Sorcières, hystériques, sales putes, mal-baisées, connasses… De tout temps, et plus particulièrement lors d’importantes avancées pour leurs droits, les femmes et les féministes ont subi des attaques spécifiquement adressées à leur encontre. Loin d’être un phénomène anecdotique, ce violent retour de bâton, aussi appelé backlash, reflète une société patriarcale, avide de remettre constamment les femmes « à leur place ».
Le backlash antiféministe
Le backlash est une réaction menée par un groupe dominant lorsqu’il craint de perdre le pouvoir, ou qu’il pense l’avoir perdu, dans le but de le récupérer. Cet acte de résistance peut s’opérer sous différentes formes : ridiculiser, censurer, exclure, désinformer, stigmatiser, mais aussi harceler, menacer, frapper, chasser, etc.
Les féministes et plus largement les femmes subissent systématiquement ce phénomène :
- Lorsqu’elles montent au créneau pour bousculer les rapports sociaux et réclamer des droits comme d’être reconnues par la loi au même titre que les hommes, d’obtenir un meilleur salaire et des conditions de travail décentes, de pouvoir disposer de leur corps y compris le droit à la contraception et à l’avortement, etc.
- À la suite d’une crise économique, démographique, politique, de l’emploi, soit… lorsque les poches sont vides et que les hommes voient leurs conditions matérielles se dégrader. Les femmes sont alors pointées comme responsables. S’il n’y a pas assez de naissances c’est parce qu’elles font des études, ne se marient plus ou parce qu’elles travaillent. Lorsqu’il n’y a pas assez d’emploi, c’est parce que les femmes prennent la place des hommes, etc.
Alors que l’opinion publique et politique deviennent de plus en plus conservatrices et prônent le retour aux valeurs traditionnelles [1], les lois et les organes politiques censé∙e∙s renforcer les droits des femmes et l’égalité sont compromis·e·s, les recherches scientifiques s’arrêtent (par exemple autour de la contraception), l’accès à l’emploi, à la contraception ou encore à l’avortement se durcissent, l’écart salarial se creuse, etc. Quant aux femmes, elles se mettent à douter ou culpabilisent, s’isolent, et s’effacent.
Un retour de flamme qui s’opère depuis des siècles
L’histoire des femmes à travers le monde nous prouve à quel point ces épisodes de backlash sont systématiques et violents. La chasse aux sorcières qui a sévi en Europe du 14e au 18e siècle en est un exemple. Des milliers de femmes ont été chassées, torturées et brûlées pour avoir pactisé avec le diable et amené le malheur dans les villages. Aujourd’hui, nous savons qu’elles ont surtout été les boucs émissaires et les souffre-douleurs d’une époque ravagée par les famines, les pandémies, les guerres ; avec des répercussions désastreuses sur la démographie et le taux de mortalité infantile entre autres. C’est aussi l’époque où l’Église catholique s’impose face au paganisme et les médecins à la médecine naturelle. Dès lors, il est facile de voir en quoi des femmes qui pratiquaient la magie et maîtrisaient les plantes — notamment pour interrompre ou empêcher une grossesse — constituaient un danger potentiel à neutraliser.
Un mouvement antiféministe devenu grand et puissant
Face au développement des mouvements féministes dans les années 70, le masculinisme émerge en Occident dans les années 803. Il se compose d’hommes qui partagent certaines idées et valeurs antiféministes. Selon eux, la société fait face à une crise de la masculinité : les femmes auraient atteint l’égalité, voire plus, et leur (mauvaise) influence provoquerait le déclin de la condition masculine.
Ils profitent de leur pouvoir et de leur influence en tant qu’experts, médecins, universitaires, professeurs, politiciens, présidents, écrivains, réalisateurs de cinéma, hommes d’affaires, patrons de médias, hommes d’Église, lobbyistes, etc. pour discréditer et bloquer les revendications des femmes. Ils envahissent tous les espaces possibles.
Cela leur permet de diffuser leur idéologie et convaincre un maximum d’hommes à les rejoindre. Mais aussi de décrédibiliser ou de harceler, jusqu’à les faire taire ou qu’elles s’en aillent, celles qui oseraient leur barrer la route ou qui pourraient constituer une menace à l’ordre masculin établi [2].
Une nécessité d’agir !
Le backlash fait donc partie des stratégies antiféministes organisées notamment par les hommes les plus influents et puissants pour entraver toute avancée en matière d’égalité entre les femmes et les hommes dans le monde. Leur objectif est de bloquer tout projet ou toute personne qui risquerait de leur faire perdre le pouvoir ainsi que les privilèges dont ils jouissent depuis des siècles. Cette idéologie est d’autant plus inquiétante et dangereuse quand on sait que les personnes qui l’incarnent s’infiltrent dans toutes les sphères qui gouvernent, informent, éduquent, divertissent, rythment nos sociétés et nos vies. Ces groupes et leur propos se répandent d’autant plus vite et d’autant plus largement depuis qu’internet et les réseaux sociaux se sont développés. C’est pourquoi il est crucial de mieux analyser ce phénomène pour mieux en saisir les rouages et les identifier, mais aussi pour mieux les dénoncer. Le backlash, qu’il soit utilisé contre les femmes ou tout autre groupe stigmatisé (personnes racisées, LGBTQIA+, etc.), est un phénomène peu connu du monde politique et du grand public qu’il serait pourtant crucial de pouvoir démasquer. Ceci permettrait de mieux cerner les personnes qui le pratiquent tout en soutenant et défendant celles et ceux qui en font les frais.
[1] La femme au foyer, l’hétérosexualité, l’autorité patriarcale, etc.[2] À un moment historique où on assiste à un durcissement du marché du travail et au retour du conservatisme (Margaret Thatcher au Royaume-Uni et Ronald Reagan aux USA).
Cet article est inspiré des écrits suivants :
- FALUDI Susan, Backlash, Paris, 1993
- DUPUIS-DERI Francis, « Le discours de la “crise de la masculinité” comme refus de l’égalité entre les sexes : histoire d’une rhétorique antiféministe », Recherches féministes, 25 (1), 2012
- BLAIS Mélissa et DUPUIS-DERI Francis, « Le masculinisme : son histoire et ses objectifs », Labrys étude féministe, 2008
- MANSBRIDGE Jane et SHAMES Shauna L., « Vers une théorie du backlash : la résistance dynamique et le rôle fondamental du pouvoir », Recherches féministes, 25 (1), 2012