports envers la profession d’infirmière et le fonctionnement des institutions de soins. Son histoire comporte cependant sa part d’ombre, en lien avec la colonisation de la Nouvelle-Zélande, qu’elle a largement soutenue.

Florence naît en 1820 dans la ville italienne du même nom, d’une famille britannique aisée. Baignée dans un milieu familial très croyant, elle dira avoir été appelée par Dieu pour se mettre au service de ses semblables. Pendant sa jeunesse et le début de la vie adulte, elle visite un grand nombre d’hôpitaux et lit de nombreux ouvrages sur la santé publique. À l’aube des années 1850, elle effectue un stage de trois mois dans un hôpital géré par un ordre de religieuses près de Düsseldorf.

Après cette expérience, Florence est plus que jamais déterminée à s’engager dans la professionnalisation et la structuration des soins aux malades. Elle effectue des stages en milieu hospitalier à Paris. Dans la foulée, elle occupe le poste de surintendante dans un institut de soins pour riches dames malades à Londres. À cette période, elle se plonge dans la récolte et l’analyse de statistiques. Le constat d’un taux de mortalité plus élevé à l’hôpital qu’à domicile la convainc de la nécessité de revoir la construction et le fonctionnement des services de soins. Elle devient une véritable spécialiste de la question.

Sa renommée grandissante l’amène à organiser elle-même ou à conseiller l’aménagement des soins aux blessés lors de la guerre de Crimée dans les années 1850, puis celle de Sécession une dizaine d’années plus tard. En parallèle, elle met sur pied en Angleterre deux écoles de formation à la profession d’infirmière. L’apprentissage y est réalisé au moyen de connaissances scientifiques, d’ouvrages écrits, de stages, de matériel médical. Ces écoles, élitistes, s’adressent aux femmes de milieu aisé qui savent déjà lire et écrire. Les diplômées sont encouragées à partager les savoirs acquis en formant à leur tour d’autres femmes, en Angleterre et ailleurs dans le monde.

Progresser oui, mais pas trop tout de même…

Florence milite pour une reconnaissance des infirmières à leur juste valeur, en tant que véritables professionnelles de la santé dont les compétences doivent être valorisées par un salaire décent. Toutefois, dans un discours1 adressé aux étudiantes d’une de ses écoles, elle insiste sur l’importance qu’elles gardent leur « place de femme » auprès des patient·e·s et des médecins. Elle met en avant la « nécessité » pour les infirmières d’incarner le calme et la douceur, de n’être jamais « noisy » (bruyante) ou « self-asserting » (dans l’affirmation de soi, faire valoir son point de vue). Mieux vaut-il que les infirmières fassent preuve de bonté que d’intelligence, dit-elle… Cette déclaration, pas très surprenante pour l’époque, l’est néanmoins au regard de son ouvrage « Cassandre » dans lequel elle protestait contre le manque d’autonomie des femmes et leur subordination aux hommes. Livre qui, pour ces arguments, a marqué le féminisme de son époque.

Florence Nightingale s’éteint le 13 août 1910, après avoir longtemps souffert de ce que l’on qualifierait aujourd’hui de fibromyalgie, c’est-à-dire un mélange de douleurs

Une glorification aveugle au racisme et au colonialisme

À l’occasion de l’anniversaire des 200 ans de sa naissance, l’OMS a désigné l’an 2020 comme année internationale de l’infirmière et de la sage-femme. L’association des infirmières de Nouvelle-Zélande a refusé de prendre part à cette célébration, en raison des propos et attitudes racistes et colonialistes de Florence Nightingale.

Elle a soutenu de près l’installation des Européens en Nouvelle-Zélande et leur emprise sur la population maorie qui occupait déjà les lieux. Selon Nightingale, c’était une bonne chose de leur imposer la civilisation chrétienne, car elle voyait ces peuples indigènes comme des êtres inférieurs, barbares et incapables de prendre soin d’eux. La population maorie souffrait des maladies importées d’Europe mais Nightingale considérait que le déclin des Maoris était surtout dû à la faiblesse et aux mauvaises habitudes de celles-ci·ceux-ci, en comparaison à la « nature supérieure » des Européens.

Encore aujourd’hui, le peuple maori souffre des effets de la colonisation et de la glorification aveugle entourant Florence Nightingale. Sa vision blanche et paternaliste des soins infirmiers impacte toujours le système de santé néo-zélandais. Les savoirs traditionnels et les manières d’être des infirmières indigènes ont dès lors été et continuent d’être reniés.

Ces aspects de l’histoire de Nightingale et le douloureux héritage qu’elle laisse pour certain·e·s sont rarement évoqués2. Cet exemple illustre la pertinence d’aborder les figures et récits historiques avec un regard critique. Dénoncer notamment le racisme et le colonialisme du passé est un premier pas pour les reconnaître et les combattre dans leurs formes actuelles.