Le 31 mars dernier, dans les rues de Londres, les passant-e-s ont eu la surprise de voir flotter sur les toits de la ville… des seins géants ! Derrière cet évènement se cache une marque spécialisée dans la commercialisation de produits féminins technologiques qui voulait mener une opération marketing choc. Bien que l’objectif soit publicitaire, cette campagne, appelée #FreeTheFeed (libérez l’allaitement) a le mérite de mettre en lumière un sujet tabou et polémique : l’allaitement dans l’espace public.

Selon un sondage réalisé par le Département de la Santé britannique, six femmes sur dix qui allaitent leur enfant disent prendre des mesures pour le cacher en public. Un tiers d’entre elles disent ressentir une véritable gêne à le faire en dehors de chez elles.

POURQUOI ALLAITER EN PUBLIC SUSCITE-T-IL UNE TELLE GÊNE ?

Dans une société où il est fréquent de voir une femme presque nue dans une publicité pour une cuisine ou une grande marque de parfum, cette question semble des plus absurdes. La réponse réside probablement dans l’ambivalence de la perception du sein. D’un côté, le sein érotique de la femme, de l’autre, le sein nourricier de la mère. Or, dans notre société patriarcale, c’est l’érotique, le sexualisé qui domine. Nous évoluons dans une culture qui souffre de ce que les psychologues appellent le syndrome de  La Madone et de la Putain. Syndrome qui rend antagonistes la féminité, la sexualité et la maternité. Il a, par exemple, fallu attendre 2014 et la campagne #FreeTheNipple (libérez le téton) pour que Facebook ne censure plus systématiquement, à l’instar des images pornographiques, les photos de mamans allaitantes. Malgré ce léger aménagement de leurs «  standards de la communauté », la discrimination des femmes persiste sur le réseau social quand il s’agit d’exposer un sein dans un contexte artistique ou de manifestation politique (les Femen par exemple). Face à ce constat, Bianca Debaets, la secrétaire d’État à la Région bruxelloise et membre du Collège de la Commission communautaire flamande (VGC) chargée du Bien-être et de la Santé, ainsi que le groupe de sages-femmes mobiles Wheel of care ont lancé en 2017 une campagne intitulée #breastfriend (ami-e de l’allaitement). Cette initiative permet à des lieux publics bruxellois tels que des bars, des restaurants ou des centres socioculturels de rendre visible, grâce à un autocollant, le fait que les jeunes mamans sont les bienvenues pour allaiter leur enfant. L’ensemble des établissements participants sont repris sur la page www.breastfriends.brussels.

Nous saluons ce genre de démarche qui vise à faciliter la vie des mamans allaitantes. Il nous semble cependant important de rappeler que, tout comme la décision d’avoir des enfants ou non, l’allaitement doit être un choix libéré de toute convention sociale. Le corps de la femme devenue mère a tendance à devenir le lieu où s’expriment toutes les contradictions des normes que la société veut lui imposer qu’elles soient patriarcales, mais également économiques, sanitaires, ou encore sexistes. Pourtant, une seule et unique chose doit peser dans le choix que pose la mère quand il s’agit d’allaitement : son envie. Sa liberté de choisir l’allaitement ou pas.

Elles/ils témoignent :

«  Bien sûr que je préfèrerais être dans mon fauteuil à bascule en écoutant de la musique relaxante à chaque fois que je nourris mon enfant, mais c’est impossible. S’il a faim et que je suis au milieu d’un parc, je le nourris, point. Ça me semble dingue qu’il existe un vrai débat qui pose la question de savoir si c’est décent ou pas de le faire ! » Juliette 33 ans, 2 enfants.

« Dans les premiers jours après la naissance de mon garçon, je m’isolais pour allaiter : dans une chambre, dans une pièce à l’écart, dans une voiture. Mais très vite j’en ai eu marre. Je me sentais coupée de mes amis, de mes sorties… Alors j’ai décidé d’allaiter en public. Au début, ça relevait de la stratégie  : choisir un vêtement adapté, mettre une écharpe pour se couvrir, mettre le bébé au sein d’un bras et tenir l’écharpe de l’autre sans faire tomber le bébé qui hurle de faim… Et puis, au fur et à mesure, je me suis détendue et me suis détachée du regard des autres. Un bout de sein qui apparaît, ce n’est pas un drame après tout ! » Alix, 32 ans, un enfant.

«  Je dois bien avouer qu’imaginer ma femme sortir un sein en public, même si c’est pour nourrir notre enfant, ça ne me plaît pas beaucoup… difficile d’expliquer, de la jalousie sans doute. » Maxime, 20 ans, pas d’enfant.

«  J’ai parfois allaité ma fille en public mais rarement. J’aurais aimé pouvoir le faire librement mais c’était peu courant à l’époque. Je me suis souvent cachée dans des lieux pas très agréables comme des toilettes ou des réserves de magasins.  » Annie 59 ans, un enfant.

«  Je ne voudrais pas que ma compagne se prive de vie sociale “juste” parce que notre enfant a faim. Elle est assez pudique donc elle se recouvre d’une petite couverture mais même si elle ne le faisait pas, je la soutiens et l’encourage à 100  %  !  » Thomas 42 ans, 2 enfants.

«  C’est une vraie question  ? Je la trouve absurde, je ne me la suis jamais posée et je suis bien triste pour les femmes de me rendre compte qu’elles doivent subir toute cette pression ! » Louis 29 ans, pas d’enfant.

Rosine HerlemontAutrice