L’actualité hivernale a été marquée par la naissance du mouvement des gilets jaunes. Symbole d’un ras-le-bol général, ces mobilisations ont vu le jour suite à une énième mesure d’austérité du gouvernement français. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase ? L’augmentation du prix des carburants, allongeant ainsi la longue liste des mesures qui fragilisent encore un peu plus toute une frange de la population. En Belgique également, les décisions de nos élu-e-s riment trop rarement avec justice sociale et renforcent la précarité, qui touche davantage les femmes. Présentes depuis les premiers jours du mouvement, quelle est leur place au sein de celui-ci et quelles sont leurs particularités ?

Les femmes en première ligne !

Familières des boulots précaires, des bas salaires et du temps partiel, très majoritaires à la tête de familles monoparentales (dont près de 50  % vivent sous le seuil de la pauvreté ), habituées aux doubles journées… les femmes subissent de plein fouet les effets des décisions antisociales. Les revendications des gilets jaunes, portées entre autres sur le déclin des services publics, mais aussi de la sécurité sociale, les concernent donc à part entière. Sans surprise, on les retrouve sur le terrain, près des lieux de blocage même si, dans de nombreux médias, on lit que la présence des femmes serait presque une révolution en elle-même. Pourtant, l’historienne Mathilde Larrère le rappelle : « A chaque fois, on s’étonne de la présence des femmes dans les mouvements sociaux. Alors qu’elles sont toujours présentes». Elle ajoute : « Il n’y a pas une révolution sans les femmes. (…) Alors certes, elles (…)le sont un peu moins dans les syndicats et dans les partis parce qu’on ne leur laisse pas la place (…) À l’inverse, elles sont là dans toutes les mobilisations et les associations. La majorité de celles-ci repose sur la présence des femmes» .

Des rôles genrés chez les gilets jaunes ?

Dans certains lieux, elles ont pris l’initiative d’occuper un rond-point. Ailleurs, elles participent activement aux manifs et se retrouvent parfois en première ligne. Cependant, comme dans le reste de la société, les rôles et actions des militant-e-s restent souvent genrées. La chercheuse Magali Della Sudda le constate  : «  De manière traditionnelle, elles ravitaillent les gens qui vont sur les ronds-points, même si on a pu remarquer quelques hommes faisant la cuisine. » Les femmes continuent ainsi à assurer les soins aux autres (cuisiner, s’occuper des blessé-e-s,…) et une certaine charge mentale de l’organisation. Dans le podcast « Où sont les casseuses ? », la philosophe Elsa Dorlin explique le lien entre les genres et l’appropriation de l’espace dans lequel on se trouve : « Dans la socialisation, en tant que garçon ou homme, il y a une forme d’autorisation beaucoup plus grande à l’usage de la violence, et même tout simplement à l’usage du corps» et ce, dès le plus jeune âge. De plus, la force est davantage mise en avant et favorisée chez les hommes même si, au quotidien, les femmes aussi «  font l’expérience d’une puissance, mais peut-être dans des choses qui sont moins considérées comme leur permettant après d’agir» (porter les courses, les enfants, pousser une poussette…). Dans la société patriarcale, une femme utilisant la force voire la violence, surprendra et se verra éventuellement qualifiée d’hystérique ou de folle. Dans le mouvement des gilets jaunes, ce rapport entre le corps et l’espace se traduit par des actions parfois plus pacifiques des femmes, qui s’opposent par exemple à dégrader des biens, à l’affrontement direct ou violent avec la police, à bloquer 100 % du trafic routier, etc.

Gilets jaunes féminines et gilets jaunes féministes

Pour se distancier de la violence des casseurs, des centaines de femmes gilets jaunes se sont rassemblées en janvier. Leur message portait essentiellement sur les discriminations qu’elles vivent et la précarité qu’elles connaissent plus que n’importe qui d’autre. On pouvait voir des revendications et des modes de fonctionnement semblables à celles et ceux du militantisme féministe, même si les porte-paroles de l’initiative insistaient  : c’est une mobilisation féminine, pas féministe. Très contrasté, le mouvement rassemble des citoyen-ne-s aux convictions diverses. C’est ainsi qu’on retrouve à la fois des militant-e-s féministes – les associations féministes ont par ailleurs montré leur soutien -, mais aussi des misogynes aguerris qui n’hésitent pas à s’attaquer plus ou moins ouvertement et violemment aux femmes. Certain-e-s considèrent que c’est avant tout «  un mouvement de consommateurs et pas un mouvement politique : le pouvoir d’achat avant tout». Pourtant, on l’a vu, les luttes peuvent converger. La question environnementale est rapidement arrivée dans le débat et des ponts entre justice sociale et justice climatique sont sans cesse faits. Les enjeux d’égalité sont déjà bel et bien présents dans le mouvement, mais peut-être encore trop peu visibles, comme ces battantes, ces femmes gilets jaunes qu’on découvre de jour en jour.

Mathilde LargepretAutrice