Les premiers Jeux olympiques modernes, initiés par Pierre de Coubertin au début du 20e siècle, accordaient très peu de place aux femmes, sauf pour « couronner les vainqueurs ». Cette discrimination a poussé Alice Milliat à fonder une version féminine de cette compétition, les « Jeux Mondiaux féminins ». À quel point la pratique sportive des femmes a-t-elle évolué une centaine d’années plus tard ? Quelle résonnance entre cette question et celle plus large des inégalités femmes-hommes au sein de la société ?
Des représentations limitantes
De Coubertin pensait que le sport était un symbole de puissance masculine [1]. Pour triompher dans l’épreuve, les sportifs ne pouvaient faire qu’appel à leur force physique, leur endurance, leur esprit de compétition et de conquête, leur maîtrise d’eux-mêmes. Des qualités reconnues aux hommes mais pas aux femmes, considérées comme trop fragiles, frivoles et émotives, selon les stéréotypes de genre. Autrement dit, le sport c’était une affaire d’hommes et particulièrement de virilité. Cette mentalité a la peau dure et influence encore aujourd’hui la présence des femmes et des hommes dans des disciplines sportives spécifiques. Aux femmes les sports « doux » tels que l’équitation, la danse, la gymnastique ou la natation et aux hommes les sports de « durs » tels que le rugby, le basketball, la musculation. On notera que cette distinction minimise les ressources et capacités physiques nécessaires à la pratique des sports vus comme « doux » et donc « appropriés aux femmes ». L’apanage du « beau », du « vrai » sport et par conséquent du sport « tout court » revient aux hommes. Cette croyance se reflète dans les commentaires d’une publication de la chaîne télévisée Tipik annonçant, à l’été 2023, la diffusion des matchs de la Coupe du monde de football jouée par des femmes : « Déjà que la météo est infâme, vous pourriez au moins diffuser du contenu de qualité », « De quoi faire de bonnes siestes », « N’oubliez pas les émissions sur le ménage aussi… », « Y’a pas moyen d’avoir des émissions culinaires à la place ? ». Ces commentaires laissent entendre que la pratique sportive féminine est inintéressante et que la place des femmes reste immuablement au foyer. Le sport au féminin est toujours bel et bien remis en cause.
Des défauts de prévoyance
Les représentations stéréotypées autour des femmes et de leur pratique sportive ont une incidence sur les moyens humains, matériels et financiers développés en ce domaine. La pratique sportive féminine, qu’elle soit amateure ou professionnelle, tend à passer au second plan des investissements réalisés. Les moyens ne sont pas les mêmes que ceux mis en place pour les sportifs. Le collectif Balance ton sport témoignait en ce sens lors d’une table ronde dans un festival féministe en novembre 2022 : « [dans notre club de rugby] on nous réserve systématiquement le terrain tout au fond, pas éclairé, avec plein de trous. Les maillots sont trop grands, parfois sales. On nous refile les arbitres les moins expérimentés » [2]. Ces conditions ne permettent pas de progresser sereinement et efficacement. Les risques de blessure sont par exemple plus élevés sur un terrain mal éclairé et cabossé.
Un bon éclairage est aussi rassurant pour faire du sport pendant les longues soirées d’hiver. L’aménagement de l’espace public dans les villes et les villages est dès lors déterminant pour encourager la pratique sportive des femmes. En effet, le monde du sport n’est pas hermétique aux violences sexistes et sexuelles. Remarques salaces, regards insistants, gestes déplacés et commentaires sur l’apparence frappent aussi les femmes dans la sphère sportive. Les moments de détente après l’effort, parfois bien arrosés, peuvent favoriser les comportements précités [3].
Quand les inégalités structurelles s’en mêlent
En solo ou en équipe, faire du sport ou une activité physique régulière demande de l’argent. Même la simple marche nécessite a minima des chaussures confortables. Une diversité de frais peuvent être engendrés par la pratique sportive : achat de vêtements, d’accessoires, de matériel [4], affiliation à un club [5], frais d’inscription à la salle collective, frais de réservation d’un terrain, frais médicaux en cas de blessures plus ou moins graves. À ce niveau-là, les femmes ne partent pas gagnantes. En raison de divers mécanismes [6], elles sont globalement plus pauvres que les hommes. Les femmes sont également pénalisées par rapport au temps qu’elles peuvent dédier à faire du sport. Elles s’occupent d’abord des autres (enfants et adultes) avant de prendre un moment pour elles. Et quand elles finissent par en trouver un, elles se sentent coupables ou sont accusées d’être égoïstes parce qu’elles délaissent leur famille…
L’importance du leadership féminin pour avancer
À la demande de la Fédération Wallonie-Bruxelles, une étude a été menée concernant la place des femmes dans les fédérations et clubs sportifs. D’après les résultats, ce sont la présence de femmes dans les postes à responsabilités (présidence, vice-présidence) et la capacité organisationnelle de ces groupements qui les mènent à développer des actions en faveur de la féminisation du sport. La parité dans les instances de gouvernance ne s’avère pas suffisante. D’ailleurs, si les chiffres sur la parité dans ces lieux ne sont pas trop mauvais, on ne peut pas en dire autant à propos de ceux sur la présence des femmes dans les postes à responsabilités. Dans les fédérations, 13,8% des postes de présidence sont occupés par des femmes ; 21,6% dans les clubs. D’où l’importance d’un investissement des pouvoirs publics, des clubs et des fédérations sportives dans le sport féminin pour permettre à davantage de femmes de pratiquer… et diriger !
[1] Outre sa flagrante misogynie, de Coubertin ne cachait pas non plus son racisme et colonialisme décomplexés.
[2]Notes personnelles prises le 19/11/2022 au Festival des Égalités organisé par le Centre d’Action Laïque de la province de Namur.
[3] La consommation d’alcool ne constitue cependant pas une explication ni une excuse valable à de tels comportements.
[4] Encore faut-il pouvoir trouver des équipements adaptés à toutes les morphologies, les marques privilégiant les corps minces et valides.
[5] Depuis 2024, la mutualité Solidaris rembourse jusqu’à 40 euros de frais d’affiliation à un club sportif.
[6] Parmi ceux-ci, l’écart salarial, le travail à temps partiel, le plafond de verre, les inégalités dans l’héritage…