Aurore Kesch est passée d’animatrice et de responsable régionale adjointe à « présidente » de l’ASBL Vie Féminine. June et Laura sont les responsables de la collective «Les Sous-Entendu·e·s». Ces deux structures ont une histoire et des parcours bien différents. Pourtant, leurs similitudes sont tout aussi évidentes. Nous les avons rencontrées, chacune de leur côté, pour qu’elles nous parlent des luttes féministes qui les animent.
Les Sous-Entendu·e·s
Dans un contexte sociétal plus ouvert que jamais aux questions d’inclusivité et de genre, mais aussi en proie à de nombreux retours de bâton et violences, comment votre collective se mobilise-t-elle aujourd’hui ?
La dualité que l’on retrouve entre avancées et retours de bâton se perçoit aussi dans la manière dont notre collective se mobilise.
Le fondement même de notre collective est de militer par la joie. Célébrer les victoires, sensibiliser par le rire, créer, se former, partager… Mais, depuis 2020, l’état d’urgence est devenu tel que la collective se positionne aussi en porte-voix des personnes sexisées [1] et en lanceuse d’alerte dans le cadre des violences sexistes et sexuelles.
Notre but est de mettre en évidence l’intersection des oppressions liées au genre, à la race (sociale bien sûr) et à la classe sociale. L’objectif est de replacer le féminisme dans une perspective accessible, égalitaire, inclusive. En bref, « On se lève et on se bat ! », et la plupart du temps, dans la joie.
Face à des courants et des revendications différentes, comment parvenir à faire front commun avec les autres structures militantes ?
Pour nous, le terme « féminismes » s’utilise au pluriel. Notre société est plurielle, et les féminismes, à l’image de celle-ci, doivent pouvoir représenter toutes les personnes subissant des violences liées au genre. Il n’y a pas un « bon » féminisme à nos yeux, mais plusieurs pensées et courants qui se croisent et se répondent.
Tant le monde politique que les médias utilisent la technique du « diviser pour mieux régner » pour ne pas permettre la convergence de nos luttes. Nous avons décidé, entre autres pour contrer cela, d’organiser des apéros-rencontres entre militant·e·s pour pouvoir recréer du lien, s’organiser, se fédérer.
On parle souvent de « minorités » oppressées, mais si on regarde vraiment les chiffres, les personnes qu’on appelle « minorités » ne le sont absolument pas. En revanche elles sont minorisées par une frange dominante qui refuse de reculer sur ses privilèges. L’utilisation de ce terme sert également les (dys)fonctionnements de la société qu’on nous impose. Les oppressions de notre société ont des rouages bien ancrés pour immobiliser toutes autres propositions de société.
Mais nous ne doutons pas que les modèles de société que nous proposons finiront par prendre le dessus. La déconstruction de ces schémas de société commence par la prise de conscience que tout un·e chacun·e, nous sommes à la fois oppresseuses·eurs et oppressé·e·s. Passer par une remise en question de ses privilèges est inévitable.
Quels sont, pour votre structure, les enjeux de demain en matière de féminisme ?
Les enjeux de demain en matière de féminisme sont les mêmes qu’au niveau global de notre société. Le système oppressif patriarcal utilise les mêmes codes que tous les systèmes d’oppression : privilégier le confort d’une minorité au détriment d’une majorité. Pour notre collective, les enjeux de demain sont la convergence durable et réelle des luttes.
Cette citation d’Audre Lorde nous semble parfaite pour appuyer nos propos : « Je ne suis pas libre tant qu’une femme reste prisonnière, même si ses chaines sont différentes des miennes ».
Levons-nous, ensemble. La société civile a le pouvoir de faire changer les choses. Battons-nous, ensemble, et pas au fil des actualités choquantes que les médias nous proposent pour 24 h, mais de manière organisée, sincère et durable. Arrêtons de laisser dire ou faire lorsque nous sommes témoins d’actes que nous jugeons inacceptables. Redéfinissons la norme.
Vie Féminine
Dans un contexte sociétal plus ouvert que jamais aux questions d’inclusivité et de genre, mais aussi en proie à de nombreux retours de bâton et violences, comment votre association se mobilise-t-elle aujourd’hui ?
Notre travail politique est avant tout de terrain. On va permettre aux femmes les plus fragilisées, celles qu’on n’entend pas, qu’on ne voit pas, de s’exprimer. On écoute, on renforce, on crée des endroits où les vécus individuels peuvent faire collectif et où les femmes peuvent prendre conscience du système dans lequel elles vivent. On constate que les femmes subissent des violences spécifiques, intersectionnelles. C’est important pour nous que la parole se libère. C’est la raison pour laquelle on réalise des activités en non-mixité. On ne vise pas un monde non-mixte. On lutte contre une société pensée par et pour les hommes.
On nous fait croire que les systèmes capitaliste et patriarcal sont immuables. On veut montrer que les paradigmes peuvent être renversés. Montrer aux femmes que ce qu’elles vivent est politique. On va ensuite œuvrer pour rendre le monde plus juste en travaillant sur tous les freins qui limitent les femmes.
Face à des courants et des revendications différentes, comment parvenir à faire front avec les autres structures militantes ?
Je pense que l’égalité femmes-hommes est le moteur de toutes nos structures. Lors de la démission de Sarah Schlitz [Secrétaire d’État à l’Égalité des Chances NDLR.], on a rédigé une carte blanche, en la proposant à la signature du plus grand nombre d’associations féministes possible. On voulait montrer qu’à chaque crise, les droits des femmes sont menacés. Sur cette question-là, je pense qu’on peut clairement faire front commun. Tu peux ne pas être d’accord, mais pourtant réussir à manifester derrière une bannière commune.
Il existe des dissensions au sein de certains courants féministes. On ne poursuit pas toujours les mêmes priorités et on ne cible pas toujours les mêmes publics. Pour travailler avec les autres, il est important de savoir qui on est, comment on doit et on peut s’impliquer.
Au-delà de la diversité, il ne faut pas se laisser diviser. Les désaccords ne doivent pas nous empêcher de travailler ensemble. Faire front commun c’est à contre-courant de notre société. Les solidarités, ça n’a rien de naturel, c’est le fruit d’une attention et d’une volonté.
Quels sont, pour votre structure, les enjeux de demain en matière de féminisme ?
Pour moi, la division sexuée du travail est une question importante. La production qui rapporte, qui permet d’investir l’espace public et de garantir son autonomie, se retrouve plutôt massivement aux mains des hommes. Et ce qui est de l’ordre du domestique et du soin est plutôt pour les femmes. Celles-ci travaillent pour le compte de tou·te·s Et ce n’est vraiment valorisé ni dans la sphère intime ni dans la sphère professionnelle. Partout, on fait tourner le monde et ce n’est pas reconnu. Les femmes elles-mêmes parfois ne voient pas ces inégalités. Souvent les jeunes filles pensent déjà très tôt que leur salaire ne sera pas le salaire principal. On crée un environnement qui laisse des jeunes filles penser ça et qu’elles ne sont là que pour faire des enfants.
Chez Vie Féminine on défend aussi une société du soin partagé. On se pose des questions en matière d’environnement. On est sensible à ces questions, mais on veut des alternatives où la charge mentale des femmes n’est pas exacerbée.
Il faut se forger une représentation du monde qui est autre que celui dans lequel on vit. Les femmes les plus impactées par les discriminations multiples n’arrivent souvent pas à imaginer le monde autrement. Tu ne te projettes pas ailleurs, car tu n’imagines pas que cet ailleurs existe. Ce changement de perspective, ces décodeurs à mettre en place, c’est vraiment notre plus grosse mission. Ça passe notamment par la lutte contre les stéréotypes et les préjugés sexistes qui sont partout dans notre société. Ce sont eux qui maintiennent des représentations qui enferment les femmes dans des rôles très limitants et qui entretiennent l’idée que les femmes doivent être silenciées, invisibilisées. C’est une vraie arme dans une société patriarcale.
[1] Terme qui désigne les personnes qui subissent des discriminations liées à leur genre ou à leur sexe.