Le gouvernement fédéral belge actuel (dit Vivaldi) veut combattre la surmédicalisation. S’il faut agir efficacement contre la consommation inappropriée de certains médicaments par les citoyen·nes, il est nécessaire d’analyser le phénomène sous le prisme du genre car ce sont les femmes [1] qui sont les plus touchées. Quel que soit son parcours de vie, chaque femme peut être confrontée à une forme de surmédicalisation de son existence qui aura des conséquences négatives sur sa santé.

Un phénomène de société typiquement féminin ?

La surmédicalisation de l’existence peut se définir comme un processus par lequel des problèmes non médicaux, principalement sociaux (problèmes sexuels, timidité, stress, etc.) ou certains aspects de l’existence (menstruations, ménopause, etc.) sont définis et traités comme des problèmes médicaux, voire comme des maladies . Il s’agit de faire respecter des normes de société, sous peine d’être perçu·e comme défaillant·e, malade. Un encadrement médical et médicamenteux s’institue alors au détriment d’approches plus préventives ou non médicamenteuses. La vie des femmes est rythmée par différentes étapes physiologiques et symboliques, construites par la médecine et les représentations sociales et culturelles [2] . Il existe une pathologisation (définir un aspect de la vie comme une pathologie, une maladie) des étapes de la vie des femmes. Dans un système de santé généralement pensé par et pour les hommes, les corps des femmes sont en fait considérés comme un réservoir d’irrégularités et d’anomalies qui doivent être soignées par un traitement médicamenteux. Le cas de la contraception en est un bon exemple.

La contraception : un enjeu concret de surmédicalisation

Les féministes des générations précédentes se sont battues pour que les femmes aient accès à la contraception, enclenchant des changements socio-culturels majeurs. Toutefois, la contraception, et particulièrement la pilule, est de plus en plus critiquée par les usagères·ers. En effet, la surmédicalisation de l’existence passe par des usages détournés de l’objectif premier de la pilule. C’est particulièrement le cas lorsqu’il s’agit de traiter l’acné ou l’hirsutisme [3] par la pilule. Cela renvoie à ces jeunes filles l’idée que respecter les normes de beauté (une peau parfaite et sans poils) est plus important que les effets secondaires sur leur santé. La pilule est aussi prescrite comme « traitement » pour les symptômes de l’endométriose. Régulariser les cycles menstruels chez les jeunes filles est un autre exemple fréquent de prescription de la pilule. Or le temps de régularisation des règles est une information rarement partagée aux jeunes adolescent·e·s, qui s’inquiètent et consultent souvent pour la première fois les gynécologues de peur de ne pas être dans la « norme ». La surmédicalisation de l’existence des femmes passe également par la surprescription de la pilule au détriment d’autres moyens contraceptifs. Parmi 12 004 participant·e·s à une enquête  relative aux moyens contraceptifs, 80,6% utilisent la pilule contraceptive. À la question « de quels moyens de contraception la·le soignant·e vous a-t-elle·il déjà parlé ? », 89,5% mentionnent la pilule contre 57,4% pour l’implant et le stérilet (DIU au cuivre). Ce dernier serait moins prescrit car il existe encore des stéréotypes à son encontre (uniquement pour les femmes ayant déjà eu un enfant, provoque la stérilité, etc.) et il allège la charge mentale contraceptive . Après avoir posé un DIU et vérifié par une échographie un à trois mois plus tard qu’il est bien en place, cette contraception permet une liberté de 3 à 10 ans. Au contraire, prendre la pilule demande plus de contrôle et de surveillance. Elle implique de prendre un comprimé tous les jours à heure fixe (et garder à l’esprit le risque de maternité tous les jours telle une épée de Damoclès au-dessus de la tête), retourner faire une ordonnance régulièrement chez le médecin, répondre à un interrogatoire préliminaire, et parfois à des examens invasifs. De plus en plus de femmes ne s’en sentent plus satisfaites car un sentiment de non-choix les envahit. Elles sont également de plus en plus conscientes des controverses médicales pour certaines générations de pilules. Ses effets secondaires (manque de libido, prise de poids, migraines, saignements, etc.) peuvent réellement détériorer la qualité de vie de certaines femmes (relation de couple, charge mentale, confiance en soi, etc.). Pourtant, ils sont généralement niés et ne sont que vaguement expliqués lors de la prescription de la pilule. Il est essentiel que l’ensemble des moyens de contraception soit proposé à toute femme désirant en prendre. Elle sera ainsi libre de faire un choix éclairé au regard de la situation qui lui est propre et du moyen contraceptif qui lui correspond le mieux.

Des recommandations

Pour diminuer concrètement la prescription excessive des médicaments chez les femmes, il est nécessaire de partager davantage d’informations de qualité sur les alternatives thérapeutiques et développer une meilleure prise en charge par la Sécurité sociale. Dans 90% des cas, la contraception repose sur les femmes : il faut développer davantage de recherches sur les contraceptions masculines afin d’aboutir à une véritable contraception partagée entre les partenaires. Ensuite, généraliser l’EVRAS [4] peut aider les citoyen·ne·s à développer une attitude active et informée quant à leur santé dès le plus jeune âge. Réduire la surmédicalisation de l’existence, c’est aussi avoir une meilleure maitrise du budget des médicaments en limitant le pouvoir des firmes pharmaceutiques. Finalement, les politiques de santé ne pourront être effectives qu’à condition d’employer le gender mainstreaming [5].

Cet article s’inspire de l’étude FPS d’Anissa D’Ortenzio, « Une médecine sexiste ? Le cas de la surmédicalisation des femmes », disponible en ligne.

[1] Nous partons ici d’une division biomédicale binaire entre femmes et hommes en fonction du sexe assigné à laquelle nous tâcherons d’ajouter l’impact du genre.

[2] Par exemple les menstruations, la ménopause, etc.

[3]  Apparition d’une pilosité spécifique sur le visage, le cou, ou le thorax chez certaines femmes.

[4] Education à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle.

[5] Une stratégie qui intègre systématiquement des réflexions sur les conséquences positives et négatives des politiques publiques pour les femmes et les hommes.

Autrice
AutriceAnissa D'Ortenzio