Qu’elles pratiquent un peu, beaucoup ou pas du tout, des femmes nous racontent leur relation avec le monde sportif.

ALICE, journaliste sportive

J’ai la chance de travailler à la RTBF, depuis 8 ans. En tant que service public ça leur tient vraiment à coeur d’aborder la place des femmes dans le sport féminin. Il y a aussi des quotas mis en place. Le sexisme n’est pas particulièrement présent dans ma rédaction. Il faut par contre très vite baliser et montrer son caractère, ne pas se laisser faire. En tant que femme, on doit travailler 5X plus dur pour gagner en crédibilité et en reconnaissance.

C’est surtout sur le terrain que ça pose problème. Le public a parfois du mal à considérer qu’une femme est crédible en parlant de sport. Il y a aussi des commentaires déplacés auxquels on est confronté tout le temps. A la longue, c’est fatiguant.
Récemment, j’ai réalisé un reportage radio sur le padel. Rien qu’en entrant dans le club, j’ai senti que ça n’allait pas être facile. Un homme d’une cinquantaine d’années m’a dit « Une femme qui rentre, ça va être intéressant, j’allais pisser mais je vais rester ». J’ai essayé de lui répondre calmement mais par la suite, il était hostile.

J’ai vu un groupe à l’extérieur et je décide d’interviewer un homme. Pendant et après l’entretien, ce groupe essaie de me mettre une bière dans les mains… Ils sont insistants. J’ai répondu que j’avais encore du travail et que je devais passer toute la nuit en rédaction. Le gars que j’ai interviewé m’a dit « ah mais si vous voulez, moi je peux passer la nuit avec vous ».
Je suis restée dans ce club pendant 20 minutes et les commentaires n’ont pas arrêté de fuser. J’ai par la suite publié un message sur Instagram pour exprimer ma colère, rappeler aux gens que c’est mon quotidien et que c’est épuisant.
L’effet de groupe joue sans doute. C’est dommage parce que c’est souvent ce qu’un journaliste préfère, rencontrer les gens, être sur le terrain. Je ne me maquille plus et ne lave plus forcément mes cheveux quand je me rends sur le terrain pour être un peu plus tranquille… mais même comme ça, je suis une fille seule avec un micro donc on se dit qu’on peut venir m’emmerder.
Il faut vraiment éduquer le public. J’aimerais bien parfois aller dans un club de sport, être tranquille et pouvoir juste faire mon boulot.

EMILIA, joueuse de touch rugby

J’ai commencé à jouer il y a presque 5 ans, dans une équipe mixte. C’est un sport beaucoup plus soft que le rugby classique car on évite au maximum le contact physique.

Lorsque je pratique un sport, j’ai besoin de me défouler et le touch est parfait pour ça. En plus, le fait d’être dehors par tous les temps est un vrai plaisir pour moi. J’aime aussi l’idée d’un sport mixte car je peux le pratiquer avec mon copain, c’est un vrai plus.
C’est la première fois que je pratique un sport mixte et en mixité. Il y a un réel esprit collectif, on est tous ensemble. Sur le terrain, en général, il y a des postes plutôt attribués aux hommes et d’autres plus aux femmes même s’il n’y a pas de règles prédéfinies à ce propos. On essaie surtout d’exploiter les forces respectives de chacun·e. Avec mon club on fait quelques tournois à droite à gauche. Parfois je rejoins même d’autres équipes. C’est vraiment une pratique dans l’esprit touch !

J’ai évolué deux ans dans le club puis j’ai participé à la coupe d’Europe avec une équipe exclusivement féminine. Le fait de jouer juste avec des filles est très différent, ça nous laissait beaucoup plus d’occasion de marquer, on n’a pas cette sensation de risquer d’être entravée par les mecs.

Il y a pas mal d’équipes dans de nombreux pays mais pour aller dans de grandes compétitions (européennes et internationales), il faut voir si le pays et les joueurs veulent payer pour y aller. Il y a donc pas mal de pays qui n’ont pas l’ambition de jouer au niveau international, surtout qu’on affronte de très grosses équipes. Cette année le mondial a lieu à Nottingham donc on s’entraîne à fond. On va affronter l’Australie, la meilleure équipe au monde !

JULIE, sportive non-pratiquante

J’ai été sportive toute ma vie et très tôt sensibilisée à la pratique ainsi qu’à ses bienfaits. Quand j’étais enfant, c’était purement pour le fun et l’esprit d’équipe, une occasion de me défouler et d’expérimenter des activités. À l’adolescence, j’ai eu d’autres préoccupations. L’équipe de volley dans laquelle je jouais a été renouvelée car la plupart des filles sont parties. C’est aussi à cette époque que j’ai pris conscience de mon corps dans l’espace, de la façon dont je bougeais. Mes tenues sportives devaient bien me galber, on était aussi mises en concurrence. Le côté fun de la pratique a un peu disparu.

De mes 15 ans à mes 20 ans environ, je n’ai plus fait de sport du tout. J’ai repris le sport à 20 ans avec pour objectif de remodeler mon corps, de mincir. Je m’abonnais à des applications sportives chères pour avoir un corps dans les normes. C’était un programme à domicile de renforcement musculaire. Ce n’était pas du tout stimulant ou agréable, et je faisais ça pour de mauvaises raisons. À partir de ce moment-là, le sport est devenu une corvée, une injonction et j’avais un regard destructeur sur mon corps.

Grâce à mon militantisme féministe, je me suis rendu compte que les discours derrière le sport féminin sont hyper toxiques. J’ai alors fait le choix d’arrêter le sport. La non-pratique sportive est pour moi quelque chose de politique. C’est boycotter une vision du sport encore très normalisante et oppressante pour beaucoup de personnes. Le sport est représenté toujours de la même façon avec les mêmes pratiques, les mêmes uniformes… alors que plein de personnes ne rentrent pas dans ces normes. Près de chez moi il y a un Basic Fit entièrement féminin. Mais même dans des lieux non-mixtes, il y a des discriminations. Les facteurs qui te déterminent socialement (race, classe sociale, handicap) peuvent être aussi des obstacles et on ne s’en rend pas compte.

Aujourd’hui j’ai une vision plus positive du sport. Mais mon propre regard est encore imprégné de cette pression. J’ai peur de reprendre le sport pour de mauvaises raisons. Je suis donc dans la non-pratique jusqu’à trouver quelque chose qui me corresponde. Si le sport ne représentait pas une injonction, j’adorerais en faire. Mais pour l’instant je n’ai pas trouvé de cadre adéquat.

MURIEL, devenue prof de sport à 57 ans

J’ai toujours été sportive mais avec l’arrivée des enfants, j’ai dû réduire ma pratique. Quand mes enfants ont été plus grands et autonomes, j’ai repris le fitness le samedi matin. Par la suite, on m’a proposé une formation pour devenir éducatrice sportive en parallèle de mon activité professionnelle.

Pendant un an je me suis formée pendant les week-end et les vacances scolaires. J’étais la plus âgée du groupe car j’ai commencé à 56 ans. Depuis, je donne des cours de fitness dans l’association de ma commune. Comme je suis à présent retraitée, je peux me consacrer davantage à cette activité. Je donne cours à des personnes de 15 à 89 ans. J’essaie de m’adapter aux besoins, niveaux, envies musicales de chacun et chacune. Avec les personnes plus âgées, j’essaie aussi de travailler la mémoire, la coordination motrice, la concentration, l’équilibre. C’est un moment de convivialité, où les gens aiment échanger, parler de leurs petits soucis et de leurs joies.
J’adore cette fonction, j’y prends beaucoup de plaisir et j’aime énormément pratiquer. Avant d’être retraitée, je travaillais dans le social. Cette fonction me permet de continuer à accompagner les gens, de leur donner du bonheur mais d’une autre façon.
J’encourage toutes les personnes qui en ont la possibilité, en fonction de leur disponibilité, à pratiquer une activité sportive quel que soit leur âge, leur niveau sportif et leur état de santé, car tout est adaptable ! Ça apporte beaucoup de choses, ça entretient notamment le lien social car on y fait beaucoup de rencontres. Et lorsqu’on fait du sport, on oublie ses petits soucis.

CÉCILE, EMILIE, FANNY, KATIA, MARIE, MATHILDE, MERCO,
membres de Gyn Tonic (club sportif autogéré par et pour des femmes et des personnes trans)

Gyn Tonic a été créé en 2012 avec plusieurs ami·e·s, on voulait se remettre en forme, se sentir bien dans nos corps, pas forcément normés. En respectant nos limites et sans se sentir jugé·e·s, comme ça peut parfois arriver dans une salle de sport. Et puis le groupe a grandi, chaque nouvelle personne étant invitée par une autre, et maintenant on a environ 70 participant·e·s régulier·e·s.
Depuis le début, nos piliers c’est la sociabilité, la gratuité, l’humour et la non-compétition. On défend aussi une certaine notion de safe place, et on déconstruit la figure du « coach », pour progresser en s’amusant d’abord. Un de nos anciens slogans (NB : on n’encourage pas à la boisson) c’est : « Non à l’oppression, oui à la bière pression ! »

En tant que groupe majoritairement féminin, on doit parfois défendre notre espace, que ce soit sur les terrains de sport en extérieur, ou même dans la salle que l’on réserve, car il y a souvent des groupes d’hommes qui envahissent notre terrain. On aimerait ne pas avoir à faire ça, mais la force du collectif fait que l’on tient notre place.

On s’entraine chaque mercredi, on a un échauffement collectif où par exemple on prépare nos chevilles en écrasant le patriarcat ! Puis on se sépare en deux groupes :

basket et renforcement musculaire. Et tout cela cohabite joyeusement, on s’ajuste en partageant un seul terrain. On organise aussi des initiations à d’autres sports et puis des activités ponctuelles (foot, randonnée). On mange souvent ensemble après l’entrainement, ça fait partie du fun, et ça renforce les liens ! Un autre moment fort c’est quand on part à l’étranger participer à des tournois, comme la Dussel-Cup à Düsseldorf ou le Panteresport à Barcelone.

On est maintenant une asbl et on reçoit le soutien de la Ville de Bruxelles pour la location de notre salle et les tournois. Et pour financer les voyages et les assurances sans que ça pèse sur les membres, on organise des soirées de soutien festives. Pour toujours allier l’utile à l’agréable ! C’est aussi ça qui fait le succès et la longévité de notre club.

Elise Voillot
Elise VoillotAutrice
Delphine von Kaatz
Delphine von KaatzAutrice