Analyse réalisée par Amélie Roucloux
Pendant très longtemps, les femmes – et plus particulièrement les femmes seules – se sont trouvées dans un angle mort de l’histoire . Cela s’explique par le fait que, comme leur rôle socio-économique a été lié, pendant des siècles, à l’espace domestique, elles sont peu apparues dans l’espace public, laissant dès lors peu de traces dans les archives historiques. En effet, la famille « est le véritable ancrage de l’existence des femmes » , et, alors que le travail est pour l’homme la condition nécessaire et absolue de son insertion, le travail n’intègre pas la femme dans la société. Toutefois, au cours du XIXe siècle, la séparation s’accentue entre le lieu de travail et celui du domicile. Pour contribuer à faire vivre le ménage, les femmes quittent alors l’espace domestique. Mais, bien qu’elles constituent une force d’appoint économique indispensable, cette désertion est mal vue et le travail ne constitue toujours pas une façon « moralement » acceptable de vivre pour les femmes . Ainsi, si les femmes apparaissent dans les archives, c’est bien souvent dans le sillage de l’homme avec qui elles vivent.
Les femmes seules – nous entendons par là sans mari – sont donc d’autant plus invisibles. C’est pourquoi, nous avons voulu les faire sortir de l’ombre, et analyser le statut qu’elles occupent au XIXe siècle et les représentations qu’en ont leurs contemporains. L’objectif de cette analyse est de faire émerger des mécanismes qui, aujourd’hui encore, participent à la discrimination des femmes.
Mais, si les femmes seules ne sont pas visibles dans les archives, sur quoi allons-nous baser notre analyse ? Il existe un type de source où les femmes peuvent apparaître en dehors de la présence d’un homme : les dossiers d’assises. Ainsi, ce sont deux dossiers d’assises, qui datent du XIXe siècle et dans lesquels des femmes ont été victimes de violences et de meurtre, qui nous serviront de base. Il est indispensable d’insister ici sur la maigreur de l’échantillon repris, qui ne permet donc pas de faire une étude générale de la société du XIXe siècle. C’est pourquoi, nous avons choisi un fil conducteur : l’histoire du genre. Grâce à celui-ci, ces faits-divers pourront être analysés dans une réalité plus globale. Ainsi, nous pourrons dégager le regard posé par la société sur les deux victimes, ainsi que les mécanismes de discrimination qu’elles ont connus et qui les ont menées au pire.
Comme le signale Arlette Farge : « Vagante, hors du modèle traditionnel de l’amour et du couple, la solitude féminine est une sorte de déviance. Son autonomie ne peut dès lors se raconter que sous deux rubriques, celle du délaissement et celle du dévergondage » . Pour cette analyse, nous analyserons deux cas de figure portant sur une thématique similaire : les femmes seules. Cela nous permettra d’établir une comparaison entre les deux dossiers et de répondre à certaines questions. Le regard des contemporains sera-t-il différent en raison du fait que les deux victimes ne connaissaient pas le même type de solitude féminine ? Et, pourrons-nous, malgré des situations différentes, révéler des mécanismes de discriminations similaires ?
Lire l’analyse complète publiée en 2014 : Analyse2014-discriminations envers les femmes seules