Plutôt que d’adopter une approche globale, pérenne et cohérente de la prise en charge de l’état de dépendance, notre société patriarcale opère un transfert des responsabilités qui fait peser le poids des soins et services sur le dos des femmes. Ce rôle essentiel d’aidante proche doit pourtant pouvoir être le fruit d’un choix. Si tel est le cas, il doit alors être reconnu, valorisé à sa juste valeur et encadré par des mesures concrètes. Celles que nous dégageons ici concernent plusieurs niveaux de pouvoir belge : régionaux, communautaires et fédéral. Elles procèdent à une réflexion globale sur le traitement du care (tant formel qu’informel) dans notre société, incontournable dans la mise en œuvre d’une véritable politique égalitaire.

Adopter une lecture féministe du statut d’aidant·e proche

En raison de la socialisation genrée [1], le « prendre soin » est majoritairement investi par les femmes. Mais comment oser parler de ses propres difficultés et souffrances d’aidantes, sans culpabiliser, quand on répète aux femmes que c’est leur rôle « naturel » de s’occuper des autres ? En tant qu’aidantes proches, les femmes « récupèrent » toutes ces tâches qu’une large frange de la population préfère mettre à distance et ignorer.

C’est pourquoi l’application du gender mainstreaming [2] à la politique de soutien aux aidant·e·s proches est fondamentale. Cette analyse stratégique permettrait, par exemple, d’identifier que la lutte contre les stéréotypes de genre ainsi que l’existence de structures d’accueil et d’aide de qualité, en suffisance et à prix abordable, sont des conditions sine qua non pour que les droits des femmes ne se perdent pas face aux droits des aidant·e·s proches.

Par ailleurs, pour protéger le droit des femmes au travail, la législation doit leur permettre d’exercer ce rôle tout en minimisant les conséquences sur leur parcours professionnel, actuel ou futur. Adaptation des horaires, réduction du temps de travail, télétravail, octroi de jours de congé spécifiques comme le congé aidant·e proche, organisation de réunions thématiques, création d’un livret de ressources sont autant de mesures proactives et ciblées qui faciliteraient l’articulation vie privée-vie professionnelle des aidant·e·s.

Sensibiliser le corps médical et informer sur les services d’aides existants

La santé mentale et physique des aidant·e·s proches pâtit irrémédiablement de leur rôle : stress, épuisement, solitude, troubles du sommeil, dépression, douleurs chroniques… Cependant, il existe des mesures qui pourraient améliorer considérablement leurs conditions de vie et par extension celles de la personne aidée. Une des pistes est d’assurer un suivi conjoint de ce binôme spécifique (aidant·e/aidé·e) et de lier leurs parcours de soins. Il s’agirait donc de « prendre en charge les ma[1]lades au-delà de leur pathologie, dans leur globalité, en considérant leur entourage » [3]. Cette grille de lecture ne peut s’envisager que si une prise de conscience s’opère dans les pratiques médicales par rapport au rôle des aidant·e·s.

Par ailleurs, il n’est pas aisé pour les aidant·e·s de s’y retrouver et de coordonner le service d’aide familiale, le service de garde-malade, l’aide-ménagère, le recours aux repas à domicile, les centres de soins de jour, les services de répit, les soins infirmiers, etc. La mise en place d’un accompagnement « personnalisé » basé sur l’écoute, le partage d’informations, les besoins de l’aidant·e et de l’aidé·e et les différents services afin de réduire la charge mentale, physique et émotionnelle de l’aidant·e avec les services de soutien déjà existants apparaît donc comme primordial.

Développer un projet de société solidaire, égalitaire et durable

La·le proche aidé·e, tout comme l’aidant·e proche, doit pouvoir disposer des conditions (sociales, économiques, humaines) suffisantes pour opérer un choix réel et éclairé : celui de rester chez elle·lui et de bénéficier d’une aide à domicile ou de faire appel à un centre résidentiel, celui d’être aux côtés de la personne aidée ou de passer le relais à des professionnel·le·s. Cela implique, par exemple, d’enclencher sans plus tarder une démarchandisation et une démocratisation des soins de santé. Il est également nécessaire de refinancer les services publics, d’augmenter les montants des pensions et des allocations sociales au-dessus du seuil de pauvreté ou encore de revaloriser (financièrement et socialement) le secteur du care formel, représenté par des femmes souvent précarisées et racisées.

Ainsi, dans un monde où la demande en soins de santé ne fait qu’augmenter, un projet de société fondé sur la solidarité, la cohésion sociale et la durabilité, et non sur l’individualisme, le profit et le court terme, est indispensable pour réenchanter l’ensemble des rôles de soins au sein de notre société. C’est, somme toute, ce dont tout·e aidant·e proche a cruellement besoin, et ce depuis longtemps.

[1] Processus social à l’œuvre depuis notre naissance par lequel nous apprenons les règles, normes et attentes de notre culture liées au genre. Ce processus nous amène à acquérir et intérioriser des rôles sociaux genrés et plus à tard à développer des stéréotypes sur ce que « doit » être une femme (douce, gentille, à l’écoute, etc.) et ce que « doit » être un homme (entreprenant, actif, viril, etc.).

[2] Stratégie qui a pour ambition de renforcer l’égalité des femmes et des hommes dans la société, en veillant à ce que toutes les étapes des processus politiques — élaboration, mise en œuvre, suivi et évaluation — tiennent compte de la dimension de genre, c’est-à-dire des différences socio-économiques qui existent entre les hommes et les femmes.

[3] GUÉRIN Serge, « De la société civile à l’assemblée », L’école des parents, 2015/6 (N° 617), pp. 24-25.

Auteur
AuteurFlorence Vierendeel