Ex-gosse des’90, j’ai connu l’avènement du rap, ai eu ma période grunge et celle où je rigolais devant les Nuls, les Simpson ou South Park. Alors que j’ai toujours été mordue de musique, d’art et de cinéma, il m’arrive d’être de plus en plus souvent confrontée à cette question : peut-on être féministe et fan de pop culture? Car si tout n’est bien entendu pas à jeter, force est de constater que les œuvres qui m’ont biberonnée ne sont pas toujours des plus progressistes.
Aujourd’hui, lorsque je me rends au cinéma (où lorsque je binge-watch sans vergogne Netflix), je ne peux m’empêcher de sur-analyser chaque œuvre que je scrute derrière mon écran. Mes lunettes et mes oreilles genrées ne me quittent plus jamais (parfois au grand dam de mes proches). Je déplore les épouvantables tentatives commerciales des gros blockbusters qui cherchent à être « dans le coup » en insufflant sans nuance une vision pseudoféministe, j’analyse telle œuvre avec du recul en me disant que je devrais avoir honte d’avoir un jour ri ou aimé des discours qui au fond sont arriérés/dépassés/racistes/ sexistes (biffer la mention inutile). Bref, en faisant évoluer mon militantisme, j’ai parfois beaucoup de mal à prendre du recul sur ces œuvres auparavant vénérées… jusqu’à ne plus vouloir en voir, lire ou écouter certaines.
Un miroir grossissant de nos sociétés ?
Le monde culturel est le reflet de notre société. Dans ce domaine, les femmes sont souvent confrontées à un écrasant plafond de verre et connaissent de profondes inégalités salariales. Celles qui travaillent au sein des industries culturelles le sont souvent dans des emplois culturellement associés aux femmes. Par exemple en tant que costumière, secrétaire, etc.
Même s’il existe des femmes célèbres dans les domaines artistiques, elles sont généralement minoritaires et/ou invisibilisées. Comme l’explique Stacy L. Smith, fondatrice de The Annenberg inclusion initiative : « C’est encore un autre exemple de ce qu’on voit dans l’écosystème du divertissement : les femmes sont poussées à la marge ou exclues des processus créatifs».
À la tête de ces industries culturelles, mais aussi au cœur de plus petites administrations se trouvent en grande majorité des hommes blancs, cisgenres et valides. Les chiffres en Fédération Wallonie-Bruxelles nous le confirment : « Dans le secteur des arts de la scène, 70 % des 30 organismes les mieux financés sont dirigés par des hommes ; ils gèrent 80 % des budgets concernés. Dans celui du cinéma, 68 % des aides à la production sont attribuées à des hommes. Dans celui de la littérature, 70 % des bourses sont attribuées à des hommes. »
Ces magnats présentent des contenus pour des publics qui leur ressemblent, au risque de créer des personnages stéréotypés et sans nuances. C’est ce qu’on appelle le male gaze. Théorisé par la critique de cinéma et réalisatrice anglaise Laura Mulvey, le male gaze est présent dans toutes les industries culturelles : de la publicité à Lara Croft, en passant par les statues de femmes nues dans l’espace public.
Ce manque de diversité et d’égalité à différents niveaux de production est également présent dans les instances décisionnelles ou les jurys. Ainsi, de nombreuses polémiques ont entaché les grands événements du cinéma (#oscarsowhite, festival de Cannes), mais aussi ceux de la musique où aucune femme n’a été nommée aux Victoires de la musique 2021 pour l’album de l’année et où la faible représentation de nominées aux Grammy Awards a fait beaucoup parler d’elles.
Un féminisme qui fait « pop »
Les femmes, bien que souvent invisibilisées, ont toujours contribué de près ou de loin à faire naître de nouvelles œuvres et talents. Certaines telles qu’Alice Guy, Bette Davis ou encore Madonna ont affronté fièrement les stéréotypes de genre pour s’affirmer dans cet entre-soi masculin.
Si les industries culturelles témoignent encore d’inégalités sociales et de genre flagrantes, un nouveau courant féministe affiche à contrario une militance décomplexée en parallèle du mouvement #MeToo. Des artistes telles que Beyoncé, Taylor Swift ou Angèle dénoncent le sexisme, le racisme et les discriminations dont elles sont victimes. Si certain·e·s voient dans ce féminisme pop un détournement édulcoré et commercial de la militance, d’autres célèbrent ces icônes de la pop culture, porte-paroles de la troisième vague féministe.
Même si le chemin à parcourir est encore long, d’importantes remises en question ont été faites. Puisque la culture est finalement très politique, n’oublions pas non plus que des organismes et des associations se battent chaque jour pour assurer une meilleure représentation des femmes, des personnes racisées, des LGBTQIA+ ou encore des personnes en situation de handicap dans la culture, et ce de façon plus ou moins médiatisée.
Être curieuse·eux avant tout
Être féministe, c’est parfois affronter ses propres contradictions, zones grises et dilemmes moraux. Face à la culture, c’est se confronter à un prisme déformant de nos réalités et à des démarches dénigrant nos combats. C’est rire un bon coup puis lever les yeux au ciel lorsque Ross balance ensuite une grosse blague misogyne dans Friends. Mais, plutôt que constamment se culpabiliser, n’est-il pas plus pertinent de questionner l’œuvre dans son ensemble ? D’étudier la petite histoire dans la grande, celle qui fait avancer nos causes ? Bref, de transformer certaines représentations et compositions dépassées/caricaturales en outil d’études, de déconstruction et de débat. Et ainsi dénoncer des démarches et des propos problématiques tout en se réappropriant la production culturelle. Comme l’explique le chercheur Stuart Hall, « la culture populaire est le lieu où l’hégémonie peut poindre, mais aussi être combattue ».
Être féministe c’est aussi soutenir la culture féministe et celles des femmes de tous horizons. Valoriser la place des femmes dans la culture en racontant leurs parcours et leur histoire, en (re)découvrant leurs œuvres. C’est être passeuse·eur voire conceptrice·teur de culture.
C’est également militer pour une meilleure représentativité des femmes dans les instances de décision et de création culturelle, même si la solution à apporter doit avant tout être sociétale et collective.
C’est enfin, comme l’explique Mimi Haegel dans le magazine Madmoizelle, se réjouir lorsque notre « filtre féministe » détecte des éléments positifs dans les œuvres. Puisque ce fameux filtre ne me quittera jamais vraiment, c’est accepter de le porter au quotidien et ne pas oublier comment celui-ci influence mes yeux, mes oreilles et mon cœur.