« Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires… » [1]. Vu les temps qui courent et les crises multiples que nous traversons, le droit à vivre dignement est réclamé à cor et à cri aux pouvoirs politiques par de nombreuses associations. Que reste-t-il aujourd’hui de ce droit censé être le guide suprême de nos instances politiques pour « gouverner » ?

La dignité humaine, une vision aujourd’hui plutôt individualiste

Après la Deuxième Guerre mondiale et les actes inhumains commis par le régime nazi, la communauté internationale rédige la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Une série de mesures — malheureusement sans valeur contraignante pour les États signataires — visant à protéger chaque citoyen·ne contre les rapports de force dont pourrait abuser l’État [2]. Le concept de dignité humaine est le mot phare de cette déclaration et de celles qui suivront [3].
Le problème est que ces mesures visent plus à défendre les droits propres et personnels de chaque individu qu’à défendre les droits d’une communauté ou de l’humanité au sens large. Autrement dit, cette vision de la dignité humaine n’oriente pas la conscience collective vers un idéal, un mieux-être commun et bénéfique pour l’ensemble des êtres humains [4], mais sert à rappeler à la communauté internationale que chaque individu a des droits. Si elle présente l’avantage de protéger les citoyen·ne·s contre les ingérences potentielles de l’État, il s’agit néanmoins d’une vision plutôt libérale et individualiste, faisant peser la responsabilité de la dignité humaine sur les individus. La responsabilité collective ainsi que les valeurs essentielles comme la solidarité, la reconnaissance de l’Autre, l’empathie, etc. ne font donc pas partie de la vision de la dignité humaine telle qu’on l’analyse dans ces déclarations.

Des ressources inégalement réparties

Le fait que les associations, et surtout celles qui s’occupent des personnes les plus précarisées, réclament aujourd’hui le droit, pour tout·e·s, de vivre dignement est donc tout sauf un hasard. Ces personnes sont en effet systématiquement jugées comme responsables de leur situation et montrées du doigt comme celles qui profitent du système et vident les poches de l’État ; sans jamais remettre en question les contextes sociaux, économiques, politiques qui produisent et renforcent les inégalités. Si ces personnes sont pauvres, c’est parce qu’elles n’ont pas fait les bons choix et saisi les opportunités qu’on leur a offertes et c’est tout ! Pourtant, force est de constater que de plus en plus de personnes peinent à vivre dignement, y compris les personnes qui ont un emploi. Les crises successives de ces dernières années ont particulièrement fragilisé les publics précarisés. Par ailleurs, plusieurs études et statistiques démontrent que certaines personnes rencontrent davantage de difficultés que les autres. Il s’agit notamment des femmes et plus particulièrement les familles monoparentales — dont la plus grande majorité est gérée par des mamans solos — et les femmes de plus de 65 ans. Alors qu’à l’inverse une minorité de personnes, comme les actionnaires et les grands gérants d’entreprises, engrange des bénéfices colossaux durant ces crises sur le dos des citoyen·ne·s qui les supportent. Cette situation de plus en plus extrême n’est-elle pas une preuve, une fois de plus, que le paradigme qui gouverne nos sociétés constitue une entrave majeure à la vie digne, qu’il renforce les inégalités et par conséquent la pauvreté ? La société civile exige que le pouvoir politique reconnaisse les réalités de vie de plus en plus médiocres que nous vivons. Elle souhaite également que l’État prenne les mesures nécessaires pour que toutes et tous, sans distinction, puissent mener une vie digne. Pour y arriver, une des démarches les plus bénéfiques serait déjà de questionner les publics les plus précaires sur les défis auxquels elles·ils font face. Et surtout, d’inclure ces personnes dans la réflexion des politiques publiques à mettre en place, et ce dans tous les domaines. En ce qui concerne plus particulièrement les femmes, nous rappelons que le gendermainstreaming [5] est une boussole et un outil précieux mis à disposition du pouvoir politique pour rétablir l’égalité entre les femmes et les hommes. Selon la loi en vigueur, il devrait être appliqué en Belgique, mais ne l’est pas suffisamment, hélas.

[1] Art. 25 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme.[2]. Le but étant aussi de pouvoir doter les individus de droits propres et inaliénables qu’elles·ils
pourraient mobiliser devant les tribunaux.[3] La Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne et la Convention européenne des
Droits de l’Humain.[4] Ni même pour le bien-être de la planète.

[5] Selon l’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes, le gendermainstreaming est :
« la (ré)organisation, l’amélioration, l’évolution et l’évaluation des processus de prise de décision, aux
fins d’incorporer la perspective de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines
et à tous les niveaux, par les acteurs généralement impliqués dans la mise en place des politiques ».

Pour aller plus loin :

Autrice
AutriceWivynne Gaziaux