
Samira est animatrice dans la régionale Soralia de Wallonie picarde, Leslie est animatrice Soralia à la Maison des femmes d’ici et d’ailleurs, à Liège. Toutes deux abordent les questions migratoires avec leurs publics. Dans une optique de mixité et d’inclusivité, elles travaillent également avec des personnes en situation de migration. Samira s’implique à Fedasil Mouscron, le plus grand centre ouvert de Belgique tandis que Leslie, au sein de la Maison des femmes, côtoie des personnes de
tous horizons. Nous les avons rencontrées pour qu’elles nous parlent de leur approche.
Samira, Leslie, parlez-nous d’un projet phare que vous avez mis en place autour de la migration en tant qu’animatrices ?
Samira : En 2023, nous avons travaillé sur l’exposition Blessures de femmes de Catherine Cabrol. C’est un projet qui met en lumière des portraits de femmes de tous âges qui ont accepté d’évoquer à visage découvert les agressions qu’elles ont subies, accompagnés de QR codes qui permettaient une traduction des textes en anglais.
À partir de cette exposition, on a réalisé un projet de fresque. On a demandé à nos publics de travailler seul∙e ou en groupe sur leur vision de la violence, en fonction de leurs histoires et de leurs expériences. Dans cet atelier, on avait des femmes issues du monde entier et des Belges. Au travers des tableaux réalisés, elles ont pu se rendre compte que malgré leurs origines différentes, elles vivaient des violences et des réalités communes, transversales.
Leslie : Même si tous les projets de la Maison des femmes ne travaillent pas autour des questions migratoires, nous sommes un lieu qui aborde énormément ces questions. 90 % de notre public est concerné par la migration donc on ne peut pas passer à côté de ce sujet. On part du vécu des femmes.
Souvent, le premier prétexte pour venir chez nous, c’est l’apprentissage de la langue française. Celui-ci va de pair avec un besoin de sociabiliser avec d’autres personnes. Certaines ont des projets très clairs en tête, comme par exemple apprendre l’informatique. Puis elles finissent par rester parce qu’on les emmène vers autre chose. Par exemple, lorsqu’on a lancé un atelier théâtre, certaines étaient réticentes. Puis, elles se sont rendues compte qu’une dynamique de groupe pouvait se créer. Finalement, à travers cet atelier, elles ont abordé des thématiques riches et variées autour de leur vécu et de ce qu’elles veulent transmettre à leurs enfants. C’est incroyable de voir chez certaines participantes une telle augmentation de leur confiance en elles. Puis elles en inspirent d’autres qui se disent, « si elles osent le faire, pourquoi pas moi ? »
Atelier proposé par la Maison des femmes d’ici et d’ailleurs & Soralia Wallonie picarde
Comment vous adaptez-vous au quotidien avec des personnes qui ont des réalités de vie, des parcours, des cultures qui sont aussi différent∙e∙s les un∙e∙s des autres ?
Leslie : La Maison des femmes a été créée avec pour objectif de partir des besoins de nos publics. Les femmes voulaient un lieu pour se retrouver et échanger en toute liberté, et on s’est modelées autour de la demande de ce public. On s’adapte à leurs réalités. Au niveau de Soralia, nous défendons certaines valeurs, mais il faut rester diplomates dans notre façon d’apporter ces messages.
Il faut apprendre à faire des va-et-vient constants entre nos représentations et les leurs et surtout, il faut prendre son temps. Quand une activité fonctionne ou pas, on essaie de comprendre pourquoi. Cela ne veut pas pour autant dire qu’on ne doit rien proposer de nouveau. Il faut surtout les écouter et prendre le temps de communiquer avec elles. On crée un cadre bienveillant et on appelle nos publics à avoir ce respect malgré les avis parfois divergents.
Samira : Je travaille notamment sur des ateliers d’écriture avec des femmes issues de tous horizons. On y aborde entre autres la condition des femmes. Quand elles ont pu partager leurs vécus individuels, elles parviennent ensuite à créer des ponts entre leurs expérience. Je pense qu’il y a énormément de bienveillance dans ce lieu. On met en place des mesures de respect, d’écoute et de non-jugement. Ça se fait naturellement. Je n’ai à ce jour jamais eu de propos racistes dans ces ateliers. Quand les femmes y viennent, c’est un moment rien que pour elles. Les ateliers artistiques sont des portes d’entrée pour exprimer ce que ces femmes ressentent. Je pense qu’il faut une approche mondialisée de nos combats, car c’est toutes ensemble qu’on arrivera à faire bouger les mentalités et les choses. Les femmes sont soeurs dans leurs combats.
Pourquoi, en tant que structure féministe, devons-nous travailler autour des enjeux migratoires ?
Leslie : Les plus précarisés des précarisés sont les femmes. Et parmi elles, les femmes issues de la migration sont encore plus précarisées que les autres. C’est donc important de travailler sur ces questions. Ça ne veut pas forcément dire qu’on est toujours les plus légitimes pour en parler. On n’a pas tout le temps un avis éclairé sur tout. C’est pourquoi il faut favoriser une diversité de réalités au sein des équipes d’animation et ne pas hésiter à se remettre en question.
Samira : Certaines femmes issues de l’immigration sont confrontées à des réalités spécifiques comme l’excision ou les mariages forcés. Pourtant, comme pour les femmes belges, leur parole est remise en question. En tant que structure féministe, on doit soutenir ces femmes. En Belgique, on s’est battu∙e∙s pour donner aux femmes des droits et on continue à chaque fois, par exemple quand le droit à l’avortement est menacé. On doit aussi accompagner les femmes issues de l’immigration.
Va-t-on assez loin au sein du mouvement Soralia?
Leslie : On est dans un cheminement qui prend du temps. C’est un peu comme pour la transition écologique. On ne peut pas être parfaites du jour au lendemain, il faut avancer étape par étape. L’important, c’est de se rendre compte qu’on est au début du chemin et que pour avancer il ne faut pas arrêter de se questionner. Samira : L’inclusivité est une valeur intrinsèque de Soralia mais qui a pris plus d’ampleur depuis notre changement de nom en 2022. Il nous fallait être encore plus attentives à toutes les femmes. À mon échelle, je suis contente de collaborer avec le centre Fedasil de Mouscron. Au sein du centre, je défends les valeurs de Soralia. À notre échelle cela aide mes publics dans leur propre cheminement. Pour moi, l’inclusivité, c’est brasser les publics et comprendre que les combats que l’on mène sont identiques. C’est tellement enrichissant de partager, de se confronter, de débattre avec des gens très différents.