C’est connu, les filles n’ont pas la « bosse des maths » tandis que les garçons sont des génies des nombres. Cette idée préconçue traverse tous les segments de la société, des élèves aux profs en passant par les parents. En réalité, la prétendue incompatibilité des femmes avec les matières scientifiques et mathématiques est le produit d’une construction sociale. En primaire, les filles sont tout aussi capables en maths que les garçons, mais une dévalorisation de leurs compétences s’opère par la suite, ce qui n’est pas sans conséquence sur leur avenir professionnel.

LE CLIVAGE « LETTRES/CHIFFRES »

Lors des Olympiades de mathématiques [1] , filles et garçons ont autant de mauvaises réponses mais les filles s’abstiennent davantage, faute de confiance en elles. En secondaire, le choix de l’option «  maths/sciences fortes  » n’est pas une simple spécialisation mais joue un rôle dans un processus de ségrégation des genres dans le système de formation. En effet, les mathématiques restent l’une des matières les plus valorisées sur le marché du travail.

Le vécu des femmes dans le milieu de l’éducation est marqué par un paradoxe. Elles sont globalement plus performantes que les garçons : moins d’échecs scolaires, meilleurs résultats aux examens, moins de retard et davantage diplômées du supérieur. Cependant, cette excellence scolaire ne s’accompagne pas d’un choix d’orientation «  efficace  ». Pour les FPS, toutes les formations sont bien évidemment à valoriser mais, sur le marché du travail, certaines filières sont dominantes et s’imposent comme normes scolaires et professionnelles.

En Belgique, comme dans le reste du monde, il existe un net clivage « filles littéraires vs garçons scientifiques ». En effet, en 2017, les étudiant-e-s de l’Université Libre de Bruxelles étaient réparti-e-s dans les secteurs du cursus universitaire de telle façon :

Les femmes sont donc minoritaires dans les sciences de l’ingénierie ou dans les sciences économiques et de gestion. Des formations qui mènent généralement à des carrières plus prestigieuses et mieux rémunérées. Ainsi, les inégalités de genre dans le secteur de l’éducation mènent inévitablement aux inégalités salariales sur le marché de l’emploi et aux inégalités de pensions.

DES MÉTIERS GENRÉS POUR UN SALAIRE GENRÉ

Les chiffres sont là : en 2018, les conducteurs de poids lourds, les ouvriers du bâtiment, les électriciens, les mécaniciens, les plombiers ou encore les menuisiers du bâtiment sont presque exclusivement des hommes (plus de 95  %). À l’opposé, les femmes sont majoritaires dans l’enseignement, le secteur des soins de santé, les services sociaux et le personnel ménager. Le hic, c’est que ces secteurs largement féminisés sont souvent moins rémunérateurs. Par exemple, un jeune opérateur en métallurgie (plus de 99  % d’hommes), avec une formation courte, gagnera bien mieux sa vie qu’une jeune infirmière (plus de 85 % de femmes), pourtant titulaire d’un bachelier et ayant des responsabilités importantes. Ainsi, les métiers les plus mal payés en Belgique sont majoritairement des carrières dites «  féminines  »  : coiffeuse, esthéticienne, aide-ménagère, caissière, vendeuse, etc. Parmi les dix emplois les mieux payés, on retrouve par contre des professions traditionnellement exercées par les hommes : directeur de société, cadre dans la vente, mathématicien, ingénieur, physicien ou encore gérant de commerce. De plus, les secteurs majoritairement féminins sont également souvent dévalorisés socialement. Par exemple, beaucoup vont juger le travail d’une femme de ménage moins « noble » que celui d’un manœuvre. Une vision de la réalité que nous devons notamment au patriarcat à l’œuvre dans nos sociétés, qui impose une échelle de valeurs où le masculin l’emporte souvent sur le féminin, surtout dans la sphère professionnelle.

LE « CODE » MASCULIN

Prenons l’exemple du monde digital : selon Eurostat, 86  % des professionnels de ce secteur sont des hommes. C’est donc un domaine porteur et rémunérateur déserté par les femmes. Selon Julie Foulon, fondatrice de Girleek [2] : «  La maîtrise des nouvelles technologies, combinée à l’entrepreneuriat, est un vecteur d’émancipation puissant pour les femmes. Même sans bagage académique, on peut se lancer dans l’entrepreneuriat innovant, lancer son agence créative, simplement en apprenant à coder. Il y a une véritable pénurie dans le secteur. Il est important que les femmes participent à ce mouvement. » Un point de vue partagé par Loubna Azghoud, coordinatrice de la plateforme Women in Tech.Brussels : « Il est important que les femmes contribuent aux nouvelles solutions qui se créent grâce à ces millions de lignes de code à l’origine du monde d’aujourd’hui et de demain. On ne peut se limiter à un monde créé que par une partie de l’humanité au risque de renforcer une société patriarcale. »

DES FEMMES PARMI LES HOMMES

Les rares pionnières qui entreprennent des formations « masculines » se heurtent à des obstacles, notamment pour monter au sommet de la hiérarchie. En effet, préjugés et stéréotypes sont encore bien présents et nombreuses sont les situations de discrimination auxquelles elles doivent faire face. Par exemple, Vanessa, 29 ans, conductrice de travaux dans une entreprise de ventilation de bâtiments, nous explique : « Il y avait un ouvrier du gros œuvre, très misogyne, qui m’insultait devant les clients. Quand je donnais les directives sur chantier, certains refusaient de m’obéir, aussi. » Malgré cela, ces jeunes femmes, dont le parcours s’écarte des normes arbitraires de genre, sont aussi régulièrement admirées  : en plus de réussir professionnellement, elles le font « dans un monde d’hommes ». C’est ainsi que les soldates, pompières et ouvrières sont souvent encouragées par leurs proches, admirées par le grand public ou encore soutenues par leur employeur. Néanmoins, la véritable mixité dans le monde du travail ne sera atteinte qu’à travers un enseignement plus égalitaire…

CET ARTICLE S’INSPIRE DE DIVERSES ANALYSES PUBLIÉES PAR LES FPS DONT SONT ISSUES LES DIFFÉRENTES CITATIONS. POUR ALLER PLUS LOIN, VOIR GILLET, JULIE :

[1] Il s’agit d’une compétition mathématique à destination des élèves de l’enseignement secondaire en communautés française et germanophone de Belgique.

[2] Girleek est une plateforme sur les nouvelles technologies destinée aux femmes.

Eléonore StultjensAutrice