Bien plus qu’un outil, le web est devenu un espace public à part entière, modifiant en profondeur notre rapport au temps et à notre environnement. Il a aussi impacté notre accès à la connaissance et à l’information en offrant aux usagèr·e·s des entrées illimitées, instantanées et diversifiées d’un sujet traité. Si certain·e·s saluent ces évolutions de pratiques, d’autres s’inquiètent de la disparition d’une information de qualité. Analysons ensemble, au travers de quelques exemples, comment internet a bouleversé notre accès à l’information.
Les premiers médias d’information en ligne
En Belgique, dès le milieu des années 90, des groupes médiatiques comme Rossel développent les premiers sites internet d’information. Initialement présentés
comme des « copies » de leur pendant papier (avec les articles papier numérisés et une mise à jour ponctuelle des articles et contenus), les médias en ligne vont
rapidement représenter une véritable révolution en matière d’accès aux actualités. Des événements historiques comme le 11 septembre 2001 ont joué un rôle important dans la crédibilisation des médias en ligne, mais aussi dans leur évolution. Face à un afflux important d’internautes, les rédactions ont dû renforcer leurs équipes numériques pour offrir un traitement de l’information diversifié, via différents formats rédactionnels (vidéo, articles, etc.) et en temps réel. Internet se déploie en masse dans les foyers occidentaux. En 2004, l’arrivée de Facebook puis d’autres réseaux sociaux favorisent une communication et une
information plus horizontales [1]. Chaque utilisatrice·teur peut ainsi produire et relayer des contenus. Dès les années 2010, la plupart des médias traditionnels s’adaptent et créent des comptes sur les réseaux sociaux. Il existe également des personnes qui s’organisent hors des rédactions initiales pour fournir des informations sur ces réseaux (citoyen·ne·s, associations, personnalités, influenceuses·ceurs, etc.). Alors que les premiers PC cloisonnaient l’accès au web à un lieu fixe, l’émergence des smartphones facilite la connectivité permanente des usagères·ers, créant ainsi de nouvelles formes de consommation. Aujourd’hui, un tiers des Belges âgé·e·s de 16 à 64 ans disent s’informer sur les réseaux sociaux. De nouvelles façons de consommer l’actualité Au début des médias d’information en ligne, les contenus présents sur le web étaient généralement gratuits pour les particuliers et financés par les revenus publicitaires. Internet permettait alors de toucher un nouveau public tout en limitant les coûts logistiques et de productions que représentait une publication en format papier (impressions, distribution, etc.)[2]. Mais l’inflation, les crises successives, la concurrence accrue face à une offre grandissante et les nouvelles habitudes de consommation du lectorat ont contraint les rédactions à se réinventer pour fidéliser leurs publics, notamment en ligne.
Ne se limitant plus à un seul média, elles adoptent une stratégie transmédia c’est à dire que les rédactions produisent simultanément des vidéos, des podcasts et des articles. Cette stratégie permet de répondre aux nouvelles habitudes des audiences qui adoptent de plus en plus les contenus vidéo et multiplient les supports de recherche de l’information (télévision, pc puis smartphone). Ainsi, l’émergence d’internet a permis d’une part, le développement d’une incroyable diversité de canaux offrant aux publics d’appréhender une information de diverses façons. D’autre part, elle a également favorisé une ère de surinformation et de mésinformation.
Une information peu nuancée et dépolitisée ?
Face à une offre particulièrement dense, les plateformes se mènent une guerre sans merci pour maintenir notre attention et nous pousser à rester au maximum dessus (on appelle ça le capitalisme de l’attention). Financièrement, il est donc préférable pour les rédactions de valoriser des contenus attractifs, vulgarisés, pour répondre à des exigences de rendement toujours plus élevées. Il faut aussi produire vite pour se démarquer de la concurrence et répondre aux enjeux d’instantanéité de l’information produits sur le net. Ces éléments favorisent la simplification excessive des sujets traités (au risque de manquer de nuances et de recul critique). Par ailleurs, l’information présentée est ultra personnalisée pour répondre à nos valeurs. Cela risque de nous enfermer dans une bulle de filtres [3], nous offrant ainsi une vision biaisée du monde et donc un accès « en vase clos » à l’information. Face à la quantité de ressources présentes et à une concurrence accrue d’autres médias (numériques ou non), une information de qualité coûte particulièrement cher à produire. Ce climat est donc propice à la désinformation et au sensationnalisme au travers notamment de titres trompeurs et racoleurs pour générer plus de « clics ». Ces contenus sont particulièrement favorisés par les algorithmes. Pourtant, face à ce journalisme de l’instantanéité existe une presse à contre-courant, adepte de ce qu’on appelle le slow journalism. Au sein de ces rédactions, les contenus indépendants offrent une information critique et parfois politisée/orientée. A contrario de médias plus traditionnels, ceux du slow journalism produisent (beaucoup) moins mais mieux, pour inscrire les sujets traités dans la durée. Cette presse de niche est particulièrement coûteuse. Elle est généralement financée par le lectorat et reste donc une presse accessible à une petite frange de la population. Sans entrer dans le slow journalism, certaines rédactions croisent diverses démarches rédactionnelles.
Une horizontalité de l’information
L’arrivée d’internet, mais surtout des réseaux sociaux a permis une horizontalité de l’information. Toute personne active sur ces réseaux est susceptible d’être à la fois émettrice, relais et réceptrice d’une information/d’un contenu. La création de supports qualitatifs et crédibles s’est également facilitée grâce au développement d’outils peu coûteux et faciles d’utilisation (Capcut, Canva, Tik Tok, smartphones qui permettent de réaliser des photos de qualité, Intelligence artificielle, etc.). Il est donc possible, avec peu de moyens, de produire des contenus avec un rendu professionnel ou du moins impactant. Ces outils offrent une porte d’entrée intéressante pour des contenus d’informations plus diversifiés, vulgarisés ou pour sensibiliser à des causes généralement invisibilisées, permettant ainsi de toucher de nouvelles audiences. C’est aussi cette interactivité des usages qui a permis à des lanceuses∙eurs d’alerte, mais aussi à des mouvements comme #MeToo ou celui des Gilets jaunes d’émerger sur la scène médiatique et politique pour s’organiser et s’informer sur les actions à mener. Cette horizontalité présente cependant quelques limites. Tout d’abord parce qu’elle crée une confusion entre l’information et la communication [4]. L’information n’est plus uniquement dans les mains des journalistes, et les frontières entre pratiques professionnelles ou amateures sont parfois floutées. Des personnes/ influenceuses·eurs non-sensibilisées au principe de déontologie journalistique, au croisement des sources ou à une approche critique de l’information peuvent ainsi produire ou relayer des contenus décontextualisés, erronés ou peu nuancés, offrant alors un terreau propice à la désinformation. Tandis que des personnes ayant des objectifs clairs (idées extrémistes, propagande raciste, sexiste, LGBTphobe, etc.) et/ou visant des objectifs financiers peuvent jouer de leur influence pour propager des fakes news. La rapidité de circulation de l’information en ligne favorise également cette propagation. L’horizontalité du net crée également une confusion entre faits et opinions. L’approche plus individuelle qu’offrent les réseaux sociaux (on peut avoir un compte à son nom et y partager son quotidien) mélange parfois des contenus purement divertissants et personnels à des contenus plus factuels.
L’éducation aux médias pour mieux comprendre ces évolutions
Le web a eu des conséquences considérables sur notre manière de nous informer. Certaines sont positives, d’autres moins. Loin des fantasmes et de toute dramatisation, il est indispensable de prendre conscience de ces évolutions et d’avoir un regard critique et citoyen sur les médias. En tant qu’association d’éducation permanente, ces évolutions nous imposent de remettre en question nos pratiques, nos usages et notre façon de communiquer auprès de nos publics. C’est notre responsabilité de nous positionner sur le web, d’exister, de produire et de défendre, car c’est un espace public à prendre. Face à des confusions de plus en plus marquées entre faits, opinions, communications, désinformation et publicité, offrons à nos publics des clés de compréhensions en croisant les enjeux de l’éducation permanente à ceux de l’éducation aux médias. Rappelons que l’objectivité pure n’existe pas. Le parcours individuel d’un·e rédactrice·teur, son histoire, son milieu social, ses convictions/valeurs ou la rédaction dans laquelle celle·celui-ci évolue jouent un rôle dans la façon d’aborder un sujet quel qu’il soit. L’importance est donc de comprendre les mécanismes et objectifs entourant les contenus que nous absorbons. Qui a produit ce contenu ? Cette personne/ ce média est-il fiable ? Quel est son objectif ? Puisque les progrès technologiques avancent vite, prenons le temps, en tant que professionnel·le·s du secteur de réfléchir à nos propres pratiques.
[1] Notons tout de même que les premiers blogs, prémisses de cette communication horizontale, datent de 1994. Sans oublier Myspace en 2003.[2] Pour en savoir plus : De la petite histoire du soir.be à la grande histoire d’internet – Le Soir[3] Si une personne lit, aime ou partage des contenus, elle verra de plus en plus de contenus validant son point de vue, ses valeurs et ses intérêts.
[4] Comme l’explique l’agence de communication citoyenne Entre nous soit dit, une information se base sur une approche plus factuelle tandis qu’une communication peut se baser sur l’émotionnel et peut avoir comme objectif de convaincre une personne. Pour en savoir plus : Informer et communiquer : aujourd’hui, est-ce si différent ? – Entre nous soit dit – Agence conseil en communication citoyenne