Mars 2023, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) remet son dernier rapport sur l’état de notre planète. Les risques associés au dérèglement climatique sont pires que prévu, nous atteindrons les +1,5° [1] d’ici 2030-2035 et chaque dixième de degré supplémentaire entrainera des conséquences encore plus désastreuses. C’est pourquoi il rappelle aux pays riches de prendre d’urgence les mesures nécessaires pour diminuer drastiquement les émissions de gaz à effet de serre.

Ces mesures doivent viser en priorité les actrices∙teurs qui, à l’échelle de la planète, sont les plus pollueurs. Plusieurs études démontrent en effet que 75 % des émissions de gaz à effet de serre seraient structurelles [2] et 71 % directement imputables à une centaine d’entreprises. Cela ne veut pas dire que l’effort et les changements ne doivent pas être collectifs pour créer un impact le plus efficace possible. Il est cependant nécessaire de déconstruire le discours dominant et de recentrer l’attention sur celles et ceux qui, ensemble, dégradent et détruisent notre planète.

Un système économique basé uniquement sur le profit.

Aujourd’hui, 99,5 % des sociétés dans le monde évoluent dans ce qu’on appelle le système capitaliste. Ce modèle économique est basé sur la conviction que l’entreprise privée est l’ultime et la plus importante source de richesse d’un pays. En créant des emplois et de la valeur ajoutée à partir des biens et services qu’elle produit, c’est elle qui générerait les moyens économiques nécessaires pour financer les dépenses publiques (protection sociale, santé et services publics, enseignement, etc.). Dans cette optique, le rôle de l’État n’est pas d’intervenir dans les affaires économiques du pays, mais bien de soutenir la production des entreprises. L’État promulgue donc des législations en leur faveur, garantit la protection de la propriété privée et prend en charge les activités qui ne sont pas rentables financièrement pour le secteur privé : les dépenses publiques. La création de richesses est donc l’élément central de ce système. Le meilleur moyen d’y arriver consisterait à mettre en compétition les différents agents (les entreprises, les travailleuses·eurs, etc.). Le but étant que chacun·e cherche constamment à augmenter ses performances pour produire toujours plus, à moindre coût et de « qualité » ; et que les consommatrices·teurs achètent et consomment au maximum à leur tour. Ce système serait idéal, car il répondrait au fonctionnement de l’être humain qui chercherait toujours à favoriser son propre intérêt pour améliorer son bien-être. L’individualisme pousserait donc naturellement les êtres humains à saisir toutes les opportunités pour atteindre le bonheur qui, dans le paradigme capitaliste, est synonyme de richesse matérielle.

Le rôle de l’État : soutenir la croissance !

Quant aux États, eux aussi doivent suivre un objectif de croissance économique afin de prouver la bonne santé du pays [3]. Cette situation les oblige à devoir attirer les multinationales sur leur territoire. En leur permettant de s’implanter, celles-ci créeront de l’emploi (ce qui aura pour effet de faire baisser le taux de chômage et de facto de diminuer les dépenses publiques) et feront augmenter le PIB [4] . En échange, les États leur offrent une série d’avantages comme la réduction d’impôts.

« Le capitalisme se caractérise par la loi du libre marché : les règlements et les lois sont considérés comme des obstacles. Cela se reflète dans la volonté affichée des gouvernements à mettre l’accent sur la croissance économique. Dans l’espoir que le marché se régule, ils vont privatiser, libéraliser et couper dans les dépenses publiques. Tel est le pays idéal pour les multinationales ». Depuis le 20e siècle, un nouveau maillon a permis d’accélérer considérablement la machine : la mondialisation.

Désormais, le monde entier peut échanger des biens et des services commerciaux et économiques. Ces échanges contribuent ainsi à l’essor du secteur industriel mondial et à augmenter de façon exponentielle les bénéfices des entreprises et plus particulièrement des multinationales.

Le rôle des entreprises privées : faire un maximum de bénéfices !

Le problème est que ces entreprises sont la propriété d’actionnaires privé∙e∙s dont le but est de faire toujours plus de bénéfices. Pour ce faire, elles utilisent plusieurs stratégies et notamment :

Faire baisser le coût de la main-d’œuvre en :

Délocalisant la production dans les pays du Sud là où la main-d’œuvre est moins chère et les lois du travail moins contraignantes (normes de sécurité, heures de travail, etc.). Cette pratique engendre des conséquences désastreuses pour les travailleuses·eurs des pays du Sud, mais aussi pour les travailleuses·eurs des pays du Nord qui voient leurs emplois partir à l’étranger suite aux plans de restructuration des entreprises (exemple en Belgique : Mittal, Arcelor, VW Forest, etc.).

Déléguant la production à des entreprises sous-traitantes [5] qu’elle met en concurrence pour négocier au mieux les contrats. Avec pour avantage de pouvoir aussi se décharger de toutes responsabilités en termes de conditions de travail illégales voir  inhumaines (exemple au Bangladesh : l’usine Rana plaza qui produisait des vêtements pour de grandes enseignes occidentales et qui s’est effondrée).

Agir sur les moyens de production en :

S’accaparant les matières premières au meilleur prix ce qui signifie, entre autres, avoir la mainmise sur les zones riches en métaux, charbon, pétrole, eau, bois, etc. ou d’élargir toujours plus les surfaces d’exploitation. Avec pour effet, l’expropriation de populations entières [6], la dégradation voire la destruction de la biodiversité ; y compris de zones naturelles indispensables à la survie de la planète. Cette spoliation s’opère au détriment des pays du Sud puisque c’est dans ces pays que l’on trouve une grande partie des matières premières nécessaires pour répondre à la demande croissante des pays du Nord.

Accélérant les processus de production, notamment grâce à l’utilisation de produits chimiques et pesticides, la modification ou création de nouvelles espèces plus faciles à transformer et/ou à commercialiser (poulet OGM, fruits/ légumes calibrés, plus résistants au climat, aux maladies, etc.), la pratique de la monoculture, etc.

Utilisant les énergies les plus rentables pour produire et/ou exporter la production comme le pétrole et le charbon. Or, ces énergies sont aussi les plus polluantes.

Augmenter ses parts de marché au niveau mondial en :

Fusionnant ou rachetant des entreprises locales (exemple aux Pays-Bas : la fusion de Delhaize avec le groupe Ahold). Les multinationales s’attaquent également aux entreprises publiques qui pourraient s’avérer lucratives ; c’est par exemple le cas dans le secteur de l’électricité, du transport, de la santé, de l’eau ou encore de l’éducation [7].

Obtenant le monopole sur un marché. Cela lui permet de pouvoir fixer le prix qu’elle souhaite ou encore de gérer sa production de sorte à faire augmenter les prix sur le marché (ex. : pétrole, gaz, etc.). Elle peut aussi créer et imposer son propre label afin d’être la seule à pouvoir fixer les règles de production et de vente sur un produit (ex. : semences, graines, etc.).

S’établissant là où les lois, les contrôles et les critères environnementaux sont les moins contraignant·e·s. Mais ce n’est pas tout, au-delà de produire à moindre coût, il faut aussi séduire et appâter un maximum de consommatrices·teurs.

Pour cela, les multinationales utilisent :

  • La publicité,

dans laquelle elles dépensent des sommes colossales pour que leurs produits soient visibles par un maximum de personnes à travers le monde ; allant même jusqu’à analyser nos comportements et nos activités sur nos écrans pour créer LA publicité qui nous incitera à acheter. Puisque dans le monde capitaliste le bonheur est synonyme de richesse matérielle, les entreprises ne cessent de nous inventer de nouveaux besoins pour nous encourager à consommer toujours plus. Elles ne se gênent pas non plus pour créer et diffuser des publicités mensongères, jouant ainsi sur nos valeurs et nos émotions. C’est le cas du greenwashing. Cette technique commerciale consiste à faire passer l’entreprise comme étant écoresponsable auprès du public alors que ce n’est pas le cas. C’est, par exemple, utiliser de faux labels ou des couleurs rappelant la nature, des mots comme « naturel » ou « vert » sur l’étiquette alors que le produit n’est pas du tout respectueux de l’environnement. C’est aussi mettre en avant un composant bio alors qu’il ne représente qu’une petite partie des ingrédients ou encore vanter que l’emballage est fabriqué à partir de plastique recyclé, mais en omettant de dire que ce même emballage ne pourra pas être recyclé par la suite. Enfin, c’est sponsoriser un événement engagé pour l’environnement alors que son activité économique est tout sauf respectueuse de l’environnement, etc

  • Le gaspillage.

Pour vendre davantage, les entreprises ont compris le grand intérêt à ce que les consommatrices∙teurs gaspillent. Un premier exemple est l’obsolescence programmée, c’est-à-dire diverses techniques utilisées par les entreprises pour restreindre la durée de vie d’un produit afin qu’il soit plus vite remplacé. Un deuxième exemple est la surproduction d’aliments en pratiquant ce qu’on appelle la monoculture. Il s’agit de planter une seule espèce de plante, sélectionnée selon des critères précis, afin de maximiser l’efficacité et le rendement du sol et de réduire les coûts. Ce qui au final, appauvrit non seulement la fertilité des sols, mais oblige aussi les agricultrices∙teurs à recourir aux engrais et pesticides pour intensifier la production. Toujours plus ! Plus fort, plus vite, plus loin, plus profond. Voilà comment font les entreprises pour accroitre leurs profits et assouvir les exigences capitalistes d’une petite partie de la population qui sont généralement des hommes, blancs, riches et de plus de 50 ans ! C’est contre cet engrenage morbide que les États du monde entier doivent se battre en faisant passer le bien-être de la société et la santé de notre planète avant le profit. Quelques pistes importantes seraient, par exemple, de taxer correctement les surprofits générés par les entreprises et de lutter massivement contre la fraude et l’évasion fiscale. Mais aussi de protéger les biens et services qui sont essentiels à la vie (espace vert, eau, etc.) tout en empêchant que ceux-ci soient gérés par des entreprises privées.

[1] 1,5° de plus en moyenne à l’horizon 2030-2035, par rapport à la période entre 1850 et 1900.

[2] C’est-à-dire que 75 % des émissions de gaz ne sont pas d’origine naturelle, mais émanent directement de l’activité humaine sur la planète.

[3] En Europe, c’est à la Commission européenne que les États membres doivent rendre des comptes.

[4] Le taux de croissance se calcule via le PIB.

[5] C’est ce qu’on appelle l’externalisation.

[6] Souvent par la force et/ou en utilisant la violence, ce qui renforce une forme de domination des exploitants du nord sur les populations locales du sud.

[7] C’est ce qu’on appelle la privatisation.

Autrice
AutriceWivynne Gaziaux