Au sein des mouvements militants de gauche, le rêve d’une convergence des luttes continue à perdurer et à inspirer certaines stratégies. Celle-ci présente un intérêt réel dans un monde où le capitalisme est roi. Destruction de l’environnement, inégalités de genre, exploitation salariale, rien n’échappe au règne de l’argent, qui va aujourd’hui jusqu’à menacer la survie de notre espèce. Alors, n’est-il pas temps d’unir nos forces pour en venir à bout ?
Un rêve aux origines sociales
La lutte militante s’ancre, dès sa théorisation, dans une mouvance sociale. Karl Marx l’associe, aux prémices de son Manifeste du parti communiste (1848), à l’essence même du socialisme, fondé sur ce qu’il nomme la lutte des classes . Selon lui, la société se compose d’au moins deux classes, dont les intérêts sont divergents et antagoniques en raison de leurs rapports économiques tout à fait inégalitaires. Les un·e·s (le prolétariat) produisent les richesses tandis que les autres (les bourgeois·e·s) se les accaparent en utilisant une forme de contrainte et de domination, notamment politique. Pour renverser l’ordre établi de manière radicale, une méthode s’impose : les mobilisations de masse. Depuis, dans l’imaginaire collectif, les luttes convergent donc dans le but de gagner en puissance, en regroupant plusieurs contestations sociales (mais aussi leurs représentant·e·s et militant·e·s) dans un même mouvement. Il s’agit de dépasser des intérêts distincts pour les fusionner dans des objectifs politiques précis. Chez nos voisin·e·s français·e·s, ce phénomène s’illustre, historiquement, au travers de la victoire du Front populaire en 1936[1] et des grèves massives de mai 1968[2]. Mobilisant de larges fractions de la population, ces deux rassemblements mèneront à de réelles avancées telles que les congés payés, la semaine de 40 heures ou encore l’augmentation des salaires.
Pourquoi s’unir ?
Si, aujourd’hui, les luttes sociales se sont élargies et diversifiées au-delà de la lutte des classes, celles-ci partagent toujours pour la plupart un objectif commun : celui de transformer la société. Cela implique de combattre notre système économique qui oppresse tant les classes ouvrières que les femmes et les minorités, et au final, la planète dans son entièreté. Si tout le monde ne s’accorde pas sur les modalités exactes pour y parvenir ni sur le nouveau modèle à instituer, beaucoup sont en mesure de reconnaître l’urgence d’agir, de proposer des alternatives concrètes, avant que les limites planétaires n’imposent par elles-mêmes un effondrement de notre civilisation et/ou que des dictatures ne s’installent durablement. La convergence des luttes nous semble donc indispensable. D’un côté, pour ne laisser personne sur le carreau, et donc inclure l’ensemble des enjeux auxquels sont confrontés les publics dits vulnérables. De l’autre, pour mutualiser nos forces de frappe (le capitalisme étant un régime extrêmement résistant ). Pour ce faire, il est nécessaire de formaliser les liens étroits entre inégalités de genre, crise écologique et inégalités sociales, émergeant de systèmes de domination qui se renforcent mutuellement. Car d’un côté, les rapports de classe, de genre et de « race » (comme construction sociale) s’entremêlent, se co-produisent, se reproduisent et se renforcent, et de l’autre, le capitalisme maintient ces rapports de pouvoir hiérarchiques et en tire profit. Tenir compte de ces enchevêtrements est important, car l’abolition d’une seule forme de domination, indépendamment du système dans lequel elle s’inscrit, provoquera indéniablement le renforcement et/ou la création d’une autre forme de domination.
Et sur le terrain, comment s’organiser ?
Toutes les dynamiques de convergences ne sont pas identiques. Certaines structures s’allient pour poursuivre un objectif particulier, plutôt court-termiste (par exemple, s’opposer à une actualité politique). Celle-ci ne nécessite pas de s’accorder à 100 % sur les méthodes et les visions adoptées. D’autres structures s’allient comme objectif en soi, sur le long terme (par exemple, les plateformes associatives), où une même cause et une même solution sont identifiées. Celle-ci requiert du temps et des espaces de débats, de confrontation des points de vue où les divergences sont entendues et acceptées, ainsi que des moyens humains et financiers.
Quoi qu’il en soit, le dialogue entre les partenaires, tout au long du processus, semble être l’une des clés fondamentales pour collaborer sereinement et durablement. La clarification du schéma de gouvernance interne (comment s’organiser, comment sont prises les décisions, etc.) ainsi que l’identification d’objectifs clairs accompagnent ce guide de bonnes pratiques.
Ainsi, « pour [que la convergence] ne se limite pas à un simple effet de mode ou d’annonce, elle nécessite de la réflexion, de l’anticipation et de la stratégie ». Mais il n’existe pas pour autant de recette idéale, il faut donc continuer à expérimenter et à prendre des risques, dans un contexte qui réclame de la radicalité, tant dans nos communications, que dans nos modes d’action et dans nos prises de position. Face aux menaces qui pèsent sur notre société (montée des extrêmes, précarité grandissante, destruction de la planète, etc.), la solidarité doit s’imposer. La convergence des luttes est l’une des portes d’entrée pour insuffler cette dynamique et défendre une vision de société porteuse d’espoir et de renouveau, tant démocratique, que social et écologique. Chaque structure a un rôle à jouer dans ce combat contre les inégalités et le capitalisme destructeur. C’est pourquoi, plus que jamais, remettons l’humain au cœur de nos préoccupations et luttons main dans la main pour assurer sa pérennité dans des conditions dignes.