La société marocaine connaît de multiples transformations telles que l’évolution de la position économique de la femme et son accès à l’emploi et à l’éducation, la mixité dans différents espaces ou encore des changements au niveau des systèmes de valeurs traditionnels. L’espace public, lieu de mobilité et de rencontres, devrait être accessible à tout le monde de manière égalitaire. Mais en est-il vraiment ainsi pour les femmes marocaines ?
Pour répondre à cette question, nous avons rencontré Amina Zair, présidente d’AFAQ (Action Femmes des Associations de Quartier), partenaire de Solsoc à Casablanca, et Kenza Chaaiby, coordinatrice du programme Vie digne et travail décent, toutes deux militantes pour les droits des femmes.
UN ESPACE PUBLIC PEU INCLUSIF
« Il est important de définir les différents espaces publics dans la société marocaine et les difficultés que rencontrent les femmes lorsqu’elles les fréquentent. Dans les écoles, la fréquentation scolaire des filles diminue à partir du secondaire, car elles sont souvent victimes de harcèlement », explique Kenza. Par ailleurs, bien que le Maroc ait adopté le principe de discrimination positive permettant aux femmes d’accéder aux instances municipales et législatives, elles n’y sont que peu représentées. Kenza mentionne qu’« il n’y a qu’un seul parti politique dont la secrétaire générale est une femme ; ce sont les hommes qui dirigent les débats ». Il existe aussi une discrimination dans la distribution des espaces, certains étant affectés uniquement aux hommes et d’autres aux femmes. Ceux attribués aux hommes sont généralement plus grands. La politique publique urbaine n’est pas inclusive puisqu’elle n’intègre pas le genre dans les espaces publics. Par exemple, une grande majorité de nouveaux équipements de proximité comme des terrains de football pour garçons voient le jour. « Les espaces publics tels que la rue, les marchés, les cafés, les parcs et les transports publics sont, quant à eux, étroits et fort fréquentés. Ils sont propices au harcèlement. Dans les transports publics, un homme peut toucher ton corps ; tu ne peux pas en parler, car après tu dois te défendre et tu es de toute façon considérée coupable. » Amina ajoute que dans le bus, les hommes sont vulgaires, disent des choses choquantes et ont des pratiques violentes. Non seulement la femme a peur d’être harcelée, mais elle a peur d’être vue en situation de harcèlement.
DES CONSÉQUENCES SOCIALES ET ÉCONOMIQUES
Les espaces publics sont des lieux d’épanouissement, d’ascension et d’affirmation pour toutes les personnes. « Lorsque les femmes sont privées ou limitées dans leur mobilité ou à l’accès à ces espaces, cela a un impact non seulement sur leur rendement et leur performance professionnelle, mais surtout sur leur estime de soi. Moins d’accès à l’éducation, aux soins de santé et aux richesses nationales… cela veut dire que le pays est privé de la moitié de ses ressources humaines. Si les femmes sont exclues des espaces publics, cela a une influence directe sur le développement local et national et cela donne une société décalée. Il faut marcher sur deux pieds pour garder un équilibre ! », conclut Amina. De plus, la famille exerce une emprise considérable sur les filles depuis l’enfance. En effet, « celles-ci sont considérées comme des êtres faibles devant être protégés par leurs pères et frères. La place idéale pour une femme, c’est la maison », nous explique ironiquement Amina. La famille attache une attention particulièrement importante à la perte de la virginité de la fille. Si elle perd sa virginité suite à un viol, elle sera reconnue coupable. « La mentalité dominante fait en sorte que les femmes ne doivent pas dépasser l’espace privé afin de rester protégées contre toutes les formes de brutalité et de harcèlement », explique Kenza. En 2018, une loi relative à la lutte contre la violence envers les femmes est entrée en vigueur, mais elle est questionnée par différentes associations de défense des droits humains. En effet, il n’existe pas de réelles politiques garantissant la sécurité des femmes dans l’espace public. « Bien que cette loi soit enfin entrée en vigueur, l’endoctrinement socioculturel est tellement ancré dans la société marocaine, qu’elle sera difficilement appliquée », selon Kenza. Face à ces formes d’inégalités d’accès à l’espace public, au sentiment d’insécurité et au problème de harcèlement sexuel, Amina et Kenza ont des propositions claires quant au décloisonnement des femmes de leur espace domestique. En effet, il s’agit de plaider pour sécuriser les espaces publics, de dénoncer tous les actes et formes de discrimination, harcèlement, maltraitance envers les femmes. Dans le programme Vie digne et travail décent soutenu par Solsoc, AFAQ appuie plusieurs initiatives féminines génératrices de revenus dans les quartiers populaires de Casablanca. Elles sont aussi amenées à s’intégrer à la vie politique et sociale de leur quartier. Un travail qui a donc tout son sens !
Solsoc est une organisation non gouvernementale (ONG) de coopération au développement. Avec des organisations du Sud, elle combat l’exclusion et les inégalités en Bolivie, au Burkina Faso, au Burundi, en Colombie, au Maroc, en Palestine, au Sénégal et en République Démocratique du Congo, ainsi qu’en Belgique. Leur objectif commun est de contribuer à la construction d’un monde plus juste et plus démocratique.
Plus d’infos : www.solsoc.be