Le dérèglement climatique ne va pas nous affecter toutes et tous de la même manière : les inégalités sociales, déjà en hausse dans la société belge [1], vont se renforcer avec l’aggravation des effets de la pollution, du réchauffement de la planète et la réduction de la biodiversité.
On parle de « triple peine », car les personnes qui polluent le moins sont également celles qui profitent le moins de la production des richesses alors qu’elles sont les plus exposées aux dérèglements climatiques. Elles ont ainsi un moindre accès à un environnement sain, que ce soit en termes de logement, mais aussi d’alimentation, de lieu de travail, d’accès aux espaces naturels, etc.
Sensibles à ce problème, les pouvoirs publics ont mandaté différentes études qui évaluent l’impact des bouleversements climatiques sur les publics vulnérables . Sans vouloir minimiser l’importance de ce travail, les associations du réseau Solidaris (Esenca, Liages, Latitude Jeunes et Soralia) ont fait un pas de plus en avançant des revendications qui répondent aux besoins spécifiques de nos publics.
Croiser les inégalités
Les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, les jeunes et les femmes sont à la fois plus affecté·e·s par les inégalités sociales, mais aussi moins représenté·e·s et moins convoqué·e·s dans les dispositifs de démocratie directe. En écartant les publics vulnérables des processus de décision ainsi que des solutions envisagées, ces mécanismes de démocratie participative se font l’écho des publics les plus favorisés. Construites comme des instances inclusives, elles deviennent alors discriminantes, car les besoins et les souhaits des publics vulnérables sont extrapolés à partir de la vision, souvent caricaturale, que les plus favorisé∙e∙s en ont.
En tant qu’associations de terrain, nous défendons au contraire la nécessité de prendre en compte activement les intérêts des publics dits « vulnérables » afin d’ouvrir la voie à une gestion de la crise environnementale plus solidaire et plus humaine.
Prendre ses responsabilités
En ce qui concerne le processus de décision, nous constatons que l’État fédéral a tendance à déléguer la réflexion aux entités fédérées tandis qu’il reste lui-même en marge. Cela se traduit par un éparpillement des politiques environnementales et sociales qui échouent à faire de la lutte contre les inégalités l’axe central de leur action. Avec cela, il est nécessaire de considérer que l’action politique doit prendre plus d’ampleur, tant les défis sont importants. Ainsi, nous militons pour la convergence des luttes dans laquelle les combats contre les discriminations doivent certes se déployer sur des fronts autonomes, mais doivent également porter ensemble un projet transformateur de société.
Ensuite, nous revendiquons la nécessité de prendre en compte la vulnérabilité dans toutes ses dimensions. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a exprimé cela à travers deux concepts directeurs. L’initiative One health (« une santé »), qui souligne l’interdépendance forte entre la santé humaine et la santé de notre planète. Le deuxième concept, Health in all policies (« la santé dans toutes les politiques ») est une stratégie de politique publique qui repose sur le constat que la bonne santé de la population n’est pas qu’une affaire médicale. Elle dépend également de la qualité du logement, de l’environnement, de l’éducation, des conditions de travail, du transport, de la gestion des déchets… bref, de l’environnement. Dans la continuité de ces travaux, nous promouvons un modèle circulaire qui engage toutes les parties à être proactives, et cela à tous les niveaux de pouvoir.
Enfin, et il s’agit probablement de notre revendication la plus importante, il est essentiel de repenser notre protection sociale.
Répondre à la crise environnementale suppose non seulement de renforcer les piliers déjà existants de la Sécurité sociale, mais également d’en construire de nouveaux. Ainsi, l’accès à un logement protégeant des inondations ou de la chaleur, l’accès à une alimentation saine ainsi qu’à de l’eau potable sont autant de droits qui devraient pouvoir être opposables, sous peine d’aggraver considérablement les inégalités sociales et économiques. Les services publics doivent également être considérablement étendus et renforcés, tant pour la protection individuelle que comme solution collective (développer les transports collectifs comme alternative à la voiture, par exemple). Autrement, les actions en faveur de l’environnement continueront de se faire au détriment des plus fragiles.
Changeons le système, pas le climat !
Il est nécessaire de transformer en profondeur nos dispositifs de protection sociale ainsi que notre système productif. Cela passe notamment par la démarchandisation de pans importants de notre économie, mais aussi par un financement de la Sécurité sociale à hauteur des nouveaux besoins de la société. Nous devrons donc explorer de nouvelles pistes tout en étant attentives·ifs à ne pas aggraver les inégalités, comme ce fut le cas avec la taxe carbone [2] en France qui déboucha sur l’explosion sociale qui mit les gilets jaunes au-devant de la scène politique. L’économiste Thomas Piketty a démontré que les dernières décennies se caractérisent par une concentration extrême du patrimoine. Il est donc logique que le financement des dispositifs de protection sociale s’organise autour de la mise en place d’une véritable justice fiscale [3] .
Ce projet porte donc en lui une forte dimension anticapitaliste. L’État devra reprendre un rôle planificateur, car, comme le disait Nicholas Stern économiste à la Banque mondiale, « le changement climatique est la plus grande défaillance de marché que le monde ait jamais connue, et il interagit avec d’autres imperfections du marché ». Cela suppose d’abandonner le modèle néolibéral et productiviste de l’État régulateur à la faveur d’un État interventionniste, fondé sur une économie circulaire et durable.
[1] Le rapport de l’IWEPS sur la situation sociale (ISS) en Wallonie fait ainsi état, en 2022, d’une « détérioration qualitative et quantitative de la situation de nombreuses personnes, dont beaucoup se trouvaient déjà en situation de précarité ». Le cumul des crises depuis 2019 (COVID, inondations, forte inflation, flambée du prix de l’énergie) aggravera les inégalités économiques et sociales. IWEPS, « La situation sociale des Wallon·nes : au-delà des indicateurs, une détérioration réelle », Communiqué du 17 octobre 2022.
[2] La taxe carbone fonctionne sur ce principe : « au plus un produit émet du gaz à effet de serre au plus il est taxé ». Si cette taxe semble pertinente sur le papier, elle ne tient malheureusement pas compte des disparités au sein de la population et pénalise les ménages modestes qui ne peuvent pas se permettre d’acheter un véhicule électrique ou d’investir dans des panneaux solaires.
[3] La justice fiscale recouvre l’ensemble des politiques fiscales visant à réduire les inégalités socio-économiques entre les individus afin de garantir une répartition plus équitable des richesses.