En novembre 2018, les FPS (ancien nom de Soralia) ont publié une analyse consacrée au burnout parental. En ces temps de (dé)confinement, il paraît opportun de le mettre à jour en soulignant les impacts de la crise sanitaire dans le développement de ce mal-être. Pourquoi les mères de famille sont-elles davantage « à risque » que les pères ?
Comment reconnaître le burnout parental ?
Dans leur livre consacré à la question, les psychologues Moïra Mikolajczak et Isabelle Roskam (Le burn-out parental : l’éviter et s’en sortir, Editions Odile Jacob, 2017) définissent le burnout parental comme un symptôme à trois facettes : un état d’épuisement physique et émotionnel, une distanciation affective par rapport aux enfants et une perte d’efficacité et d’épanouissement parental.
« Le parent a le sentiment d’être épuisé, vidé, au bout du rouleau », soulignent-elles. « Trop fatigué, il n’a plus l’énergie de s’investir dans la relation. Il prête moins attention à ce que ses enfants racontent, il n’accorde plus autant d’importance à ce qu’ils vivent, il n’arrive plus à montrer à ses enfants combien il les aime. Il fait ce qu’il doit faire (les devoirs scolaires, préparer à manger, le bain, le coucher), mais pas plus. […] Il prend conscience qu’il n’est plus le parent qu’il voudrait être. Il ne se sent plus efficace, il a l’impression de ne plus être un bon parent ».
Les deux psychologues poursuivent : « comme pour le burnout professionnel, il n’est pas nécessaire que les trois facettes soient présentes pour qu’on parle de burnout parental ». Ce qui doit alerter l’entourage, c’est le contraste : le parent est-il en perte d’énergie, d’investissement ou d’efficacité par rapport aux semaines/mois précédent·e·s ?
Il est possible que le confinement agisse comme un élément déclencheur du burnout pour les parents déjà fragilisés auparavant par une série de facteurs de risque. Tout comme le confinement pourrait être le point de départ d’une spirale infernale vers le burnout pour d’autres parents.
Pourquoi les femmes sont-elles plus exposées ?
Selon les deux psychologues précitées, les facteurs de risque du burnout parental peuvent être organisés en six catégories : les facteurs sociodémographiques ; les circonstances particulières (dont la crise sanitaire et le confinement font partie) ; l’histoire personnelle du parent, la situation de couple, certains comportements éducatifs et, enfin, des difficultés propres à l’enfant.
Que ce soit en période de confinement ou en « temps normal », les femmes sont davantage impactées par ces différents facteurs que les hommes. Comment l’expliquer ? Une des facettes du symptôme est l’épuisement physique et émotionnel. Cet épuisement est en grande partie généré par la répartition inégalitaire des tâches domestiques, de la charge mentale et de la charge émotionnelle. Qui s’occupe majoritairement des courses, des repas, de l’accompagnement scolaire, des rendez-vous médicaux ou du bien-être de l’entourage, en confinement ou non ?
Certain·e·s partenaires ont beau « faire leur part », la résistance au partage égalitaire est encore fortement marquée au niveau de la charge mentale et émotionnelle. Les femmes sont le plus souvent celles qui pensent à mettre du dentifrice sur la liste de courses, à prendre des nouvelles de mamie en maison de repos, à réviser les tables de multiplication avec l’aîné·e ou à organiser un apéro virtuel pour garder le lien familial et amical. Être la cheffe d’orchestre de la maison tout en assumant un possible engagement professionnel en télétravail ou à l’extérieur et en y ajoutant des besoins personnels légitimes, c’est compliqué et épuisant.
Qui s’occupe majoritairement des courses, des repas, de l’accompagnement scolaire, des rendez-vous médicaux ou du bien-être de l’entourage, en confinement ou non ?
Les femmes rencontrent aussi plus souvent des difficultés pour concilier harmonieusement vie privée et vie professionnelle. On les retrouve en masse dans les emplois les moins valorisés financièrement et socialement. Elles sont indubitablement en première ligne dans la gestion de l’épidémie, que ce soit sur le terrain ou au sein des foyers.
En ce temps de crise économique où les salaires sont nuls ou diminués, la fin du mois est encore plus casse-tête pour les familles monoparentales dont 80% d’entre elles sont gérées par une femme. Les paiements réguliers et complets des pensions alimentaires par les ex-partenaires sont compromis. Par ailleurs, vu l’absence actuelle des kinés, logopèdes ou centres de jour, les mamans seules avec un ou plusieurs enfants handicapés sont en grande détresse. Aucun répit ne leur est permis.
Pourquoi parler avant tout de burnout « maternel » ?
Nous ne nions pas l’existence du burnout parental chez les hommes. Toutefois, nous souhaitons mettre ici en lumière le mal-être et les non-dits autour de la maternité qu’il génère chez les femmes. Pourquoi celles-ci se mettent-elles autant la pression à être de bonnes mères et à « réussir le confinement » ? Cette pression ne vient-elle pas d’une société encore marquée par des stéréotypes de genre limitants et oppressants ?
Selon Virginie Despentes dans King Kong Theory, « la maternité est devenue l’aspect le plus glorifié de la condition féminine » (Editions Grasset, 2006). Dès lors, pour être une « vraie femme », il faut avoir des enfants, s’y consacrer pleinement et adorer ça. Toute femme qui s’écarte de cette norme est pointée du doigt, dénigrée voire réduite au silence. Notre société accueille encore trop difficilement la parole des femmes sur les difficultés physiques, mentales et émotionnelles engendrées par la maternité.
Des solutions immédiates mais aussi durables ?
Fin mars, la Ligue des familles a lancé une pétition pour réclamer la mise en place d’un congé parental spécifique. Cela permettrait aux mères (et aux pères) de ne plus stresser pour jongler entre travail et garde des enfants pendant le confinement. Depuis peu, sous certaines conditions, cela est devenu réalité via le « congé parental Corona ».
Pour diminuer une autre source de stress et d’épuisement, dans les couples où un dialogue est possible, une piste à tester serait de visibiliser la répartition inégalitaire des tâches et de la charge mentale. L’application Maydée a été conçue en ce sens : grâce à un encodage objectif et impartial, voici (enfin) un outil pour montrer à quel point la coupe est pleine.
[Photo : Evgeni Tcherkasski]