Quel que soit le pays, la dépression touche plus de femmes que d’hommes. Chez les femmes, elle est en outre souvent plus sévère, plus précoce, avec des risques plus grands de rechutes, de tentatives de suicide ou d’aboutir à une maladie chronique. Au même titre que le chômage ou les ruptures conjugales, le fait d’être une femme est un facteur favorisant la dépression. Sans exclure totalement des facteurs biologiques, de nombreuses inégalités sociales pèsent dans cet écart, d’autant plus après la crise du Covid-19.

Un paradoxe

La dépression n’est pas une déprime ou un « mal-être passager », c’est une maladie courante qui demande une prise en charge appropriée et ne doit pas être stigmatisée. Contrairement à ce qu’on peut penser, les troubles dépressifs concernent autant les femmes que les hommes. Par contre, c’est la prise en charge de la maladie qui est inégale. Cela s’explique notamment par une méconnaissance des symptômes exprimés différemment par les hommes et les femmes, mais aussi un recours aux soins différent selon le sexe et le genre. Cette situation n’explique qu’en partie le sous-diagnostic chez les hommes et surtout, le surdiagnostic chez les femmes. Il existe des facteurs de risques sociaux plus importants pour les femmes que pour les hommes. Nous en identifions 5 :

1) Les inégalités socio-économiques

Temps partiels, salaires inégaux, pensions moindres… la précarité économique des femmes est un fait bien établi aujourd’hui. Cette situation renforce les tabous et la stigmatisation autour des maladies mentales : honte ou culpabilité de ne pas jouir d’une certaine sécurité financière, surresponsabilisation individuelle par rapport aux conditions de vie précaires, mécanismes d’auto-exclusion, mauvaise estime de soi… Carla Marie Manly, psychologue clinicienne, souligne : « Quand on stresse à cause de ses finances, on peut devenir très anxieux, voire dépressif ». Si on compare les femmes entre elles, celles aux revenus les plus élevés ont 30 % moins de risques de dépression que les autres catégories de revenus. Cela se constate aussi de manière générale : plus le niveau socio-économique est élevé, plus la fréquence des troubles dépressifs diminue.

2) Violences : à la racine du mal (— être)

Dans le monde, 1 femme sur 3 subit des violences et ce nombre se multiple par 4 pour les femmes ayant un handicap . En réaction à la situation violente (quelle que soit sa forme), de nombreuses femmes peuvent connaitre des troubles du sommeil, de l’alimentation, des conduites addictives et des idées suicidaires. Ces symptômes de la dépression peuvent aussi révéler d’autres troubles, comme le syndrome post-traumatique. Il existe 80 % de risques d’avoir un syndrome post-traumatique à la suite d’un viol (qui concerne majoritairement les femmes). Certains traumatismes peuvent durer une vie entière pour 13,8 % des femmes (contre 6 % des hommes dans la même situation). La dépression est presque doublée chez les femmes lesbiennes ou bisexuelles (24 %) par rapport aux femmes hétérosexuelles (13 %), et est encore plus importante chez les personnes transgenres. Des études montrent que les minorités vivant des discriminations répétées et quotidiennes sont particulièrement touchées par la dépression et des addictions et, sur le long terme, par des problèmes cardio-vasculaires et des cancers.

3) Les normes de genre, défavorables à la santé mentale ?

Dès l’adolescence, les femmes sont incitées à atteindre des standards de féminité inatteignables qui impactent l’estime de soi et, à l’âge adulte, ces injonctions sont étendues aux statuts de mère et d’épouse « parfaites » et aux « doubles journées ». Cela pousse à un rapport au corps négatif, à de l’anxiété, à un sentiment d’incapacité et de culpabilité, à un manque de confiance en soi et à des épisodes dépressifs précoces.

4) La responsabilité incessante pour les soins d’autrui

Les femmes se trouvent souvent à la tête du soin à prodiguer, avec un manque cruel de soutien public ou familial, d’autant plus au sein des familles monoparentales. Selon l’OMS, c’est un facteur de risque qui affecte de manière disproportionnée les femmes, au même niveau que les violences sexistes et les inégalités des revenus. Toutefois, ces inégalités ne seront pas prises en compte lorsqu’une dépression pointera le bout de son nez. Xavier Briffault, sociologue s’interroge : « Si une femme s’occupe seule de son enfant en bas âge la nuit, elle va pouvoir développer des troubles du sommeil qui entraînent une dépression très sévère. Le biologique est donc altéré, mais l’origine est sociale. Un médecin va-t-il analyser les rapports de pouvoir dans le couple pour expliquer cette dépression ? Les femmes se sentent alors non seulement mal, mais également responsables de leur état ».

5) Une dépression ne vient jamais seule…

Les personnes ayant des troubles dépressifs ont 70 à 80 % de risque de développer des troubles anxieux. Le risque de suicide est multiplié par 30 au cours d’un épisode dépressif . Toutefois, la première cause de décès des personnes dépressives serait cardio-vasculaire. L’inverse est vrai : les personnes atteintes de maladies cardio-vasculaires ont aussi un risque plus élevé de dépression. Ce n’est pas anodin lorsqu’on sait que la première cause de mortalité des femmes — toutes confondues — en Belgique est déjà liée aux maladies cardio-vasculaires. Être femme et souffrir d’une dépression doublerait donc potentiellement ce risque de mortalité.

Des coûts humains et financiers

Parmi les incapacités de travail, on trouve principalement les dépressions de longue durée et les burn-out, avec une augmentation de 39 % entre 2016 et 2020. Cela concerne 2/3 des femmes. L’OMS estime que le trouble dépressif caractérisé serait la maladie la plus coûteuse sur l’ensemble des maladies en termes de dépenses .

À quand un véritable investissement dans la prévention et la prise en charge de la dépression et des troubles de santé mentale ? Le bien-être de la population devrait être une variable prioritaire dans le calcul de croissance de notre pays. En chiffres, cela correspondrait à un véritable retour sur investissements : l’OMS a calculé que chaque dollar investi aux États-Unis dans un traitement élargi de la dépression et de l’anxiété donne un retour sur investissement de 5 dollars.

→ L’égalité, c’est bon pour la santé ! Nous avons aussi réfléchi à 7 points d’attention pour un système de santé plus inclusif. Cet article s’inspire de l’étude FPS : « La dépression : une réalité genrée ? »

Découvrez notre nouvelle campagne « Les femmes moins bien soignées ? Quand la santé reflète les inégalités »

Autrice
AutriceAnissa D'Ortenzio