Travailler sans patron, est-ce possible ? Difficile à croire, pourtant elles l’ont fait. Dans les années 70, les femmes de ménage de l’université catholique de Louvain-la-Neuve virent leur employeur pour travailler en autogestion. Elles refusent la sous-traitance, fondent la coopérative « Le Balai libéré », et s’organisent collectivement pendant 14 ans. Une telle initiative est-elle encore envisageable aujourd’hui ?
Histoire d’un mot…Et de son détournement
Si « woke » entre dans le dictionnaire Robert en 2023, ce terme n’est pourtant pas nouveau. Dérivé du verbe anglais wake (« éveiller »), le mot prend un sens engagé aux USA dès le 19e siècle, après l’abolition de l’esclavage. La notion fait alors référence au « réveil » des Noirs-Américains suite à des années d’esclavage, mais incite aussi à leur vigilance face à un quotidien rempli de dangers (stay woke signifiant rester vigilant). Tout au long du 20e -21e siècle, diverses références soulignent les liens entre woke et lutte contre les inégalités raciales. Le Hashtag #StayWoke est notamment repris en 2014 par le mouvement antiraciste Black Lives Matter à la suite du meurtre de Michael Brown, abattu par un policier blanc.
C’est à cette époque que le sens du terme woke s’étend pour définir l’ensemble des personnes luttant contre les inégalités sociales : militant·e·s LGBTQIA+, féministes, écologistes, antiracistes… plutôt jeunes et issus des milieux universitaires (Le milieu universitaire est ainsi présenté par les détracteurs des wokes comme un lieu élitiste) en opposition au « peuple » . Le mot devient « fourre-tout », car il regroupe des publics hétérogènes et très diversifiés. Peu à peu, son usage initialement positif va être détourné de façon cynique et péjorative par des personnalités politiques et divers médias. Aujourd’hui, peu de personnes s’identifient comme étant woke, tant le terme a été vidé de son sens originel.
Ainsi Bart De Wever, président de la NVA qualifie le « wokisme » de « guerre qui ruine de l’intérieur la société occidentale » . Avant le « wokisme », il y a eu la lutte contre le « politiquement correct », les « bobo-gauchistes », les « féminazies » ou encore « l’islamo-gauchisme ». Ces termes très englobants et flous sont avant tout brandis comme des idéologies menaçantes face à l’ordre établi par les personnes qui se sentent menacées par des idées progressistes.
Les wokes : une menace pour les privilèges de l’homme blanc
Nous vivons dans une société patriarcale. Le pouvoir en place est majoritairement détenu par une petite frange de la population masculine, blanche, aisée, hétérosexuelle, valide et cisgenre. Ces personnes jouissent de privilèges qui favorisent leur ascension sociale, professionnelle et financière. Elles sont représentées comme une norme : la société est pensée par et pour elles. Les individus qui ne se retrouvent pas dans cette norme (les femmes, les personnes racisées, LGBTQIA+, en situation de handicap, etc.) sont pénalisé·e·s par une absence de prise en considération de leurs besoins/réalités. Quant aux personnes qui luttent contre les inégalités, elles menacent l’ordre établi et, par extension, les privilèges de cette population.
Ces dernières représentent donc des menaces qu’il faudrait à tout prix écarter. Les luttes pour les droits sociaux au 20e siècle nous l’ont montré, quand le progressisme gagne du terrain, le retour de bâton (aussi appelé backlash, voir numéro 84 de Femmes Plurielles) n’est jamais bien loin ! Censure, attaques, harcèlement… Les militant·e·s subissent de plein fouet cette violence. Leur combat est ainsi présenté comme « violent », « illusoire », « idiot », « dangereux », avec pour objectif de décrédibiliser leur propos et de maintenir un statu quo. Passer du terme woke, considéré comme positif, à un mot cynique et moqueur fait partie de cette stratégie visant à réduire à néant les combats militants. Le fait d’être « éveillé∙e » n’est pas une menace pour la démocratie, mais plutôt une menace pour la majorité dominant une minorité. Par ailleurs, brandir la menace woke dans l’inconscient collectif permet de détourner la population d’autres questions particulièrement préoccupantes telles que la montée des inégalités sociales et de genre, l’ultralibéralisme, les dérèglements climatiques, etc. Comme expliqué dans une tribune de Mr Mondialisation, « des idéologies de haine et d’élitisme […] véritablement systémiques et structurelles, profitent du leurre pour continuer bon train et empêcher le débat, au nom contradictoire d’une liberté d’expression (la leur) ».
Le principe de panique morale pour détourner des inégalités
Une panique morale est l’exagération d’un phénomène minoritaire présenté comme une menace. Les personnes wokes sont ainsi présenté·e·s comme un danger, notamment par les mouvements de droite qui utilisent un vocabulaire anxiogène pour les définir (menace, invasion, terreur, etc.) et qui les accusent de tous les maux de la société (lire à ce sujet, le livre « la panique woke » D’Alex Mahoudeau). La panique morale se base sur des situations existantes. Mais ces faits sont instrumentalisés, présentés sans nuances et orientés pour illustrer une situation spécifique et dramatiser (voir encadré avec l’affaire « Autant en emporte le vent »). Par exemple : on accuse les wokes de vouloir effacer l’histoire en déboulonnant des statues, en censurant des œuvres ou en boycottant des personnes. Ces phénomènes existent, mais sont généralement à nuancer et ne prennent pas en compte la pluralité des actions menées par les structures/associations (pétitions, manifestations non violentes, demande de contextualisation pour des œuvres controversées, etc.). Par ailleurs, si l’on évoque régulièrement une attaque des wokes en matière de censure, « l’effacement » ou les adaptations de certaines œuvres visent avant tout des enjeux économiques. La décision d’effacer des passages d’une œuvre ou d’en adapter certains propos est avant tout la décision de celles et ceux « qui ont le pouvoir et le gouvernement ». Ces contenus médiatiques déformant la réalité s’inscrivent dans un contexte de « surinformation » et de forte mise en concurrence des différents médias. Il faut produire vite et susciter le clic, les réactions, les commentaires, ce qui favorise la désinformation. Il est donc indispensable de prendre un certain recul critique face à ces actualités qui servent à nourrir des polémiques stériles et entretenir un sentiment de menace.