Au détour de ce titre «coup de poing» se cachent des réalités militantes silenciées et silencieuses. Le burn-out militant dégrade la santé des travailleuses·eurs et des bénévoles et les fait parfois quitter le secteur non marchand. Ce mal-être, aux causes et intensités multiples, est un cri d’alarme sur le coût physique et psychique de l’engagement (souvent au féminin)! Comment expliquer cette situation? Hors du caractère individuel du burn-out, quels sont les effets collectifs et structurels qui impactent le militantisme belge? Enquête en eaux troubles.

Le côté obscur de la force militante : pièces à conviction 

La référence au burn-out militant a été popularisée ces dernières années par les féministes qui ont repris ce concept issu à l’origine des sciences du travail. Celui-ci est défini comme un état chronique d’épuisement dont les symptômes sont une fatigue physique et émotionnelle intense, une déshumanisation des relations interpersonnelles (la personne perçoit les autres bénévoles, les collègues ou les bénéficiaires des actions avec un certain détachement) et une perte de sens (la personne a l’impression de n’avoir rien accompli et d’être inefficace). On n’est peut-être pas « à l’usine » (clin d’oeil à cet ouvrage) , mais certaines spécificités de l’engagement militant peuvent être considérées comme des facteurs de risques. Citons par exemple le fait d’être réduit à son identité militante (être la féministe de service à qui l’on peut tout demander, tout le temps), le syndrome vicariant [1], et les discriminations vécues par les militant·e·s. Le burn-out militant n’est pas seulement un problème individuel, il est aussi éminemment collectif. « Pour les spécialistes, le burnout des militant·e·s et des bénévoles est l’un des obstacles majeurs à la pérennité des mouvements de justice sociale. À long terme, il peut même empêcher le changement social » explique Amnesty International.

Qui sont les suspects ? 

Suspect n° 1 : le système capitaliste

Hyperconcurrence, productivité, rapidité, ultralibéralisme, compétition et perte de sens composent le système capitaliste. Pourtant, ces caractéristiques semblent impensées ou ignorées pour le secteur associatif comme s’il était épargné par les ramifications capitalistes. Or, le monde associatif est de plus en plus considéré comme un secteur de services « avec pour résultat de collectivement planter des pailles dans la personne militante, souvent pigiste [2] et précaire, afin d’en aspirer tout le jus. Or, il importe de comprendre que les militant·es donnent de leur temps pour entrer en dialogue avec leur société et ne sont pas là pour fournir un simple “service” aux organisations » . Cette vision capitaliste et de service (rapide comme au fast food), cette manière de consommer les associations peut mettre à mal durablement le fonctionnement démocratique. En effet, les associations sont une large part de la société civile et elles sont censées être la connexion entre différents publics et le monde politique.

Suspect n° 2 : l’État

En 2023, deux cartes blanches rédigées par des associations féministes, socioculturelles et de promotion de la santé, dénonçaient les conditions de travail et la souffrance des travailleuses·eurs du secteur non-marchand [3]. En cause ? Les associations sont obligées de répondre à d’innombrables appels d’offres, marchés publics et appels à projets afin de garantir leur survie tout en devant défendre régulièrement leur secteur pour ne pas être mises à l’arrêt. Les travailleuses·eurs se retrouvent à bosser deux fois plus, sans augmentation salariale, et sans garantie d’avoir suffisamment de fonds pour aider leurs bénéficiaires. Il y a aussi une véritable fatigue et une perte de sens face aux dossiers administratifs, souvent longs, chronophages et fastidieux pour accompagner les bénéficiaires. Et si la demande est acceptée, le subside n’est réellement reçu que plusieurs mois plus tard – parfois trop tard pour les associations qui sont alors endettées. Cela force certaines structures à réduire leurs activités malgré une demande de plus en plus soutenue des publics. Le risque de perte de sens et de démotivation est ici très grand. Les obstacles organisationnels et financiers sont (trop) nombreux, ainsi qu’en témoigne la situation de l’Université des Femmes à Bruxelles ces derniers mois.

Les associations et la convergences des luttes, en garde à vue ? 

Au niveau individuel, l’accumulation des discriminations peut être un facteur supplémentaire de risques du burn-out militant. En effet, les personnes concernées peuvent avoir l’impression qu’il n’existe que peu de lieux sans oppressions pour elles. De plus, être sur plusieurs combats militants simultanément peut amener plus rapidement à une fatigue importante. Comment gérer à la fois son éco-anxiété et des discriminations vécues au quotidien ? Cela pose des questions au niveau collectif : comment permettre à chacun·e d’évoluer vers une lutte commune dans un climat bienveillant quand les conditions de travail sont épuisantes ? À quel point la concurrence entre associations peut-elle ralentir la convergence des luttes ? Comment la sororité peut-elle être un rempart contre l’épuisement militant ? Comment nous soutenir collectivement ? Ouvrir des espaces de paroles et échanger sur les problématiques que l’engagement implique devrait devenir une priorité pour les associations. Comme le souligne l’ASBL Barricade, « cela suppose d’affronter, pour commencer, cette vérité trop souvent passée sous silence : célébré comme un espace d’autonomie, de liberté et de coopération, le meilleur des réseaux peut devenir, si l’on n’y prend pas garde, le plus redoutable des marchés ». Affaire à suivre…

[1]  Le syndrome vicariant est un traumatisme qui survient chez les personnes (salariées ou bénévoles) dont la mission, chaque jour, est de recueillir, accompagner
ou soulager des individus en souffrance (victimes de violences, situation de grande précarité, etc.)

[2] En Belgique, il ne s’agit pas d’un statut de pigiste, mais de contrats précaires en général (temps-partiels, contrats de remplacements, etc.).

[3] Toutes 2 sur les Grenades-RTBF : en mars, la carte blanche « La broyeuse administrative nous précarise et nous rend malade ! » ; en septembre, la carte blanche « L’associatif et le non marchand : des secteurs malades à cause de ressources insuffisantes ».

Autrice
AutriceAnissa D'Ortenzio