« Je ne suis pas belle, j’ai la peau trop foncée ! » : c’est ce que m’a dit Narmita, une indienne du Rajasthan âgée de 18 ans. Un commentaire auto-dévalorisant que j’ai tout de suite contredit: elle représentait pour moi l’idéal de la femme indienne. Indo-belge moi-même, ce fut ma première confrontation avec le colorisme, une notion qui parcourt la société et les relations en Inde mais aussi dans bien d’autres pays d’Afrique et d’Asie.

Le colorisme est en quelque sorte une extension du racisme. Au sein d’une certaine origine, les personnes seront plus ou moins valorisées selon qu’elles ont une teinte de peau claire ou foncée. Le colorisme a principalement lieu au sein même d’un groupe de personnes racisées [1] . C’est le cas, par exemple, entre Africain·e·s ou entre Indien·ne·s.

Si les hommes sont également affectés par ces pratiques discriminantes, les femmes, qui sont davantage soumises aux injonctions de beauté dans nos sociétés actuelles, ressentent encore plus ce complexe de couleur.

Celles qui se rapprochent davantage des critères de beauté occidentaux (blanches, grandes, minces, cheveux lisses, yeux clairs, etc.) seront privilégiées par rapport à leurs comparses ayant une peau plus foncée. Cette vision eurocentrée de l’esthétisme discrimine et affecte de nombreuses filles et femmes qui ne s’y retrouvent pas.

En Inde, où les mariages arrangés restent une norme, le teint de peau intervient comme un critère de choix de partenaire. Les sites matrimoniaux demandaient jusqu’en 2020 à ses utilisatrices·teurs d’indiquer dans quelle mesure leur peau est claire ou foncée sous l’onglet « Skin tone » (Teint de peau). Il n’est pas rare qu’une alliance soit brisée car les parents considèrent que la future épouse est beaucoup trop foncée pour leur fils… Ce n’est là qu’un exemple du lot de discriminations qui pèsent sur les Indien·ne·s à la pigmentation plus foncée.

À Bollywood [2], la représentativité de la diversité des couleurs de peau est totalement absente, à croire que la population indienne est monochrome… Alors que les actrices·teurs à la peau claire raflent les premiers rôles, représentant réussite, beauté, intelligence et traits angéliques, leurs collègues à la peau foncée sont relégué·e·s aux rôles secondaires de méchant·e·s, de personnages pauvres ou peu éduqués. Les normes culturelles et esthétiques attachent donc toute une série de valeurs et de préjugés à la couleur de peau d’un·e individu.

La pression sociétale pour atteindre cet idéal de beauté est telle que les enfants en sont conscient·e·s dès le plus jeune âge. Les femmes indiennes, complexées par leur couleur de peau, endurent très tôt des séries de traitements pour s’éclaircir la peau allant du laser aux recettes maison à base de curcuma en passant par les pilules et crèmes éclaircissantes, les injections ou encore les gommages chimiques.

Sans surprise, l’utilisation de tels produits ont des conséquences sur la santé des utilisatrices·teurs : irritation, vieillissement, dépigmentation de la peau ou encore sensibilité accrue aux rayons UV. En Inde, cette industrie cosmétique spécifique engendre des millions : la marque Unilever enregistre 281 millions d’euros de profit chaque année grâce aux gammes Fair and lovely (Claire et charmante) et Fair and handsome (Clair et beau). En Afrique également, 40% des femmes y ont recours dans l’espoir de blanchir leur peau. Une pratique qui a inquiété les autorités de santé du Rwanda, du Nigeria, de l’Afrique du Sud ou encore du Kenya où les produits contenant du mercure et de l’hydroquinone sont désormais interdits.

Afin d’en finir avec ce diktat qui affecte physiquement et mentalement la santé de nombreuses femmes dans le monde, il est primordial de redéfinir les normes culturelles et esthétiques. Plusieurs initiatives vont heureusement dans ce sens. C’est le cas du fashion designer Ayush Kejriwal qui fait appel à des mannequins indiennes de toutes les couleurs pour représenter la diversité de couleur de peau en Inde, ce qui manque cruellement sur les podiums de mode. En 2016, la photographe Pax Jones a lancé une campagne de sensibilisation Unfair and Lovely (Foncée et charmante) afin de célébrer les teints de peau foncés. En France, Laura Nsafou et Barbara Brun nous offrent un magnifique livre pour enfants  Le chemin de Jada  dans un effort de prévention du colorisme.

[1]Le terme « racisée » fait référence à une personne qui a subi une racialisation, c’est-à-dire qu’elle a reçu des caractéristiques spécifiques en raison de son appartenance (réelle ou supposée) à un groupe perçu comme « autre » ou « étranger » (noir·e·s, arabes, roms, asiatiques, musulman·e·s, etc.). Cette racialisation peut se faire sur base de la langue, l’origine ethnique, la religion, la couleur de peau, etc

[2] Industrie cinématographique indienne de langue Hindi basée à Mumbai.

Eléonore StultjensAutrice