S’il est encore un secteur qui ne tient pas suffisamment compte des spécificités du genre et du sexe, c’est la santé. Les femmes et les hommes ne sont certainement pas égales·aux en matière de santé. De la prise en charge en passant par le diagnostic, de la pathologie au suivi de soins; les femmes doivent encore faire face à de trop nombreux obstacles et stéréotypes tout au long du parcours de soin. Comment cette situation est-elle encore possible au XXIe siècle ?

Les origines du mal-(être)

De tout temps, le corps des femmes a fait tantôt l’objet de méfiance et d’une volonté de contrôle, tantôt l’objet d’incompréhension ou encore de désintérêt. À l’origine ? Des pratiques médicales trop souvent incarnées et empreintes d’un héritage patriarcal. De manière générale, les recherches médicales se basent sur le standard masculin. Les scientifiques s’intéressent peu au fonctionnement des autres corps, à savoir les corps des femmes, des personnes transgenres ou intersexes. De nombreux prestataires de soins et des patient·es ne savent pas que les femmes et les hommes peuvent ressentir des symptômes différents en ayant la même maladie…

De plus, les inégalités entre les femmes et les hommes, à savoir des inégalités de sexe et de genre, peinent à être prises vraiment en considération dans les politiques de santé publique, dans le parcours soin et durant les formations médicales. Selon les lieux et les contextes, ces inégalités peuvent s’avérer tantôt sous-évaluées, tantôt teintées de stéréotypes, laissant bien souvent peu de place à la nuance.

Quels résultats ?

Les femmes vivent certes plus longtemps que les hommes… Mais en moins bonne santé ! Autrement dit, les femmes meurent en moyenne plus tard que les hommes, mais elles souffrent davantage de maladies chroniques (qui peuvent se déclencher à différents stades de leur vie). Paradoxal, non ? Un autre paradoxe concerne également la prise en charge médicale des maladies. Les femmes sont généralement plus suivies que les hommes, mais elles sont pourtant moins bien soignées que ces derniers. Cela peut notamment s’expliquer par des stéréotypes de genre encore bien présents dans certaines consultations médicales. Par exemple, lors d’une consultation médicale, un stéréotype encore courant est de considérer que de nombreuses femmes sont trop émotionnelles. Par conséquent, ces dernières exprimeraient de manière exagérée leurs douleurs… Des douleurs qui sont alors minimisées en tant que symptômes et une maladie peuvent passer « inaperçue ». À ces discriminations sexistes s’ajoutent pour certaines d’entre elles des difficultés d’accès à des soins et des suivis de qualité à prix démocratiques. Des situations économiques difficiles qui obligent à prioriser les besoins et bien souvent, à reporter ou à renoncer à se faire soigner. Une réalité quotidienne pour de nombreuses femmes qui ont une qualité de vie nettement diminuée. Elles se trouvent aussi avec une épée de Damoclès sur la tête, car des maladies potentiellement plus graves dans le futur peuvent se développer puisqu’elles n’ont pas été prises en charge à temps…

Le renoncement des soins par des familles monoparentales (bien souvent des mamans solos !), la prédominance de la dépression chez les femmes, la méconnaissance de l’endométriose et d’autres maladies féminines, la prévalence des maladies cardio-vasculaires chez les femmes plutôt que chez les hommes, la sous-représentation des femmes et des personnes transgenres et intersexes dans les recherches cliniques… La liste est (trop) longue. Agissons !

NOTRE VISION À LA LOUPE

Depuis 1922, nous défendons l’accessibilité et la qualité des soins de santé en Wallonie et à Bruxelles avec, d’abord, la création des caisses primaires pour les femmes et les enfants. Aujourd’hui, nous soutenons le maintien et le renforcement de la Sécurité Sociale à l’aune des multiples crises (sanitaire, économique, sociale, climatique…) et des progrès techniques pouvant isoler certains publics (fracture numérique). Relever les défis d’un système de santé plus égalitaire et des pratiques médicales plus inclusives et participatives revêtent d’une entreprise ambitieuse, mais indispensable et non négociable pour notre mouvement.

Notre vision féministe (et de plus en plus intersectionnelle) prend en compte la santé des femmes dans sa globalité. En éloignant la représentation sexiste et réductrice des «utérus sur pattes», nous garantissons une analyse réaliste, complexe et vulgarisée des effets très concrets des discriminations sur la santé mentale, la santé physique et la santé reproductive et sexuelle des femmes.

Tout au long du parcours de santé, les femmes — loin d’être un groupe homogène — ont toutes droit à des soins de qualité. Le Groupe de Travail «Prendre sa santé en main», les outils pédagogiques comme «Goûtez-moi ça», les animations en santé de plus en plus populaires depuis 2007, les plaidoyers et les campagnes de sensibilisation comme «Les femmes moins bien soignées? Quand la santé reflète les inégalités!», les évènements et supports autour du 28  mai, journée mondiale d’action pour la santé des femmes… Sont autant d’actions qui vont dans ce sens, et qui font sens. L’égalité, c’est bon pour la santé!

Sur le terrain

Une implication de proximité

Samira Bouguerra et Daphné Meersman (Soralia Wallonie Picarde) nous expliquent un projet phare des FPS développé en 2011-2012 : « on avait constaté que de nombreuses femmes des milieux défavorisés et plus âgées ne participaient pas au dépistage du cancer du sein malgré sa gratuité. Les FPS (avec l’aide de Solidaris) ont alors mené une recherche-action d’un an sur le dépistage du cancer du sein. On voulait mener des actions de terrain selon le principe des Zones d’Action Prioritaire (ZAP), avec des actrices·eurs locaux en Wallonie et à Bruxelles. Par exemple, à Ath et à Mouscron, nous avions formé des aides familiales, des aides- soignantes et des assistantes sociales en tant que “relais-population-cancers féminins”, en intégrant aussi le cancer du col de l’utérus. Les métiers du care sont directement au contact des habitant·e·s du quartier. Le personnel que nous avons pu ainsi formé pouvait répondre aux questions les plus communes sur les dépistages, rassurer sur certaines peurs, développer une écoute active, accompagner certaines femmes faire un dépistage quand elles le souhaitaient. En d’autres termes, les professionnel·les de la première ligne étaient sensibilisées et pouvaient, à leur tour, sensibiliser les femmes concernées. Par la suite, nous avons également partagé nos connaissances durant un colloque sur le sujet ».

« Faire réseau constitue une stratégie incontournable pour dépasser les résistances que suscitent une approche globale et féministe de la santé afin de pouvoir travailler avec les femmes, le monde médical et les politiques. Il est tellement beau de voir les femmes se rencontrer et échanger, construire collectivement une parole ou une action et s’approprier l’espace sur des sujets qui les concernent. Qu’elles soient citoyennes, bénévoles ou professionnelles, elles en ressortent plus fortes, moins seules et mieux armées face au quotidien » souligne Manoé Jacquet, coordinatrice du réseau Femmes et Santé ASBL. Depuis 2018, nous sommes membres de cette plateforme unique en Wallonie et à Bruxelles. Femmes et Santé ASBL met en réseau des associations travaillant spécifiquement sur le genre et la santé (et plus !). Favoriser l’empowerment, considérer la santé des femmes dans toutes ses spécificités, monter des projets communs dans ce sens font partie de nos objectifs communs avec les autres associations membres. Les rencontres au sein de ce réseau permettent également de développer progressivement une vision commune et de favoriser un partage des connaissances entre les différentes organisations membres.

Tenir compte des enjeux d’hier et de demain

Dossier Médical Global informatisé, prescription électronique, attestation de soin numérique ne sont que quelques exemples de l’e-santé, un domaine dans lequel nous nous impliquons de plus en plus. «  Prendre sa e-Santé en main est une animation en groupe, participative, qui propose de découvrir ces nouveautés liées à la santé connectée. L’enjeu des animations est donc de favoriser l’accessibilité des soins de santé pour tous·tes car l’e-santé se défi nit par son utilisation. Par conséquent, l’e-santé, quand on sait comment l’utiliser, peut être un moyen intéressant de maintenir et d’améliorer la qualité, et la pérennité des soins de santé. En effet, l’utilisation des technologies dans le monde médical et par les patient·e·s ne fait que progresser dans notre société. Depuis de nombreuses années, ce projet constitue un partage essentiel et critique des connaissances pour nos publics qui peuvent se trouver en fracture numérique ou plus » explique Sandy Beelaert (Soralia Mons-Borinage).

Mamans solos, temps partiels, métiers à majorité féminine dévalorisés, plafond de verre, pensions plus faibles… De nombreuses situations de précarité sont spécifiques aux femmes. Dans ce contexte, entamer un parcours de soin ne va pas de soi. L’augmentation des prix des consultations médicales pour voir des médecins spécialistes, faire une radio, voir un·e dentiste,… est une réalité. Une réalité où se jouent dès lors des enjeux importants d’accessibilité fi nancière aux soins de santé pour de nombreuses femmes. Édouard Delruelle, président de Solidaris, précise ce phénomène : « La démarchandisation de la santé est une des grandes conquêtes sociales du XXe siècle : démarchandiser la santé, c’est le cœur même de la Sécurité sociale ! Mais depuis des années, notre système est sous-financé. Résultats : les prestataires se déconventionnent, les hôpitaux imposent des suppléments d’honoraires, etc. Conséquence : un nombre croissant de personnes reportent des soins nécessaires ou y renoncent. Il faut inlassablement le répéter : la santé n’est pas un capital privé à gérer selon ses moyens, c’est un bien commun dont nous sommes collectivement responsables. »

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Autrice
AutriceAnissa D'Ortenzio