Stéphanie Darmont est assistante sociale pour l’association Les Trois Portes à Namur. Depuis près de 15 ans, elle accompagne femmes et enfants victimes de violences au sein de la maison d’accueil. Stéphanie les aide à s’épanouir et s’autonomiser au quotidien. Plus qu’un logement, Les Trois Portes représente un véritable foyer pour les victimes, qui le rendent bien aux équipes de la maison. Rencontre.
À quoi servent les maisons d’accueil ?
L’objectif des maisons d’accueil, c’est de proposer un accompagnement psychosocial et éducatif à toute personne en difficultés sociales. Les publics sont donc très variés. Les personnes qui rentrent chez nous veulent pour la plupart retrouver un logement pérenne et établir une certaine stabilité dans leur quotidien.
Dans le cadre de violences conjugales, femmes et enfants sont accueilli·e·s car il y a souvent une perte de logement suite à ces faits de violence. Notre décret prévoit 9 mois d’hébergement qui peuvent être prolongés sur base d’une dérogation auprès de la région wallonne (et cette demande doit être motivée). Le délai maximum d’hébergement en maisons d’accueil, c’est un an et demi.
Comment les familles sont-elles sélectionnées ?
La maison d’accueil est souvent complète, on fonctionne par liste d’attente. Pour chaque composition familiale (1, 2, 3 enfants…), il y a une liste d’attente différente. Pour pouvoir entrer en maison d’accueil en Région wallonne, il faut être en détention d’un titre de séjour légal en Belgique. Donc on ne peut malheureusement pas accueillir des victimes de violences conjugales et intrafamiliales qui sont dans un parcours illégal en Belgique.
Le 2e critère, c’est que le décret nous impose de calculer des frais d’hébergement particuliers en fonction des revenus des personnes. Il y a donc une quote-part qui est payée par les femmes et à côté de ça, on demande une intervention sociale auprès des CPAS. Mais malheureusement, tous les dossiers ne sont pas forcément acceptés.
Pour obtenir une place, les délais sont très fluctuants. On a parfois beaucoup de demandes simultanées puis plus de demandes pendant quelques temps. Entre-temps, généralement et heureusement, les personnes sur liste d’attente ont trouvé des solutions dans d’autres structures d’accueil ou d’autres ressources externes. À l’inverse, certaines personnes sont toujours en attente et renouvellent leur demande. Dans ce cas-là, nous les rappelons.
Comment assurez-vous la sécurité des femmes et des enfants ?
Nous ne sommes pas un refuge, il y a des institutions spécialisées pour ce type de besoin. Lorsque l’on recherche notre maison sur internet, on trouve facilement l’adresse. Il y a quand même tout un dispositif qui est mis en place. Il y a une barrière avec des caméras où il faut sonner et où nous observons qui rentre et qui sort. C’est important de rappeler que dans le cadre de violences conjugales, il n’y a pas forcément de séparation des conjoints. Mais si le motif d’accueil dans notre maison, c’est une situation de violences conjugales, monsieur ne rentre pas chez nous. Madame peut le voir à l’extérieur si elle le souhaite mais pour veiller à la sécurité de tout le monde, c’est important qu’elle garde cette bulle de sécurité en interne.
Comment accompagner les femmes et enfants victimes de violences ?
Nous avons la chance d’avoir une équipe pluridisciplinaire au sein de la maison. Nous avons des éducatrices·teurs de jour, disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, des assistantes sociales, une psychologue, une infirmière en santé communautaire, une psychomotricienne, etc. Tout cela permet de participer au processus de sécurisation de la personne. On est une grande équipe mais le réseau externe reste indispensable. On va notamment travailler avec des avocat∙e∙s qui sont spécialisé∙e∙s dans les domaines des violences conjugales.
Nous sommes une parenthèse bienveillante dans la vie de ces familles. On ne va jamais aller plus loin que ce que la victime se sent capable d’effectuer. On va respecter son rythme. Notre priorité c’est vraiment de pouvoir assurer une sécurité physique, psychique. Offrir un cordon sanitaire aux victimes et vraiment veiller à ce qu’adultes et enfants, puissent vraiment se réapproprier une place.
C’est important de leur rappeler que le fait d’être victime ne les définit pas. On est là pour elles mais surtout pour qu’elles puissent activer des ressources internes et externes pour reprendre le pouvoir de leur situation, de leur rôle parental et de leur vie. On ne fait pas les choses à leur place.
Pourquoi est-ce souvent les femmes qui quittent le domicile dans le cadre de violences ?
La Belgique est l’un des rares pays à avoir légiféré sur les violences conjugales. Malheureusement, c’est encore la victime qui paye les pots cassés et qui doit quitter le domicile conjugal pour sa propre sécurité et celle de ses enfants. C’est une double peine.
Ces femmes vivent l’impensable et le jour où elles sont en mesure de trouver les ressources pour quitter cet environnement, c’est encore à elles de se sacrifier et de sacrifier le bien-être de leurs enfants pour plonger dans l’inconnu. Cet inconnu peut vraiment être terrifiant, notamment pour des personnes qui ont été isolées, qui ne disposent pas de ressources financières ou logistique pour fuir. Quand les victimes arrivent en maison d’accueil, c’est un monde totalement inconnu, dans lequel elles n’ont aucun repère et où elles sont parfois très loin du domicile conjugal.
Malgré leur détresse, l’enfer qu’elles vivaient, elles étaient aussi dans des environnements où elles se sentaient bien, où elles avaient leurs habitudes. Venir chez nous, c’est se retrouver dans une collectivité. C’est parfois s’éloigner de l’école de leurs enfants. Tous ces repères sont bousculés.
Le responsable de faits de violence n’est pas [toujours] puni pour ses comportements. C’est à la victime de faire son baluchon. On a parfois des femmes qui arrivent chez nous sans chaussures, tellement elles se retrouvent dans des situations d’urgence psychique et physique. Ça ne devrait pas être aux victimes de quitter le domicile, mais bien à l’auteur [1].
Il existe des mesures d’éloignement du domicile, où l’auteur est censé ne plus approcher la victime. Le problème c’est que c’est très peu appliqué et qu’il faut une décision de justice pour cela. Les moyens sont pauvres pour assurer ce cordon sanitaire. Nous ne sommes donc pas friand∙e∙s de courir auprès des services de police pour déposer plainte, mettre en oeuvre des procédures qui vont demander beaucoup d’énergie, parfois sans résultat. On ne fait ces démarches qu’à la demande de la victime.
Quels sont les enjeux en matière de logement pour ces femmes victimes de violences ?
Les femmes à la tête de familles monoparentales sont les plus précaires. On sait également que se reconstruire dans des situations de violence conjugale ça prend énormément de temps, que la recherche de logement demande une énergie de dingue.
Aujourd’hui, ce qui m’inquiète, c’est la difficulté croissante de trouver un logement pour les publics les plus précarisés. Notamment quand on n’a pas coché les bonnes cases dans la vie. Dans les affaires de violences conjugales, les victimes ont été isolées et sont souvent dépendantes des revenus de leur conjoint.
Trouver un logement quand on est une femme, en étant bénéficiaire du CPAS, sans ressource salariale, sans garantie locative ou épargne, en ayant plusieurs enfants à charge ou lorsqu’on est d’origine étrangère, c’est très compliqué.
Elles ont été tellement malmenées qu’elles ne se croient pas capables de gérer le quotidien. Elles doivent apprendre à se recentrer sur elles car les besoins du conjoint ont toujours primé sur leurs propres besoins. Elles n’ont pas l’habitude que l’attention soit centrée sur elles et donc, c’est vraiment tout un apprentissage et une réappropriation qui va se faire.
Quand on arrive en maison d’accueil, on pleure. Quand on en part, on pleure aussi mais pas pour les mêmes raisons. Rentrer chez soi c’est difficile, mais quitter une maison d’accueil dans laquelle on a eu ce cordon sanitaire et bienveillant, c’est très difficile aussi.
[1] Afin de mettre en lumière la dimension sexiste des rapports de domination et de violence, nous utiliserons le terme « auteur » au masculin et non en inclusif