À l’intersection entre la démarche d’éducation permanente et les luttes féministes se trouve la notion d’émancipation individuelle et collective, d’empowerment. Mais comment la mettre en œuvre dans une société véhiculant des stéréotypes aussi divers que variés ? Comme tant d’autres structures et organisations féministes, nous menons au quotidien des actions pour visibiliser les rôles sociaux genrés de la société et les déconstruire.
Si la notion de « sexe » désigne les caractéristiques biologiques d’un individu, le « genre » recouvre les différences non biologiques, c’est-à-dire les comportements, activités ou attributs qu’une société considère comme caractérisant une femme ou un homme. Un rôle social implicite est donc attribué à chaque genre. On attendra par exemple d’une femme qu’elle soit douce, bienveillante, discrète et à l’apparence soignée, et d’un homme qu’il soit viril, fort, ambitieux et protecteur. Ces comportements sont intégrés par chacun·e tout au long de la vie, par l’éducation, la socialisation, les représentations dans les médias ou encore dans les œuvres culturelles. Se défaire de ces constructions sociales n’est pas une mince affaire…
Les conséquences de ces rôles genrés
Or, ces stéréotypes sont un gigantesque frein à l’atteinte d’une égalité de fait entre les genres. Leurs répercussions sont nombreuses, en termes de choix d’études, de métiers, et donc de situation économique, mais aussi de répartition des tâches domestiques et de soins prodigués aux autres. Autant d’éléments qui creusent les inégalités de genre, se répondent et s’entraînent dans un cercle possiblement vicieux. Les femmes sont en effet plus nombreuses à réduire leur temps de travail pour avoir davantage de temps à consacrer aux besoins du foyer, ce qui accroît la répartition inégalitaire des tâches domestiques au sein du ménage, augmente la charge mentale des femmes et les enferme dans ce stéréotype qui a la peau dure… Le terme anglais de care est utilisé pour désigner tout ce travail informel du « prendre soin », que le poids des rôles genrés fait reposer sur les épaules des femmes. Ce problème est tentaculaire et ne pourra disparaître qu’en travaillant sur différents niveaux en parallèle. L’un d’eux étant de déconstruire l’idée que les femmes seraient « naturellement » plus aptes que les hommes à s’occuper des enfants, de leurs proches en besoin ou des tâches ménagères.
NOTRE VISION À LA LOUPE
Faire émerger une prise de conscience collective de ces constructions sociales pour identifier les inégalités qu’elles provoquent et dont les femmes sont les principales victimes est l’une de nos missions premières. Il s’agit là des premiers pas pour acquérir des moyens d’action nécessaires aux changements individuels et collectifs, en vue d’atteindre l’égalité. Nous veillons à appliquer, avec nos publics, une vision genrée de l’ensemble des problématiques de société. Depuis notre création, nous incluons à nos pratiques les dimensions de lutte contre la précarité, la précarisation, l’exclusion sociale, mais également les enjeux de la multiculturalité. Cette prise en compte des discriminations et inégalités croisées fait donc partie de notre ADN.
SUR LE TERRAIN
Le 8 mars : une journée de lutte
Déconstruire les rôles sociaux est à la base de tous les combats féministes, d’hier, d’aujourd’hui comme de demain. La lutte pour les droits des femmes est quotidienne. L’histoire nous rappelle trop souvent que ces droits sont conquis, et jamais acquis (pensons aux reculs incessants pour le droit à l’IVG de par le monde…).
La date du 8 mars est ainsi devenue l’emblème de ces luttes féministes. Elle tire ses origines au début du 20e siècle, c’est depuis 1977 que l’ONU a proclamé cette date comme la journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Et non pas « la fête des femmes », comme de nombreuses enseignes publicitaires tendent à nous faire croire, à grands coups de réductions sur l’électroménager…
Désormais, cette date est marquée d’actions aux quatre coins du monde. Des manifestations et rassemblements colorent les rues de mauve, couleur associée à ces luttes féministes. Des grèves féministes font leur apparition, notamment en Belgique, par les actions du Collecti.e.f 8 maars. Certaines localités, comme Berlin par exemple, ont même fait de cette date un jour férié.
FEMMES DE MARS : UNE PLATEFORME ASSOCIATIVE ET CITOYENNE À CHARLEROI
C’est en 2016 que la première édition de Femmes de Mars voit le jour, née de la volonté de deux structures carolo de redynamiser les actions du 8 mars, dans une dimension collective. Le succès est immédiat : des actions choc, une communication percutante et des partenaires solidaires permettent à la plateforme de prendre de l’ampleur. Au-delà d’un projet le « jour J » et d’animations durant tout le mois, c’est désormais un panel d’activités organisées collectivement qui rythme le mois de mars ! D’une initiative 100 % associative naît aussi une forte mobilisation, car ce sont désormais les citoyen·ne·s qui sont à la manœuvre de l’activité du 8 mars. Depuis 2022, Femmes de Mars a même son QG dans le Passage de la Bourse ! Et plein de beaux projets dans les cartons pour les années à venir…
Une interview de Sarah Cravotta — Animatrice à la régionale de Charleroi
La sororité à l’échelle internationale
Aux côtés des initiatives locales, un mouvement international a vu le jour dès 1996 : la Marche mondiale des Femmes. Ce réseau mondial d’action de lutte contre la pauvreté des femmes et les violences à leur encontre est devenu incontournable depuis 2000, année où il a mobilisé près de 6 000 groupes de femmes à travers 163 pays et territoires à travers le monde. La Marche mondiale s’appuie sur des coordinations nationales et régionales. La coordination belge regroupe près de 200 associations, dont la nôtre, et organise notamment chaque année la manifestation prenant place à Bruxelles le 8 mars.
Rassemblement de diverses associations de femmes à Nismes (Viroinval) l’occasion de la marche mondiale des femmes de l’an 2000
S’APPUYER SUR LES LÉGISLATIONS LES PLUS PROGRESSIVES POUR AVANCER
Dès 2005, Gisèle Halimi, célèbre avocate féministe, travaille avec son association Choisir la cause des femmes sur le concept de « la clause de l’européenne la plus favorisée ». L’idée est d’instaurer un statut législatif unique pour toutes les européennes, sur base des législations qui leur sont les plus favorables. Les principes fondateurs sont l’émancipation et la solidarité, dans une optique de progrès non seulement pour les femmes, mais pour l’Europe entière. Riche d’une approche transversale, ce travail porte sur 5 thématiques : la famille, les violences, le travail, la politique et le choix (ou non) de donner la vie. Les FPS soutiennent dès le départ le projet, en y consacrant une campagne, des animations et diverses actions. La régionale de Bruxelles organise même un voyage militant à Strasbourg pour y rencontrer Véronique De Keyser, alors députée européenne. Depuis, ce concept peine à être entendu par les dirigeant·e·s, alors qu’il est plus indispensable que jamais au vu des reculs constants des droits des femmes dans certains pays européens…
Une interview de Patricia Seront – Animatrice à la régionale de Bruxelles
La campagne des rubans blancs
Un autre rendez-vous féministe incontournable est la date du 25 novembre, journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes. Elle marque chaque année le lancement de la campagne des rubans blancs, se tenant de par le monde jusqu’au 6 décembre. Le port d’un ruban blanc est le symbole de l’opposition ferme à la violence faite aux femmes et tire son origine d’une tuerie de 14 femmes à l’École polytechnique de Montréal en 1989, perpétrée par un homme détestant les femmes et les féministes. Chaque année, les structures féministes distribuent des rubans blancs et sensibilisent de nombreuses·eux citoyen·ne·s à cette problématique. Des manifestations ont également lieu, comme celle, en Belgique, organisée par la plateforme associative Mirabal.
Le Ruban blanc est porté lors des manifestations du 25 novembre.
Au-delà de cette période, nous avons au cœur de nos missions la lutte quotidienne contre les violences faites aux femmes. Nos activités d’éducation permanente côtoient également des structures spécifiques organisées par nos Centres de planning familial.
DES SERVICES SPÉCIFIQUES CONSACRÉS À LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES ENTRE PARTENAIRES
Le service « Ça vaut pas l’coup », créé fin 2004 à Namur, est un service d’accueil, d’orientation et d’accompagnement pour les victimes de violences conjugales et leur entourage. Cet espace, intégré au sein d’une structure hospitalière, permet une écoute et une prise en charge de première ligne des victimes par une équipe composée de professionnel·le·s qualifi é·e·s (assistant·e·s sociales·aux, psychologues, avocat·e·s spécialisé·e·s). Au cœur de leurs pratiques se dévoile un travail en réseau intensif, avec, par exemple, les CPAS ou la police, pour répondre au maximum aux besoins de leurs bénéfi ciaires. La structure participe par ailleurs globalement à l’amélioration des conditions d’accueil des femmes victimes de violences, à travers, par exemple, l’évaluation de projets novateurs. Le dernier en date ? La création de l’Espace VIF (violences intrafamiliales) qui vise, notamment, à outiller les professionnel·le·s de tout secteur confronté·e·s à des situations de violences… Mais le travail ne s’arrête pas là ! Les prochains objectifs ? Mettre sur pied une maison d’accueil sur Dinant et développer la formation des personnels soignants dans les hôpitaux de la région…
Une interview de Linda Culot — Coordinatrice du Centre de Planning familial Solidaris de Namur
Plus que jamais : un besoin de s’unir
Au fil des décennies, les questions d’égalité femmes-hommes prennent de plus en plus de place sur la scène politique et médiatique. Des mouvements tels que #MeToo ou #BalanceTonPorc ont suscité une vague de libération de la parole et de la prise de conscience des inégalités de genre encore bien présentes dans nos sociétés. À côté de cela, de plus en plus de mouvements conservateurs et antiféministes, notamment les mouvances masculinistes (qui considèrent que les hommes sont désormais dominés par les femmes) prennent eux aussi de l’ampleur. Face à ces courants, qui menacent le gain de nouveaux droits ou pourraient provoquer certains reculs, il est plus que jamais nécessaire que les féministes unissent leurs forces, que ce soit au travers de plateformes associatives ou de coupoles. Car si différents courants du féminisme coexistent, et provoquent des divergences de points de vue sur certains enjeux, un socle commun de revendications est bel et bien là !