Dans les séries télé et les films, entre ami∙e∙s en soirée ou en confidence, en blagues légères, dans les magazines, à la radio… on parle de sexe, on représente le sexe, on voit du sexe. Beaucoup. On en parle mal, souvent – en taisant certaines sexualités, véhiculant des représentations sexistes, passant sous silence des tabous –, mais difficile d’échapper au message que la vie humaine, la vie adulte, est censée être occupée en grande partie par le désir sexuel. La nouvelle injonction du siècle, à l’inverse de la pudeur et la restriction des siècles précédents, est d’avoir une sexualité dite « active » et « épanouie », sans que ces termes ne soient jamais réellement définis et questionnés. Or, il existe des personnes à qui le sexe, ça ne dit rien, vraiment rien. Des personnes qui n’y pensent pas. Des personnes qui ne ressentent pas ce type de désir vers autrui. Et non, elles ne sont ni frigides ni malades. Et oui, elles peuvent aussi avoir une vie et des relations amoureuses épanouies.

L’asexualité, qu’est-ce que c’est ?

L’asexualité se définit comme une absence de désir sexuel, ou alors seulement ponctuellement et rarement ou dans certaines conditions, pour les personnes se définissant comme gray-sexuelles ou demi-sexuelles. Cette absence de désir ne représente aucun manque ni aucune souffrance en soi. Comme pour toute expérience humaine, il vaut mieux parler de spectre de l’asexualité, puisqu’il existe un grand nombre de nuances et de manières de la vivre. Les personnes qui se revendiquent asexuelles présentent leur non-désir comme une orientation sexuelle à part entière. Il ne s’agit pas de définir ce que serait ou pas la sexualité en termes de pratiques, mais bien de parler de désir. Ainsi les personnes abstinentes ne sont pas forcément asexuelles ; et des personnes asexuelles peuvent avoir une sexualité (seules ou en relation, d’un type ou d’un autre) pour une multitude de raisons.

Une invention moderne ?

Il semblerait que l’asexualité ait toujours existé et fasse simplement partie de la diversité des orientations sexuelles possibles. Simplement, à d’autres époques, il n’existait pas de nécessité de défendre cette absence de désir ! La sexualité était de toute façon moralement restreinte aux relations au sein du mariage, entre homme et femme, dans un but de procréation ; les femmes n’étaient pas censées avoir de désir ; des choix de vie et carrières permettaient une vie sans sexe, et cela a même été valorisé dans de nombreuses sociétés et époques. La nécessité de se nommer et se revendiquer est apparue dans une société hyper-sexualisée, où une certaine « libération sexuelle » est devenue la norme et l’injonction. De nos jours, les personnes asexuelles peuvent être psychiatrisées (leur absence de désir est définie comme une maladie mentale), culpabilisées par leur entourage. Elles risquent également parfois de subir mises à l’écart, pressions, voire agressions. Certaines dénoncent l’exclusion même des milieux queer [1] , et des lieux de rencontre amoureuse, très axés sur l’attirance sexuelle. Avoir un mot pour se définir et une communauté au sein de laquelle s’exprimer et être compris·e est salvateur. Alors qu’il peut exister des personnes pour lesquelles l’absence de désir est un réel problème personnel (par exemple une baisse de libido suite à la prise d’un traitement médicamenteux, ou en raison de stress chronique), il y en a d’autres qui se découvrent asexuelles et pour qui cela est une véritable libération, une explication à leur dite « anormalité » de toute une vie, et une permission de vivre enfin librement, comme elles le sentent. Tout récemment, la série britannique Sex Education, diffusée sur la plateforme Netflix, a intelligemment pensé à introduire un personnage asexuel, au milieu de toute cette effervescence adolescente hormonale ; la jeune fille en question s’est sentie soulagée d’apprendre qu’il y avait un nom pour son non-désir, et qu’elle n’était pas « cassée » ni malade. La représentation dans la fiction est importante !

Aimer et être asexuel.le

Attention aux préjugés ! Les personnes qui ne ressentent pas d’attirance sexuelle peuvent très bien ressentir une attirance amoureuse. Leur orientation affective peut être homoromantique, hétéroromantique, biromantique, etc. Il existe aussi des personnes se définissant comme aromantiques (qu’elles soient asexuelles, pan-, bi-, homo- ou hétérosexuelles), c’est-à-dire n’éprouvant pas d’attirance amoureuse. Toutes les orientations sexuelles comme affectives sont légitimes, personne ne devrait subir de pression à une sexualité ou des relations qui ne lui conviennent pas.

[1]  À l’origine une insulte (signifiant « bizarre » en anglais), le terme a été réapproprié pour désigner sans catégorisation rigide l’ensemble des identités et modes de vie s’éloignant des normes de genre.

Eva CottinAutrice