« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. » Cette célèbre citation de Simone De Beauvoir continue, tristement, à résonner en beaucoup d’entre nous en ces temps de pandémie. Dès 1949, cette philosophe française nous alerte avec justesse sur les dangers susceptibles de se produire en période de crise, touchant plus spécifiquement les femmes, frange de la population qui demeure dévalorisée et discriminée dans une société profondément patriarcale.

Un contexte propice à des agendas politiques malveillants

Aujourd’hui, les crises s’enchaînent et s’entremêlent. Dès 2007, la journaliste et militante américaine Naomi Klein analyse la manière dont le pouvoir et les élites profitent des crises majeures pour mettre en place des politiques ultralibérales . L’économiste Sandrine Rousseau appuie d’ailleurs cette théorie : « Les climats anxiogènes sont propices à l’édiction de lois, restrictions et règlements [qui] n’ont [parfois] que peu de liens avec la crise mais celle-ci sert d’écran de fumée ». Et la pandémie actuelle confirme cette technique effroyable. Préoccupée par la crise en cours, la population n’est pas toujours en mesure de détecter les failles institutionnelles et démocratiques qui s’installent, surtout si ses capacités d’action, telles que le rassemblement, sont restreintes. Certain·e·s politicien·ne·s en profitent dès lors pour forcer leur agenda politique en ratifiant des règles qui menacent les normes sociales, la protection de l’environnement ou encore les droits des femmes et des minorités.

Femmes et minorités en première ligne

Les femmes, et particulièrement les femmes précaires et/ou issues de l’immigration, subissent de plein fouet et de manière disproportionnée les conséquences de cette crise sur leur quotidien. Surreprésentées dans les métiers dits du care, elles sont davantage exposées au virus du Covid-19 et subissent des conditions de travail déplorables. Les violences à leur égard ont augmenté, ainsi que leur taux de chômage, pendant qu’elles assurent la majorité des tâches domestiques et sont victimes d’une charge mentale exacerbée. En plus de cela, certains gouvernements, notamment européens, ne se gênent pas pour compromettre leurs droits les plus fondamentaux. En Hongrie, par exemple, les discriminations fondées sur le genre sur le lieu de travail ont explosé. Pourtant, les autorités préfèrent fermer les yeux sur les lacunes en matière de législation et d’accueil de la petite enfance . Les femmes enceintes et/ou avec des enfants en bas âge sont les plus touchées par ces licenciements abusifs et ce manque de réponse collective à la prise en charge des enfants, ce qui nuit à leur autonomie financière . L’accessibilité des femmes au marché de l’emploi est donc loin d’être gagnée et protégée. Tout comme leurs droits sexuels et reproductifs… En Pologne, le parti majoritaire ultra-catholique PiS (Droit et Justice) n’a pas hésité à opérer un recul tout à fait scandaleux en la matière. L’avortement n’y est désormais plus autorisé, sauf en cas de viol ou d’inceste, ou lorsque la vie de la mère est en danger, une des législations les plus restrictives en Europe . Le timing n’est pas anodin : alors qu’à l’époque, la mobilisation des mouvements féministes dans l’espace public avait permis de faire pression et de geler le dossier, le gouvernement exploite ici le confinement de la population pour imposer ses valeurs rétrogrades et liberticides. Les minorités LGBTQIA+ sont tout autant concernées par ces abus de pouvoir. Ainsi, le premier ministre hongrois, figure phare du populisme, s’est permis, en décembre 2020, de modifier la Constitution de son pays pour y prohiber l’adoption aux couples de même sexe et y inscrire une définition du genre, comprise comme étant une idéologie néfaste, notamment pour les enfants. Ces deux amendements rejoignent tristement l’interdiction d’inscrire un changement de sexe à l’état civil . C’est par ailleurs le discours extrêmement violent sur lequel s’est appuyé le PiS lors des dernières élections polonaises en juin 2020  dans un pays où, depuis début 2019, des dizaines de districts se sont déclarés « zones sans idéologie LGBT ».

Un danger réel qu’il faut combattre !

Ces prises de position qui s’insinuent peu à peu dans l’Europe de l’Est ne sont pas à prendre à la légère. Cette malveillance peut rapidement se propager et menacer, sans détours et en toute « légalité » juridique, les droits humains fondamentaux de toute une partie de la population. Face à cette haine, le Parlement européen a réagi en se déclarant « zone de liberté » pour les personnes LGBTQIA+ et en appelant la Commission européenne à lutter activement contre ces discriminations . Les municipalités polonaises concernées ont alors, à l’époque, été privées de subventions, ce qui a mené certaines d’entre elles à revenir sur leur décision . L’Union Européenne doit donc adopter des réponses fermes face à ce type de violations graves. D’autant plus que la crise est, sans aucun doute, une opportunité d’instrumentalisation idéale pour ces partis politiques. Les aspects sécuritaires mobilisés, tels que la fermeture des frontières, sont au cœur des programmes ultraconservateurs et autoritaires de l’extrême droite. Ce contexte leur est donc tout fait favorable pour réaffirmer leur idéologie raciste et justifier leur combat contre la mondialisation et l’Europe . N’oublions pas que lorsque les individus sont isolés, qu’elles·ils doutent des faits et remettent en question les décisions étatiques, alors elles·ils sont la cible privilégiée pour la mise en place d’une politique totalitaire… La vigilance et l’intransigeance sur le respect de nos droits fondamentaux sont donc tout à fait essentiels, d’autant plus en temps de crise.

Auteur
AuteurJean-Michel Vandergoten
Chargé de communication Soralia Bruxelles