La crise sanitaire met nos nerfs à rude épreuve. Fermeture des écoles, crainte pour notre santé, manque de contacts sociaux, difficultés financières… Plus d’un an après le premier confinement, quels constats peut-on tirer de cette situation sans précédent ? Pour le savoir, nous sommes allées à la rencontre de deux travailleuses du réseau Solidaris, actives dans les questions de santé mentale. Malgré leur réalités différentes, leur constat est sans appel : la santé mentale est un enjeu majeur pour aujourd’hui comme pour demain.
En mars 2020, alors que le monde se confinait, les centres DOSSIER de planning familial ont gardé leurs portes ouvertes tout en respectant les mesures de sécurité. C’est le cas du centre Aurore Carlier à Tournai. Sa coordinatrice Dorothée Depoortere nous raconte son quotidien et ses craintes pour l’après-Covid.
Quels sont vos constats sur les impacts de la crise sanitaire sur la santé mentale ?
Nous avons le sentiment que les publics les plus fragiles au niveau santé mentale sont encore plus fragilisés. Les personnes font appel à nous pour les mêmes questions et soucis qu’avant (difficultés personnelles, relationnelles, etc.) mais ceux-ci se sont souvent pour la plupart amplifiés avec la crise sanitaire. Les personnes qui nous interpellent nous font également part de leur détresse par rapport à l’accessibilité des services (surtout administratifs comme le Forem / les mutuelles / les centres de formation… ) qui fonctionnent à guichets fermés en télétravail. Il est difficile de joindre le bon service ou d’avoir réponse à leurs questions. Elles se sentent perdues dans un contexte insécurisant. L’accessibilité, dans certains secteurs, n’a pas toujours été renforcée pour répondre aux besoins et demandes du public. En tant que centre de planning familial et centre IVG, nous avons veillé à maintenir cette écoute possible tout en adaptant nos services.
Quels sont les publics les plus touchés par la crise et pourquoi ?
Les grands ados ou 18-25 ans en manque de contacts et de liens sociaux, les personnes pour qui la crise a entraîné des situations financières difficiles (perte d’emploi, chômage Covid, indépendant·e·s…) mais aussi les personnes en recherche d’emploi : soit les jeunes sorti·e·s des études soit les personnes sans emploi. L’accès au travail est difficile, l’avenir est incertain. L’organisation du (télé)travail et la fermeture des écoles impactent également les parents. Nous observons que les pères sont impactés (pères en télétravail ou enfants en garde alternée, etc.) mais ce sont souvent les femmes qui consultent pour exprimer leurs difficultés et tenter de trouver des solutions.
Comment pensez-vous que la santé mentale de la population va-t-elle évoluer dans les mois à venir ?
L’élargissement des contacts sociaux impactera certainement positivement un grand nombre de personnes et cela aura donc un effet sur la santé mentale. Les réponses à la détresse psychologique ne sont donc pas forcément psychologiques, le nombre de nos consultations n’a pas augmenté. Les personnes en détresse ont aussi et surtout besoin d’actions concrètes : activités, rencontres possibles, renforcements des liens sociaux.
Cependant, il y aura une partie de la population plus effondrée socio-économiquement et/ou psychologiquement (pertes financières, abandon des études…) et il leur faudra probablement plus de temps pour « remonter la pente ». Nous avons l’impression qu’au plus les personnes auront été impactées, au plus la « remontée » sera difficile et donc effectivement, les problèmes de santé mentale pourraient s’intensifier. Nous pourrions aussi vivre un moment d’euphorie, de libération dans l’après-Covid… Y aura-t-il une rechute après l’euphorie pour certain·e·s ? Ces différents constats nous poussent à croire qu’il faut tout mettre en place pour que nos services restent accessibles à un maximum de personnes. Les moyens virtuels ne suffisent pas. Soyons créatives et créatifs tout en tenant compte des protocoles en vigueur !
Créé en 2008, Un Pass dans l’Impasse est un centre de référence en matière de prévention du suicide. Il propose des colloques, des formations, des ressources mais aussi un accompagnement pour toute personne concernée par les questions liées au suicide. Florence Ringlet, psychologue et responsable thérapeutique, nous explique ses réalités en temps de pandémie.
Quels constats avez-vous dressés lors du 1er confinement ?
En mars 2020, la crise a œuvré comme un miroir grossissant. Elle a révélé les lignes de fragilité, mais aussi les ressources, préalablement existantes mais sans doute dissimulées par les conditions de vie dites « normales ». Les préoccupations et les vécus les plus courants que nous avons pu entendre dans la parole des personnes suicidaires qui nous consultaient concernaient le vécu d’isolement, la peur de la maladie et du risque de contamination. Mais aussi la découverte de ressources internes ou externes nouvelles, d’un potentiel créatif et de résilience, parfois l’acquisition d’une nouvelle compréhension d’elles·eux-mêmes et des déterminants de leur souffrance. D’un côté, nous avons pu observer chez un certain nombre de patient·e·s l’apparition de troubles psychiatriques nouveaux, mais surtout l’exacerbation de symptômes déjà présents. De l’autre, nous avons aussi constaté une expression moindre des idées et des comportements suicidaires, comme si la problématique était « gelée » ou « mise en quarantaine ». Et ce surtout lors du premier confinement. Notre hypothèse est que la dimension d’effort collectif mobilisé par la crise avait relégué la souffrance individuelle au second plan. On craignait alors le déconfinement car chacun·e allait être progressivement renvoyé·e à sa situation personnelle.
Quelles ont été les réactions des patient·e·s lors du 1er confinement ?
Dans un premier temps nous nous sommes adapté·e·s aux consignes de sécurité imposées par le Gouvernement, c’est-à-dire de travailler à bureaux fermés puis en télétravail. Les psychologues de l’équipe se sont donc adapté·e·s aux réalités imposées aux patient·e·s en étant beaucoup plus proactives·ifs. Grâce à la réactivité des services informatiques de Solidaris, nous avons pu rapidement proposer des consultations par vidéo et par téléphone pour les personnes qui ne disposaient pas des outils numériques. Une partie des patient·e·s suicidaires a préféré attendre la reprise des consultations en présentiel. L’hypothèse était que face à la menace de rupture dans la continuité du suivi, certain·e·s avaient réagi dans une logique d’auto-exclusion et d’auto-censure de leur expression d’un besoin d’aide. Ces personnes peuvent souvent avoir tendance à se négliger, à ne pas reconnaitre leurs besoins et ainsi mettre leur souffrance de côté pour éviter de « poser problème » ou de « déranger ». Dans les circonstances de cette crise sanitaire, ces personnes ont peut-être eu davantage tendance « à prendre sur elles », voire même à « se replier sur elles-mêmes ». Ce sont donc ces patient·e·s-là qui ont exprimé paradoxalement la volonté « d’attendre ». Idem en ce qui concerne les nouvelles demandes. De nos échanges avec les collègues de différents services, il ressortait le même constat : une interruption accrue des prises en charges et une diminution des nouvelles demandes. Nous redoutions tou·te·s, lors du déconfinement, un effet « tsunami ». Nous ne pouvions que nous attendre à une déferlante dont les conséquences seraient imporantes et durables
Avez-vous constaté des différences avec la deuxième vague et les confinements successifs ?
Comme nous l’avions imaginé, les demandes de consultations et les appels de personnes en détresse ont nettement augmenté. Nous avons également constaté que la durée de nos suivis de crise s’allongeaient dans le temps. Certaines nouvelles demandes concernent des personnes qui ne présentaient auparavant aucune vulnérabilité psy[1]chique apparente. Nous nous sommes rendu·e·s compte que les rendez-vous en présentiel étaient indispensables pour notre patientèle. Lors de la deuxième vague et encore aujourd’hui, nous constatons que les défenses individuelles et collectives sont émoussées. La mobilisation solidaire et porteuse d’espoir des premiers mois aurait-elle bu la tasse ? Le vent qui souffle aujourd’hui porte un sentiment de « chacun·e pour soi » avec un courant de révolte et de contestation. Ce qui rend ce deuxième, voire troisième confinement plus rude, outre la caractéristique saisonnière, c’est la lassitude et la fatigue liée à la durée de la situation. Cette pandémie est un marathon, pas un sprint, dont la durée constitue un défi supplémentaire.
Comment les confinements successifs ont-ils impacté la population ?
Les mesures visant à limiter les contacts sociaux affectent le bien-être de l’ensemble de la population. Celle-ci est sollicitée à plusieurs reprises pour adapter son comportement rapidement. Cela nécessite une résilience et une adaptabilité supplémentaire. L’isole[1]ment social et sa durée sont aussi préjudiciables au bien-être mental et en particulier chez les jeunes. Il nous parait dès lors essentiel de créer et de stimuler un sentiment d’appartenance. Cette crise nous touche toutes et tous à différents niveaux. De plus, force est de constater que les professionnel·le·s de santé physique ou psychique ressentent une fatigue mentale importante et non négligeable, qui pourrait à la longue avoir un impact sur la qualité des soins.
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