Au cours des vingt dernières années, le secteur de la santé a été mis à contribution pour assainir les finances publiques en Europe. Notre pays ne fait pas exception. Ces dix dernières années, l’assurance maladie a connu une période de restrictions budgétaires, amplifiée au cours de la dernière législature.
Mais, fin 2019, la pandémie de Covid-19 a déferlé sur le monde et la santé publique est revenue en tête des priorités politiques. On a ainsi vu de larges majorités parlementaires se former pour allouer de nouveaux moyens à la santé [1] . Dès son entrée en fonction, le nouveau gouvernement Vivaldi a décidé de rehausser la norme de croissance du budget des soins de santé de 1,5 % à 2,5 %, ce qui représente un investissement de 1,7 milliard € à l’horizon 2024.
Si on ne peut que se réjouir de ce revirement politique, il importe de tirer les leçons de cette crise et fixer les priorités pour les politiques à venir.
Car s’il est urgent de réinvestir dans la santé, il faut aussi changer de paradigme ! Plutôt que de mener une politique à court terme avec une approche exclusivement budgétaire et par silo, l’attention politique doit se focaliser sur une meilleure répartition des moyens en fonction des besoins avec une approche transsectorielle. Cette nouvelle politique de soins de santé doit s’appuyer sur une vision stratégique de santé publique à long terme. Sans avoir la prétention d’être exhaustif, voici quelques axes prioritaires pour cette nouvelle politique de soins de santé.
Réduire les inégalités sociales de santé.
Selon un rapport conjoint de la Commission européenne et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) , en Belgique, l’écart de besoins en soins médicaux non satisfaits entre les plus pauvres et les plus riches est le plus important de tous les pays occidentaux de l’Union européenne. Comme le révèlent différentes études , ces inégalités sociales de santé ont encore été exacerbées par la crise sanitaire. La santé étant la résultante de multiples déterminants, il est essentiel de mobiliser les politiques aux différents niveaux de pouvoirs autour d’un plan stratégique pluriannuel coordonné.
Sortir du financement dual de l’hôpital
La crise a révélé la fragilité du système de financement de l’hôpital, dont une partie des coûts fixes est financée par des honoraires à l’acte. Une fragilité financière, mais aussi une aberration économique qui incite à augmenter les volumes et les suppléments demandés aux patient·e·s pour combler des sous-financements. Il faut sortir de ce financement dual de l’hôpital pour mettre en œuvre un modèle plus stable, plus équitable et plus efficient de l’institution hospitalière et des médecins hospitaliers.
Consolider le paysage hospitalier sur base des réseaux.
Le remodelage du paysage hospitalier sur base des réseaux doit être approfondi. La collaboration interhospitalière au sein des réseaux cliniques locorégionaux pour déployer les infrastructures, les équipements et les services de manière plus efficiente doit être stimulée, en veillant à préserver l’accessibilité géographique des patient·e·s aux soins de proximité. Il faut aussi renforcer l’articulation entre le réseau hospitalier d’une part et le réseau sociosanitaire ambulatoire et institutionnel extra-hospitalier d’autre part, la crise ayant ici encore démontré la forte déconnexion entre ces différentes lignes de soins
Développer l’offre de soins de longue durée dans une logique de service public.
Selon le Bureau fédéral du Plan, au cours des vingt prochaines années les besoins en soins de longue durée devraient progresser 3 fois plus vite que les besoins en soins aigus. L’accès aux soins de longue durée est dès lors un enjeu politique central, car il comporte des risques importants d’accroissement des inégalités sociales et des inégalités de genre. L’expérience de la crise sanitaire a par ailleurs mis cruellement en évidence les efforts considérables qui restent à accomplir pour assurer des soins de qualité, respectueux des personnes âgées. Il est fondamental de renforcer les soins de longue durée dans une logique de service public.
Planifier l’offre médicale sur base des besoins et des objectifs de santé publique. Dans ses recommandations par pays dans le cadre du Semestre européen, le Conseil de l’Union européenne souligne que la pandémie de Covid-19 « a montré que la Belgique fait face à une pénurie structurelle de professionnel·le·s de la santé à laquelle il faut remédier » visant en particulier le métier d’infirmière·ier et le manque de médecins généralistes. Du personnel médical bien formé et en nombre suffisant est une condition nécessaire pour assurer une prise en charge de qualité dans des délais raisonnables. La planification de l’offre médicale doit s’appuyer sur un cadre général de la force de travail en soins de santé qui soit intégré, cohérent et dynamique qui prenne en compte l’impact des évolutions du système de santé sur les besoins. Il faut aussi encourager la délégation des tâches dans les métiers de la santé afin de gérer la tension croissante entre l’offre et les besoins. Enfin, la politique de soins de santé doit améliorer les conditions de travail des soignant·e·s.
Mettre en concordance les innovations thérapeutiques et leurs prix avec les besoins sociétaux.
La crise a agi comme une piqûre de rappel : l’accès universel aux médicaments essentiels, que l’on peut considérer comme des biens publics, est menacé par le droit exclusif des entreprises pharmaceutiques de produire les vaccins et les traitements qu’elles développent et de les mettre sur le marché au prix qu’elles fixent, alors même que leurs activités de recherche et développement ont été financées par l’argent des contribuables. Comme le soulignait Kofi Annan, l’ancien secrétaire général des Nations unies, il y a déjà 20 ans, « ni les marchés ni les gouvernements » ne peuvent, s’ils sont « livrés à eux-mêmes », garantir l’accès à ces biens essentiels. Plutôt que d’être en concurrence pour s’assurer un accès prioritaire aux médicaments innovants, il est urgent que les États parlent enfin d’une seule voix et placent la santé publique des populations au-dessus des intérêts privés des firmes pharmaceutiques. Il faut instaurer un modèle de « prix européen du médicament » équitable et transparent. Ainsi, la fixation du prix pour les médicaments innovants ne dépendrait plus de la capacité de négocier — ou plutôt de résister à la pression — de chaque système de santé individuellement.
[1] La création d’un « fonds Blouses Blanches » doté de 400 millions € pour financer l’augmentation de l’encadrement infirmier dans le secteur hospitalier en particulier, un montant de 200 millions € pour renforcer la prise en charge de la santé mentale en première ligne ainsi qu’une prime de solidarité unique de 300 € pour le personnel de la santé.