De février à décembre 2022, Esenca (anciennement ASPH — Association Socialiste de la Personne Handicapée) a mené une recherche participative sur les besoins non rencontrés des personnes de moins de 65 ans diagnostiquées d’une maladie neurodégénérative. Une première pour notre association. Notre volonté était d’avoir l’approche la plus ancrée possible sur les réalités de terrain, ce que la recherche participative permet. Retour sur un projet dont la méthode pourrait inspirer !
Un sujet essentiel à traiter
Le Collectif Auguste, qui a participé à l’ensemble du processus, nous a contacté afin de décrier les situations complexes vécues par les personnes concernées par les maladies neurodégénératives et leurs proches. Ces situations sont sous-estimées et mal connues, car encore fort stigmatisées (« Alzheimer ? Ça ne concerne que les personnes âgées »). Les modèles actuels ne permettent pas de rencontrer les réalités vécues par les personnes jeunes diagnostiquées. Ces dernières sont isolées et délaissées des intérêts publics. Cela d’autant plus du côté francophone de notre pays où aucune recherche, aucune statistique n’existe et aucun groupe de professionnel·le·s ou de patient·e·s ne dispose de moyens suffisants pour pouvoir entreprendre ce travail. Ceci explique notamment le manque de politiques publiques en la matière. Les personnes concernées doivent dès lors trouver des solutions par elles-mêmes avec, pour conséquences, de puiser dans leurs propres ressources. Cela provoque indéniablement des inégalités.
Esenca travaille depuis de nombreuses années à la reconnaissance des situations de handicap invisible, dont les troubles cognitifs. Notre mission est de veiller à une société plus inclusive, de défendre les intérêts des personnes en situation de handicap quel qu’il soit, de ne laisser personne de côté en réduisant toutes formes d’inégalités et s’assurer d’obtenir le droit pour tou∙te∙s à une offre de soins de qualité et adaptée. Notre rôle était donc de nous emparer de cette question cruciale à travers cette recherche participative.
Une recherche mouvante
La recherche participative devait s’ajuster en permanence pour être au plus près des expériences de vie des personnes concernées. Elle a été notamment structurée par une charte de travail qui balise les travaux, mais aussi par une étude approfondie d’éléments méthodologiques qui accompagnent sa bonne réalisation.
La recherche est un outil à disposition de ces réalités, ce qui lui donne tout son sens. À ce titre, les personnes concernées sont les premières à s’approprier la recherche et à constituer le groupe de travail pour la construire de manière autodéterminée, équilibrée en fonction des possibilités de chacun·e. La pilote de la recherche, Mélanie, chargée d’études et de projets chez Esenca, se place au même niveau de connaissance que les autres partenaires et devient une facilitatrice qui optimalise le travail. Son rôle est de coordonner le travail et les rencontres ; de maintenir le fil conducteur et les objectifs ; de mettre tous les moyens possibles à disposition des participant·e·s ; de mobiliser et soutenir les forces et ressources des participant·e·s ; de s’occuper du réseautage et de la coopération dans une logique de co-construction en s’assurant de l’égalité entre tou∙te∙s les participant·e·s dans une démarche dynamique. Cette co-construction permet de s’assurer que le travail mené à du sens et servira.
Des vécus individuels qui révèlent des manquements sociétaux
Une enquête construite par le groupe de travail a été diffusée afin de récolter les besoins des personnes concernées. Les expériences des personnes jeunes diagnostiquées et de leurs proches ont mis en évidence qu’un nombre important des besoins émis par ces dernières, une fois le diagnostic posé, n’étaient pas rencontrés. De nombreux besoins, parfois transversaux, parfois spécifiques, apparaissent dans différents secteurs de vie (logement, soins de santé, transport, finances, etc.).
Parallèlement, les ressources, les services, les accompagnements mis en place par l’État et les entités fédérées sont trop peu nombreuses∙eux et trop peu adapté∙e∙s pour répondre à ces besoins. Afin d’agir sur base de ces constats, le groupe de travail de la recherche participative a décidé, dans un premier temps, de répertorier les besoins de cette population spécifique une fois le diagnostic posé. Pour y parvenir, une enquête a été menée auprès de la population cible. Les besoins récoltés via l’enquête ont été mis en regard des solutions apportées actuellement dans notre pays. Cette analyse a permis de mettre en évidence que peu de solutions existent en Belgique francophone et qu’une grande majorité des initiatives et travaux réalisés se trouvent en Flandre et aux Pays-Bas.
Aboutir à des revendications
Le groupe a dès lors décidé de réunir les manques entre les besoins et les solutions existantes au sein d’un cahier de revendications à destination de différents partenaires (politiques, corps médical, administrations, institutions de soins de santé, institutions publiques régionales, etc.). Ainsi, chacun et chacune peut avoir à disposition un outil et prendre sa part de responsabilités dans les solutions à apporter aux besoins actuellement non rencontrés de ces personnes, ce qui bénéficierait directement à un grand collectif de personnes diagnostiquées et à leurs proches.
RENCONTRE AVEC MÉLANIE DE SCHEPPER, PILOTE DE CETTE RECHERCHE PARTICIPATIVE.
Mélanie, tu as piloté cette recherche. Qu’est-ce qui t’a positivement surpris ?
Le moteur que représentent les personnes concernées. Dans les études traditionnelles, on a une position de gestionnaire, très active, voire descendante. Ici ce n’est pas le cas. Étant au même niveau que les autres personnes, mais avec des compétences spécifiques, il a fallu se mettre en retrait par rapport à nos pratiques habituelles et se laisser entraîner par le groupe. Ce qui est assez déstabilisant au début devient très vite agréable, porteur de sens et surtout dynamique, car les personnes concernées sont les premières à proposer des manières de chercher, analyser, se mettre en action, etc.
Qu’est-ce qui a marqué ton attention lors de la réalisation de cette recherche ?
Le temps ! Les personnes qui participent à la recherche le fond de manière bénévole, en jonglant avec leurs emplois respectifs, leur vie de famille, etc. Le temps n’a donc pas la même « valeur ». Il a fallu trouver un équilibre, faire preuve de souplesse pour donner le temps aux personnes de s’investir de manière confortable tout en maintenant le cadre, que nous avions déterminé ensemble pour arriver aux finalités souhaitées par le groupe.
Quel est le principal conseil que tu donnerais à quelqu’un qui envisage de se lancer dans une recherche participative ?
De pouvoir lâcher prise, sortir de sa zone de confort, de rester humble, confiant·e et curieuse·eux par rapport à ce que les autres personnes du groupe peuvent apporter, parce que ça réserve généralement de belles surprises.