Psychopédagogue de formation et ancienne commerçante, animatrice radio, journaliste et femme politique belge, Fatiha Saidi a endossé de nombreuses casquettes dans son parcours professionnel. Aujourd’hui, cette militante féministe et ancienne parlementaire nous parle de son livre « Par les liens forcés du mariage : la mécanique insidieuse des mariages forcés», grandement inspiré de son parcours personnel.

Ce récit s’inspire fortement de ton expérience personnelle…

En effet, cette histoire s’inspire grandement de ma vie, même si j’ai pris des libertés. Par exemple, le personnage de Jean, crucial dans mon roman, est fictif (bien qu’il s’inspire d’un ami qui n’était pas encore né à cette époque). J’ai attendu 40 ans avant d’écrire cet ouvrage car, en tant que femme politique, je ne voulais pas instrumentaliser mon histoire pour attirer un électorat. Par ailleurs, je voulais prendre le recul nécessaire pour tendre à maxima vers l’objectivité, pouvoir en parler avec sérénité, sans haine, sans règlement de compte avec ma société d’origine, ma famille ou les ami-e-s de la famille. C’est un choix de l’avoir écrit maintenant, sans la colère. Les mariages forcés sont toujours là. Parler de cette problématique s’est imposée à moi, comme un devoir. Sans pour autant être une porte-parole, je l’ai écrit pour toutes les femmes qui se trouvent dans cette situation et qui n’osent pas en parler, espérant que beaucoup d’entre elles se reconnaitront dans l’histoire d’Amal. J’espère ainsi avoir brisé le silence. Mes futurs écrits porteront sur des sujets forts avec des messages touchant les femmes, la démocratie, les droits humains, le vivre ensemble. Je désire m’impliquer au sein de la société autrement, en m’appuyant sur mon expérience accumulée dans le monde associatif et politique. L’écriture, c’est un acte politique, de résistance, de militance.

Le poids des traditions semble particulièrement important. Y a-t-il un quelconque rapport avec la religion ?

La pratique des mariages forcés s’inscrit dans des traditions culturelles et n’a rien à voir avec les religions (tout comme l’excision d’ailleurs). Il n’y a pas de mariage forcé dans la religion musulmane, c’est vraiment une tradition culturelle. Or, on fait passer cette tradition, qui continue de broyer des milliers de femmes, comme un prescrit religieux alors que ce n’est pas le cas. C’est le poids d’un patriarcat qui pèse très lourd sur le dos des femmes et elles n’arrivent pas à en sortir, encore aujourd’hui. Ce sont surtout les femmes qui sont les gardiennes du temple, de l’honneur. Dans mon livre, Amal est entourée de femmes bienveillantes qui ne lui veulent pas de mal mais qui sont engluées dans les traditions, qui les perpétuent par amour et ne les remettent pas en question. Parce que c’est comme ça. Il n’est pas question de rester uniquement bloquée sur la question des mariages forcés, mais s’interroger également sur les droits des femmes et sur toutes les chapes qui pèsent sur elles. Il y a des réalités communes, même dans les sociétés occidentales où le poids des traditions, le patriarcat, la domination masculine et l’égalité des genres restent problématiques. J’ai voulu contextualiser le propos et expliquer de la façon la plus rigoureuse et la plus honnête possible comment des femmes qui ont vécu de grandes souffrances arrivent à perpétuer ces souffrances, cette violence.

Penses-tu que beaucoup de jeunes femmes sont concernées par ces mariages forcés en Belgique ?

Si la Belgique a décidé de mettre la thématique des mariages forcés dans le Plan National contre les Violences Conjugales, c’est qu’il y a une raison. Des professeur-e-s voient des filles disparaitre des écoles mais ce n’est pas facile de les recenser, tout comme ce n’est pas facile d’en parler. Il n’y a pas beaucoup de jeunes femmes qui osent porter plainte et risquer la rupture radicale avec la famille, car c’est très dur. Lorsque j’étais députée au Parlement bruxellois, au Conseil de l’Europe et Échevine de l’Égalité des chances à Evere j’ai commencé à travailler sur cette question avec ma collègue Échevine de l’État Civil. Nous avons travaillé avec le Réseau © FPS du Brabant Mariages et Migrations, ainsi qu’avec une école secondaire d’Evere et avons fait un travail de sensibilisation auprès des jeunes au travers d’une pièce de théâtre Amours mortes. Après chaque représentation du spectacle, des jeunes filles venaient parler d’une amie qui vivait cette situation, qui allait devoir se marier. Très souvent, je sentais que l’amie en question n’était qu’un paravent pour parler de son propre vécu. En région bruxelloise, tout un travail a été mené, mais au niveau communal cette problématique n’est pas prioritaire, car les communes n’en n’ont ni les moyens ni les compétences.

Quelle solution pourrait-on envisager pour limiter les mariages forcés en Belgique ?

Faire en sorte de ne pas arriver au mariage forcé notamment par la sensibilisation à la vie Relationnelle, Affective et Sexuelle (EVRAS). Il faut montrer aux jeunes qu’une vie amoureuse se construit dans l’équilibre et l’égalité. Les parents n’ont pas le droit d’obliger leur enfant à se marier ou de choisir l’époux/épouse. Les maisons de jeunes, les instances culturelles ont un devoir de sensibilisation des jeunes à l’égalité, à leur dire qu’elles/ ils sont des êtres libres dans une relation égalitaire, sans être dans un schéma de rapport dominant/dominé.

Que pensent, aujourd’hui, tes parents de la vie que tu as menée ?

Avant tout je précise que mes parents sont toujours de ce monde et je n’aurais jamais écrit ce livre s’ils nous avaient quittés, car j’aurais eu le sentiment de leur régler des comptes à titre posthume. Mes parents sont fiers de moi, de la femme que je suis, mais éprouvent tout de même des regrets par rapport à ce mariage forcé qui m’a brisé dans mes élans. J’ai tout de même perdu 11 années de ma vie !

Fatiha Saidi sera présente lors d’une conférence organisée par les FPS d’Evere avec l’Échevine de l’Égalité des Chances d’Evere et les AML d’Evere, le vendredi 22 novembre 2019 à 19 h salle Aria à la Maison communale d’Evere.

Patricia SerontAutrice