Les maladies cardio-vasculaires sont la première cause de décès des femmes en Belgique, devant le cancer du sein. Pourtant, l’imaginaire collectif continue de considérer que la santé du cœur concerne davantage les hommes. Pour comprendre pourquoi ces maladies progressent chez les femmes alors qu’elles reculent chez les hommes, il faut pointer des inégalités de sexe1 et de genre aux lourdes conséquences sur la santé des femmes. Suivez-nous dans le parcours de soins (des facteurs de risques jusqu’au traitement) d’une femme victime d’un AVC ou d’un infarctus du myocarde (ce que l’on nomme aussi crise cardiaque), deux exemples parlants pour illustrer ce constat interpellant.
La prévention : les facteurs de risques
Avant même que les symptômes se manifestent, de nombreux stéréotypes de genre entourent les facteurs de risques des maladies cardio-vasculaires. Pourtant, contrairement aux idées reçues, les femmes sont de plus en plus concernées par le tabagisme, la consommation d’alcool, le manque d’activité physique, le surpoids, l’obésité et le stress. Les femmes sont aussi plus susceptibles d’être plus vite ou plus gravement impactées par ces facteurs de risques que les hommes, car, au niveau anatomique, leur cœur est en moyenne plus petit. D’autres critères transversaux peuvent jouer un rôle, tels que l’origine ethnique et l’âge.
Les femmes vivent en moyenne plus longtemps que les hommes, mais en moins bonne santé.
Cela allonge leur période de vulnérabilité [2] aux maladies cardio-vasculaires via une hypertension artérielle et un taux de cholestérol plus fréquents et plus sévères après 60 ans. Cela s’explique notamment par l’apparition de la ménopause qui réduit l’effet protecteur des hormones féminines.
Plusieurs “étapes” de la vie des femmes sont souvent accompagnées d’un traitement ou d’une contraception hormonale qui favorisent des effets négatifs tels que la coagulation du sang et la formation de caillots. La combinaison avec le tabac peut multiplier par 30 le risque d’infarctus.
L’apparition de la maladie : des symptômes peu (re)connus
Le sexe et le genre influencent le diagnostic d’un infarctus du myocarde ou d’un AVC. Les symptômes de ces deux maladies bien identifiés du grand public sont des signaux d’alerte spécifiques chez les hommes, mais près d’une femme sur deux ne s’y reconnait pas. De manière générale, les symptômes des femmes sont plus difficilement identifiables que ceux des hommes (dont la douleur fulgurante au bras gauche) et surtout mal connus. Par exemple, chez les femmes, un infarctus du myocarde se manifeste des façons suivantes : une oppression thoracique, une grande fatigue persistante, des difficultés à respirer, des troubles digestifs, etc. Ajoutons à cela les idées reçues évoquées plus haut. Cela amène à de lourdes conséquences au niveau de la prise en charge des femmes malades. Par exemple, il faut en moyenne une heure de plus pour que l’entourage appelle un numéro d’urgence et ce sont rarement les partenaires masculins qui appellent en cas d’accident cardiaque . Les femmes elles-mêmes ont plus de difficultés à se rendre compte qu’elles sont victimes d’un infarctus du myocarde ou d’un AVC. Dans ce contexte, les femmes faisant un malaise sont 27 % moins susceptibles que les hommes de bénéficier d’un massage cardiaque, alors qu’il est indispensable à la réanimation du cœur. Cela s’explique par la méconnaissance des symptômes, mais aussi par la réticence des personnes à toucher la poitrine d’une femme, même si elle se trouve en danger. La poitrine féminine n’est d’ailleurs pas prise en compte dans les cours de réanimation cardio-respiratoire puisque les mannequins utilisés sont exclusivement des torses masculins. C’est une évidence que la norme médicale se pense à partir des hommes et a des impacts dramatiques sur la santé des femmes.
Une prise en charge à deux vitesses
Les femmes malades entament le processus de prise en charge médicale avec deux heures de retard sur les hommes. Il s’agit d’abord du temps mis par l’entourage pour appeler les urgences. Ensuite, une fois arrivées à l’hôpital, les femmes attendent en moyenne une heure de plus avant la prise en charge par un·e cardiologue (que les hommes dans la même situation) . Le temps d’attente explique le nombre de décès plus important chez les femmes : entre l’admission aux urgences et la sortie de l’hôpital, le taux de survie atteint seulement 37 % contre 55 % chez les hommes .
Le sous-diagnostic chez les femmes s’explique aussi par la méconnaissance de ces symptômes qualifiés d’« atypiques » par les professionnel·le·s de la santé. Seuls 51,3 % des étudiant·e·s en médecine sont conscient·e·s que les maladies cardio-vasculaires sont la première cause de mortalité chez les femmes dans le monde . Toutefois, les femmes ayant des symptômes « typiques » (c’est-à-dire similaires à ceux des hommes) ne sont pas mieux loties. Elles ont trois fois plus de chances que les médecins expliquent leur état par des causes émotionnelles plutôt que par des causes biologiques du type trouble cardiaque . Dans le cas d’une suspicion d’un AVC mineur, les femmes ont 10 % de chances de plus de recevoir un tout autre diagnostic : une migraine par exemple. De manière générale, les symptômes présentés par une femme ont plus de risques d’être identifiés comme relevant d’une forme de stress, de dépression ou de fatigue plutôt qu’une maladie cardio-vasculaire. Ainsi, les femmes se voient prescrire des anxiolytiques plutôt qu’un rendez-vous chez un·e cardiologue. Le genre d’une personne influence donc le diagnostic posé par un·e professionnel·le de la santé !
La prise en charge et la prescription de certains examens s’en trouvent également inadaptées : les femmes ont déjà 40 % de chances en moins que les hommes de se faire prescrire un examen des artères coronaires . De plus, certains examens prescrits comme l’angiographie, un examen radiologique au moyen d’un colorant, est inefficace pour le diagnostic de maladies micro-vasculaires dont les femmes sont davantage victimes. Certains résultats d’examens doivent d’ailleurs être interprétés différemment selon le sexe du patient, ce qui n’est pas toujours le cas.
Les traitements
Une fois la maladie détectée vient l’étape du traitement. Or, les femmes sont moins souvent traitées par des inter ventions dites « invasives » (pacemakers, chirurgie, cathéters, etc.). Certains traitements sont trop faiblement dosés, car on a sous-estimé leur maladie, et les trois types de médicaments les plus couramment indiqués (dans certains cas de crises cardiaques) sont moins fréquemment prescrits aux femmes. Pourtant, les recommandations européennes ne font aucune différence en fonction du sexe pour la prise en charge médicamenteuse en la matière.
Le rétablissement
Globalement, les femmes ont, en moyenne, plus de difficultés à se remettre d’une maladie cardio-vasculaire, quelle qu’en soit la forme. Cela peut s’expliquer par le fait qu’elles reprennent plus rapidement les activités ménagères ainsi que leurs responsabilités familiales. Mais un autre élément qui rentre en ligne de compte est le suivi éventuel d’un programme de réadaptation cardiaque prometteur. Ce programme est peu connu et le nombre de places limitées. Seule une femme victime d’infarctus sur cinq y a recours, contre un homme sur trois . Ce programme est davantage prescrit aux hommes. De plus, les femmes y ont plus difficilement accès, car ces dernières disposent moins souvent d’un véhicule que les hommes et elles se déplacent donc en transports en commun. Les femmes ont également tendance à retourner le plus rapidement possible à leur domicile pour prendre soin de leur famille, un rôle qui encore aujourd’hui incombe principalement aux femmes.
Pour une santé plus inclusive
Les maladies cardio-vasculaires sont donc moins bien traitées chez les femmes que chez les hommes et ce, tout au long du parcours de soin. Une prévention efficace passe donc avant tout par une information et une sensibilisation (campagnes, formation continue, etc.) tant du grand public que des professionnel·le·s du secteur psycho-médico-social. En identifiant mieux les facteurs de risques, les obstacles à la prise en charge féminine, et surtout les leviers à mettre en place pour les limiter, chacun·e aura les clés pour prendre sa santé en main et se prémunir au mieux des maladies cardio-vasculaires. Par conséquent, développer une politique de prévention efficace en prenant le sexe et le genre en compte est très important. Cela constitue un enjeu majeur de santé publique, car la majorité (80 %) des maladies cardio-vasculaires sont causées par des facteurs liés à l’hygiène de vie, sur lesquels il est donc possible d’agir de manière très concrète au quotidien. Les femmes ne seraient pourtant que 26 % à avoir déjà échangé à ce sujet avec un·e professionnel·le de santé .
En tant que mouvement féministe, nous ne pouvons que saluer et soutenir la recommandation de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui insiste sur l’importance de la prise en compte des dimensions de sexe et de genre dans tous les domaines de la santé et à toutes les étapes de soins et ce, y compris via les essais cliniques et la généralisation de mannequins féminins pour l’apprentissage des massages cardiaques. Il s’agit là d’un passage absolument nécessaire pour atteindre une société réellement égalitaire.
Cet article est tiré de l’étude FPS de Fanny Colard « Femmes et maladies cardio-vasculaires. Quand une approche non genrée de la santé fait des ravages ».
[1] Lorsque nous évoquons des éléments biologiques liés au sexe d’une personne, le terme « femme » recouvre ici l’ensemble des personnes ayant des caractéristiques physiques dites féminines pouvant avoir une influence sur les maladies cardio-vasculaires.
[2] La grossesse est également une étape physiologique typiquement féminine qui demande une prise en charge adaptée par rapport au diabète de grossesse, d’une potentielle pré-éclampsie, des facteurs de risques d’une grossesse après 35 ans, etc