Les études ne manquent pas pour pointer la sous-représentation des femmes dans les métiers de l’audiovisuel. En 2021, il est encore difficile pour une femme de se saisir de sa plume, de porter sa voix dans les médias et de s’imposer dans le champ médiatique à l’instar de ses pairs masculins. Qu’en-est-il des femmes issues de la diversité ? Parviennent-elles à se hisser dans le monde médiatique et si oui à quel prix ? Existe-t-il des médias alternatifs qui donnent la parole à ces femmes ?

Violences sexistes et réseaux sociaux

Pour une femme, s’imposer à l’écran, en tant que journaliste ou présentatrice, c’est engager son image et s’exposer à davantage d’attaques sexistes. Car l’apparence physique et la conciliation vie privée-vie professionnelle font partie des critères sur lesquels elles sont jugées bien plus que sur leurs compétences professionnelles. Les cas de harcèlement sont également fréquents. Les moyens sophistiqués qu’offrent les réseaux sociaux ont multiplié l’impact des violences en ligne : outils d’interactions, visuels retravaillés, émoticônes, faux comptes… se retrouvent parmi une large palette technologique qui permet de véhiculer les discours de haine de manière parfois incontrôlable . Selon une enquête de la Fédération internationale des journalistes, deux tiers de femmes journalistes ont déjà été victimes de harcèlement en ligne .

Entre racisme et sexisme

Au problème du sexisme s’ajoute celui du racisme. Entre prénom à consonance étrangère, délit de faciès, port d’un signe convictionnel… les femmes racisées qui se trouvent à l’intersection de différentes formes de domination liées à leur genre et leur appartenance à une race [1] sont davantage exposées à des discriminations multiples. En 2018, une présentatrice de la météo sur la RTBF, Cécile Djunga, avait été victime de propos racistes sur la toile. Le commentaire mis en cause, « rentre dans ton pays, laisse la place à une personne blanche », fait directement référence à sa visibilité en tant que femme noire. De la même manière, Salima Belabbas, présentatrice du JT sur RTL TVI, n’est pas passée inaperçue. Celle-ci a également été victime de racisme. Dans un cas comme dans l’autre, nous constatons que les femmes issues des minorités gênent par leur visibilité. Ces femmes aux identités multiples sont pourtant sous-représentées. En 2017, on comptait 2,61% d’individus racisés parmi les journalistes de l’information . Pour favoriser l’inclusion, de nombreuses mesures sont attendues par les rédactions. Même si le chemin est encore long, la détermination d’une nouvelle génération sensibilisée et engagée sur ce terrain laisse présager des changements durables.

DONNER PLUS DE VOIX AUX FEMMES SOUS-REPRÉSENTÉES : LES GRENADES

De nombreuses initiatives ont vu le jour pour donner la parole et valoriser ces femmes. C’est le cas du média Les Grenades. Nous avons interrogé Safia Kessas, ini – tiatrice du projet et “responsable égalité et diversité” à la RTBF.

Pourquoi et comment Les Grenades ont-elles été créées ?

Les Grenades ont pour vocation de donner la parole aux femmes sur l’égalité, la diversité et le genre tout en cherchant à déconstruire les stéréotypes alors que la place des femmes dans les médias par exemple est toujours déséquilibrée.

Que font Les Grenades pour rendre le journalisme plus inclusif ?

Donner la parole à des contributrices qui viennent de tous horizons et qui disposent d’une expertise de terrain, académique, scientifique, journalistique. Proposer des sujets que vous ne lirez nulle part ailleurs et qui touchent à l’inclusion.

Pensez-vous que Les Grenades auraient pu être créées il y a 10 ans ? Voyez-vous une évolution dans le monde médiatique ces dernières années ?

Je ne pense pas. Le mouvement #MeToo a créé une nouvelle dynamique et mis au-devant de la scène les inégalités encore criantes concernant les femmes. Cela a permis de se montrer agile et de proposer une vision, un projet concret pour répondre à ces préoccupations, ces questions que se posent le public. On le voit près de 3 ans après le lancement du hashtag, l’acuité de ces questions ne faiblit pas.

Que faire pour rendre les médias plus inclusifs ? Les grands organes médiatiques ont-ils une responsabilité ?

Il faut s’appuyer sur les mesures, les baromètres, former les journalistes au genre et à l’inclusion (ce sont des domaines de re – cherche foisonnants) et se fixer des objectifs pour corriger les déséquilibres de représentations. Les médias ont bien sûr une responsabilité dans la mesure où ils reflètent les stéréotypes mais les coconstruisent aussi.

[titre] Le terme « racisé·e » fait référence à une personne qui a subi une racialisation, c’est-à-dire qu’elle a reçu des
caractéristiques en raison de son appartenance (réelle ou supposée) à un groupe perçu comme autre (noir·e·s, arabes,
roms, asiatiques, musulman·e·s, etc.). Cette racialisation peut se faire sur base de la langue, de l’origine ethnique, de la religion, de la couleur de peau, etc

[1] Plusieurs chercheuses·eurs et militant·e·s anti-racistes optent pour réhabiliter le terme de race. Si les fondements
biologiques de la race n’ont aucun sens, cette notion permet néanmoins de penser les dimensions socio-politiques du racisme.

Jennifer NoweAutrice