«Avant, j’imprimais les relevés à la machine à chaque fois que j’en avais envie, ce qui me permettait de voir où j’en étais dans mes dépenses. Maintenant, c’est ma fille qui imprime les extraits de temps en temps quand je vais chez elle. Ce n’est pas une solution. Je veux avoir accès à mes extraits de compte pour suivre mes dépenses et les imprimer pour garder une trace des paiements. Je ne suis pas disposée à payer pour recevoir mes relevés bancaires par la poste car je peux aller les chercher moi-même à l’agence (à 700 m), mais ce n’est plus possible. C’est très perturbant» .

La perte d’autonomie de cette femme de 86 ans face aux opérations bancaires n’est pas le résultat d’une baisse des fonctions cognitives, ni d’un accident affectant sa mobilité, mais est le produit de l’évolution des banques. Celles-ci proposant de plus en plus des services digitalisés, les agences de proximité tendent à disparaître. En effet, en 2020, la BNP Paribas a fermé une agence sur cinq. Il s’agit d’une tendance à long terme (ING avait fixé en 2016 l’objectif de fermer la moitié de ses agences) et l’on estime « que notre pays dispose encore d’une marge importante pour une nouvelle diminution du nombre d’agences» . Les personnes âgées ont pourtant su s’adapter à la première vague de digitalisation, lorsque les guichets ont été massivement remplacés par des machines de « self-banking » : « Je faisais toutes mes opérations au self-banking de mon agence et j’imprimais les reçus que j’agrafais aux factures » nous dit A., 86 ans . Mais les appareils ont été supprimés et elle a dû changer d’agence et se rendre là où sa banque a mis deux tablettes à disposition de sa clientèle. « Un employé apporte son aide, mais c’est très compliqué. C’est un écran de type internet avec plein d’informations par rapport à ce qu’il y avait sur l’écran de l’automate. Il faut faire glisser l’écran avec ses doigts (pas à l’aise), introduire des codes, soi-disant pour la sécurité. Il y a une longue file d’attente aux tablettes. Sur dix personnes qui utilisent la tablette, huit ont besoin d’aide. […]. » Il est commun de définir l’autonomie comme la capacité à agir seul·e tandis que la personne dépendante aurait besoin d’une aide pour réaliser certaines activités. Cette définition néglige cependant un aspect essentiel de l’autonomie : les relations qui structurent et soutiennent la personne autonome. L’autonomie ne signifie pas l’absence de liens, bien au contraire. « Une personne autonome n’est pas une personne qui décide et agit seule, mais dont le pouvoir décisionnel et les capacités d’action sont soutenus par de multiples relations […]. » Ainsi nous ne sommes autonomes qu’« à travers les multiples formes de dépendances qui [nous] font » . Pourtant, l’on ne peut pas nier que certaines personnes se disent autonomes tandis que d’autres se sentent dépendantes. Alors qu’en est-t-il de la fracture numérique ? Les études nous montrent que, contrairement aux clichés, les personnes âgées sont connectées et ont des capacités numériques. Mais, elles utilisent prioritairement le digital pour les relations sociales, que ce soit avec leur famille, leurs ami·e·s ou les groupes d’activités auxquels elles participent. Ainsi, l’on pourrait caractériser la dépendance comme la raréfaction des relations, qui tendent par ailleurs à se concentrer sur les seuls aspects fonctionnels de la personne, à l’exclusion des autres besoins, notamment sociaux. Il importe donc de « repérer les ’’bonnes’’ et les ’’mauvaises’’ ’’dépendances’’ et la manière dont elles ’’fabriquent’’ la personne, une personne à chaque fois différente ». Ainsi, lorsqu’une personne âgée ne peut plus faire ses opérations bancaires, il s’agit d’une ‘’mauvaise’’ dépendance car la fracture numérique impose aux personnes âgées que les relations avec leurs proches soient axées sur l’aide et non pas sur le partage.

Pour plus de renseignements, vous pouvez consulter la campagne conjointe menée par Financité, Eneo et Espace Seniors.

Ermelinde MalcotteAutrice