La crise sanitaire du COVID-19 a nécessité la mise en place de mesures d’urgence confinant la population pour une durée indéterminée. Un contexte inédit qui a bousculé nos modes de vie : échanges intensifiés en ligne, fréquentation moindre de l’espace public… Malheureusement, ces formes d’adaptation ont accentué la vulnérabilité des femmes face aux violences qui sont perpétrées à leur égard. Du côté des associations spécialisées, les initiatives se sont rapidement multipliées pour leur venir en aide, alors que le monde politique peine à adopter des réponses systémiques.
Des chiffres en hausse et des formes de violences multiples
Ce sont, dans un premier temps, les cas de violences intrafamiliales qui ont suscité l’inquiétude des professionnel·le·s de terrain. Isolement renforcé, promiscuité avec l’auteur, présence continue des enfants, stress dû au contexte… Ces facteurs, combinés à un accès réduit aux services d’aide et de soutien, ont mis bon de nombre de femmes, et d’enfants, en danger. En Belgique francophone, la ligne Écoute Violences Conjugales a enregistré trois fois plus d’appels par jour durant la crise sanitaire . En Europe, l’Organisation Mondiale de la Santé a constaté, en avril 2020, une augmentation de 60% des appels d’urgence des femmes victimes de violences entre partenaires. Mais les agressions dont les femmes sont victimes n’ont pas lieu uniquement en vis-à-vis et/ou au sein du domicile. Le harcèlement dit « de rue » en est un exemple frappant. De nombreuses femmes ont déclaré qu’en l’absence de témoins dans l’espace public, leurs rares sorties étaient souvent ponctuées de regards insistants, de sifflements voire d’insultes. Résultat : elles ont favorisé des lieux plus fréquentés, en dépit des recommandations sanitaires et/ou elles ont évité de se promener. Et si internet et les réseaux sociaux ont envahi notre quotidien en confinement, les femmes ne s’y expriment pas pour autant plus librement. Là aussi, les cas de cyberharcèlement, et plus particulièrement de revenge porn [1], ont explosé. Des menaces sexistes bien réelles qui ont un impact dévastateur sur les victimes, souvent mineures : troubles du sommeil, anxiété, repli sur soi, voire – tentatives de – suicides. Ainsi, la période de confinement, déjà éprouvante, s’est doublée pour les femmes d’une recrudescence de toutes les formes de violences à leur égard. Tant l’espace privé que public ou virtuel sont, pour elles, source d’insécurité et les agressions qui y sont perpétrées les cadenassent, les oppriment et les poussent à adopter des comportements d’évitement, au détriment de leur bien-être et de la jouissance de leurs droits
Des solutions locales initiées par les associations de terrain
Face à l’aggravation des conditions de vie des femmes victimes de violences intrafamiliales, les structures spécialisées se sont montrées proactives. Comme nous l’explique Linda Culot, directrice du Centre de Planning familial des FPS de Namur et du service d’accueil, d’orientation et d’accompagnement des victimes de violences conjugales Ça vaut pas l’coup : « Cette période a été encore plus anxiogène pour les victimes et savoir qu’elles pouvaient être entendues et soutenues dans leurs souffrances au quotidien a permis à la plupart des personnes de traverser cette épreuve du confinement ». C’est pourquoi l’équipe est restée très attentive et a maintenu les contacts par téléphone, mails ou SMS, ainsi que les suivis psychologiques : « Il fallait être au plus proche des réalités et des difficultés des victimes ». Par contre, ajoute-t-elle, « dans les situations d’urgence, l’idée était de pouvoir garantir une alternative aux victimes qui n’avaient d’autres choix que de s’enfuir pour assurer leur sécurité ainsi que celle de leurs enfants ». C’est dans ce cadre que le service Ça vaut pas l’coup, en collaboration avec les FPS et Vie Féminine, a décidé de rédiger un courrier à l’ensemble des bourgmestres des 38 communes de la province de Namur afin de leur demander de libérer des chambres d’hôtels, des gîtes et/ ou des logements de transit. La ville de Namur a, quant à elle, mis à disposition un hôtel, le transformant en structure d’accueil d’urgence temporaire pour les victimes de violences conjugales et leurs enfants. À Liège aussi, un partenariat s’est développé entre la ville, la police, les CPAS, les pharmacies et les associations, notamment féministes, afin de lancer la campagne Pharmacien·ne·s et libraires : mes confident·e·s. Celle-ci permet aux victimes de demander de l’aide de manière sûre, dans des lieux accessibles durant le confinement.
Dans l’attente de réponses globales et coordonnées
Face à l’urgence, de nombreuses collaborations se sont créées au niveau local entre les acteurs associatifs et communaux. Ces nouveaux réseaux de solidarité ont été en mesure de s’organiser rapidement afin d’apporter des solutions concrètes aux femmes victimes de violences. « Ce que nous avons pu mettre en place en quelques jours, nous savons qu’avant confinement, cela aurait mis beaucoup plus de temps à se concrétiser », nous confirme Linda Culot. Pour elle, une prise de conscience a été enclenchée auprès des représentant·e·s politiques et les médias ont permis à l’opinion publique de se questionner à ce sujet. Mais, bien sûr, cela est loin d’être suffisant. Tout d’abord, parce que la disparité entre les communes belges en termes de moyens financiers et humains demeure importante. Ensuite, parce qu’il s’agit de mesures temporaires, qui relèvent du caractère inédit de la crise sanitaire. Pourtant, COVID-19 ou non, la Convention d’Istanbul, ratifiée depuis 2016 par la Belgique, impose la mise en place d’un certain nombre de mesures pour lutter contre les violences faites aux femmes, telles que la création de nouvelles places en structures d’accueil d’urgence, la formation des professionnel·le·s de première ligne, dont les forces de l’ordre, ou encore la diffusion de campagnes de sensibilisation. Ces actions requièrent dès lors l’élaboration de politiques globales et coordonnées, financées en conséquence. Ces revendications, portées depuis longtemps par la société civile, ne peuvent plus être ignorées.
[1] Partage, distribution et diffusion de contenus à caractère sexuel sans le consentement de la personne concernée.