Elles vivent à Liège ou à Mouscron. Mais avant cela, elles étaient au Maroc, au Ghana, en Azerbaïdjan, en Colombie, en Syrie… Des femmes venues de tous horizons nous racontent comment elles sont arrivées en Belgique.

ZINEB

Je viens du Maroc. Je suis arrivée en Espagne à 11 ans et j’y ai habité pendant 15 ans. Ma mère, ma soeur et moi avons rejoint mon père qui y vivait depuis plusieurs années. En 2014, j’ai rencontré mon mari, je me suis mariée un an plus tard et j’ai commencé une formation d’aide-soignante. J’ai eu mon premier fils en 2017 à 19 ans et mon deuxième fils pendant le COVID.

Nous avons voulu changer de pays pour le futur de mes enfants. Je ne connaissais personne en Belgique. Mon mari est arrivé en août avec un ami. Ils ont cherché un appartement et nous l’avons rejoint avec les enfants en décembre 2023. J’aime beaucoup Liège, c’est une belle ville. Je pense que la Belgique est un bon pays pour le futur de mes enfants parce qu’ici tout le monde a les mêmes droits, tous les enfants sont égaux. J’ai en tous cas ce sentiment. Il y a beaucoup de gens de divers pays. J’aime aussi beaucoup la langue française. Il y a beaucoup de mots qui se rapprochent de l’espagnol et du catalan, deux langues que je parle. Je préfère la pluie de la Belgique à la chaleur de l’Espagne (rires).

PEACE

Je suis togolaise. Je suis venue en Belgique avec le regroupement familial. On s’était mariés au pays avec mon mari avant qu’il ne décide de partir s’installer en Belgique. Je l’ai attendu 10 ans avant de le rejoindre. On ne s’est vu qu’une seule fois pendant ces dix années.

En venant en Belgique, je pensais retrouver ma famille, mais ça n’a pas été le cas. On était devenu des étrangers mon mari et moi. Il s’était mis en couple avec une autre femme avant de nous faire venir, ce que nous ne savions pas mon fils et moi. Tous les jours, nous nous disputions. Il m’a demandé de retourner au pays. J’étais coincée. Je ne savais pas si je devais retourner ou rester en Belgique. J’ai décidé de rester ici, mais ça a été un vrai combat.

Il a tout fait pour me faire partir, pour me décourager. Il a écrit à l’Office des étrangers. On a essayé de me faire quitter le territoire, car mon mari a menti en disant que je ne travaillais pas et que je venais pour toucher le CPAS. On m’a dit que j’allais être payée pour rentrer au pays [ce qu’on appelle le retour volontaire NDLR]. J’ai pris un avocat et il m’a défendu en expliquant que je n’avais jamais demandé le CPAS, que c’était mon mari qui avait écrit à l’Office des étrangers.

J’ai fini par obtenir mes papiers, pas avec le regroupement familial, mais comme si c’était moi qui avais fait la demande. [Comme l’explique Leslie, dans le cadre d’un regroupement familial, il faut rester 5 ans avec la·le conjoint·e en Belgique pour obtenir soi-même des papiers, ce qui est problématique dans des cas de violences NDLR]. Maintenant, je suis autonome. Je vais mieux aujourd’hui, l’année prochaine je termine mon contrat article 60. Après je vais rechercher du travail ou peut-être ouvrir mon salon de coiffure. J’ai parcouru un grand chemin en obtenant mes papiers.

Avec le soutien de la Maison des femmes d’ici et d’ailleurs (Soralia Liège), Peace a passé son permis, a appris à rouler à vélo et travaille aujourd’hui sur la thématique du logement. Comme l’explique Leslie, qui y est animatrice, « un combat en chasse un autre ». Peace travaille actuellement au sein de la Maison des femmes.

KARIMA

En venant en Europe par regroupement familial, je pensais que j’allais avoir une vie heureuse avec mon ex-mari et notre enfant.

Nous nous étions mariés au Maroc et il vivait en Belgique. Il revenait une fois par an. Je ne le connaissais pas très bien, il ne restait pas très longtemps, un mois maximum. Il montrait sa meilleure image, pas ses mauvais côtés. C’était très difficile de m’installer en Belgique, je n’avais pas de famille. Je me suis retrouvée toute seule dans une ville qui n’avait pas mes traditions et ma langue. J’avais l’habitude d’être entourée. Là, je passais mes journées seule avec mon fils. Je n’osais pas non plus aller dans les magasins. Je ne comprenais pas les prix, j’avais peur de ne pas avoir assez d’argent parce qu’il ne me laissait presque rien, c’était lui qui faisait les courses.

Quand j’ai vécu avec mon mari en Belgique, j’ai vu son vrai visage. Je me suis retrouvée toute seule avec trois enfants dans une vie que je n’avais pas imaginée. J’ai pensé à retourner au Maroc, mais une personne qui me connaissait bien m’a dit que personne ne m’attendait là-bas, surtout avec trois enfants. Alors qu’en Belgique j’allais être soutenue par la loi pour mes enfants et moi. J’ai compris qu’il avait raison. J’ai décidé de rester, pour mes enfants, parce que je n’étais pas toute seule. J’ai fait mon chemin, étape par étape. Je n’avais pas le choix d’être courageuse, il fallait que je le sois pour mes enfants.

Je suis tombée trois fois en dépression. Je guéris tout doucement. Aujourd’hui, je suis très contente même si c’est difficile de vivre seule dans un pays étranger. Il y a beaucoup de choses qui me manquent et j’ai du mal à trouver du temps pour moi.

ANONYME

Je suis venue en Belgique à l’âge de 8 ans. C’est mon oncle qui m’a adoptée alors qu’il vivait en Belgique et travaillait à la mine. Il n’avait pas d’enfants et il m’a emmenée, car il était tout seul. Ma mère ne voulait pas que je parte, mais mon oncle a insisté. Il était comme mon père. J’ai 4 soeurs et 4 frères au Maroc, tous n’étaient pas encore nés quand je suis partie. Tous sont restés là-bas.

Je suis rentrée à l’école en Flandre à l’âge de 10 ans et à 18 ans je me suis mariée. Je suis venue à Liège et je me suis occupée de mes 5 enfants. Je n’ai pas été à l’école en français parce qu’il fallait s’en occuper. Aujourd’hui, maintenant que je suis vieille, je vais à l’école (rires) [Cette personne suit des cours d’alphabétisation au sein de la Maison des femmes d’ici et d’ailleurs à Liège NDLR].

J’aime bien le Maroc et la Belgique. Mais, même si le Maroc est mon pays, je ne le connais pas, je suis comme une étrangère. J’ai eu une belle vie ici avec mon oncle, mon mari et mes enfants. Mes parents sont décédés tous les deux. C’était dur de ne pas grandir avec eux. J’allais les voir, mais je ne restais jamais longtemps. Je n’ai pas profité avec eux. Mais c’est comme ça, c’est la vie.

RITA

Je suis arrivée en 2005 pour plein de raisons… c’est une longue histoire. J’étais seule et j’ai été beaucoup aidée en arrivant ici.

En Belgique, l’éducation c’est vraiment important, alors que chez moi au Ghana, les filles n’étudient pas. Comme au Ghana on parle anglais, j’ai appris le français pour pouvoir échanger avec les gens quand je suis arrivée en Belgique. Puis quand je suis arrivée à la Maison des femmes, j’ai appris à lire et à écrire.

Avant, j’avais peur de faire d’autres activités, mais Sadia [animatrice de la Maison des femmes d’ici et d’ailleurs NDLR] m’a poussée à faire du théâtre. Ça m’a beaucoup ouvert. Aujourd’hui, je fais plein d’activités ici. Quand tu viens à la Maison des femmes avec des soucis, tu en ressors avec de la joie. On est accueilli ici sans discrimination.

J’ai aussi rencontré beaucoup de politiques. J’ai croisé Christie Morreale, Paul Magnette, Willy de Meyer. Je leur ai posé beaucoup de questions, je n’ai pas peur. Je ne le fais pas uniquement pour moi, mais aussi pour d’autres personnes qui ont des besoins. Je suis de tous les combats, j’en ai besoin. La vie continue, elle est devant moi.

TOURIYA

Je suis née au Maroc. Je n’avais jamais pensé vivre à l’étranger.

Mon mari a perdu son papa alors que toute sa famille vivait en Belgique depuis près de 40 ans. Il s’est rendu compte qu’il n’avait pas pu profiter de son papa et qu’il ne voyait pas beaucoup sa maman alors qu’elle était encore en vie. Il a fait des démarches à l’ambassade belge du Maroc pour obtenir ses papiers avant que la loi ne change en 2013 (maintenant, c’est plus compliqué). Il a été invité à plusieurs audiences en Belgique et ils lui ont donné sa nationalité après plusieurs années. Il m’a ensuite proposé de le rejoindre. Mais ma mère était alitée donc je ne suis pas partie tout de suite. Quand ma mère est décédée, nous avons commencé les procédures de regroupement familial. J’ai d’abord envoyé mon fils puis ma fille. Je suis restée presque 4 ans sans les voir.

J’étais infirmière sage-femme depuis 21 ans et j’ai pris ma retraite anticipée. Je suis arrivée en Belgique en 2017. Les gens pensent qu’on est venus ici pour toucher le CPAS. Mais ça ne nous est jamais arrivé. Mon mari a tout de suite travaillé, d’abord en intérim puis deux mois après il a trouvé un travail.

Au début, ce n’était pas facile, mais quand je suis arrivée à la Maison des femmes j’ai fait plein de choses. J’ai découvert beaucoup de choses et j’ai changé avec tout ça. C’est un lieu où l’on est toujours écoutées. Quand on a des problèmes administratifs, on vient poser des questions ici est on est orientées. C’est comme une famille.

LINA

Quand je suis arrivée en Belgique, j’avais 22 ans. J’étais enceinte. Je me suis enfuie à cause de la guerre, car la situation était catastrophique dans mon pays, la Syrie. L’université avait été bombardée et je ne pouvais pas continuer mes études d’ingénieure biomédicale. On entendait tout le temps le bruit des bombes, des pistolets. J’ai perdu mon père à cause de la guerre. J’ai décidé de m’enfuir en 2015 avec mon mari.

Chez nous, les hommes doivent faire leur service militaire obligatoire. Pendant ce service, tu ne peux pas voyager, avoir un passeport. Le plan était que je parte en première et qu’il me suive dès que possible pour que l’on continue la traversée ensemble. J’avais peur de voyager en étant enceinte, car j’avais entendu beaucoup d’histoire de personnes mortes en mer. Mais en Syrie, c’est aussi la mort qui m’attendait. Je préférais tenter de vivre en risquant de mourir plutôt que de rester là. Je suis partie avec mes deux beauxfrères, mais ils ont été récupérés par le régime syrien à la frontière. Je me suis retrouvée toute seule. C’était la première fois que je voyageais. Je n’avais pas de téléphone pour prévenir ma mère ou mon mari. Je suis passée par le Liban puis j’ai rejoint la Turquie. J’ai pu enfin prévenir ma famille. Mon mari m’a expliqué que ses deux frères étaient revenus en Syrie et que je ne pouvais pas rester en Turquie. Je ne connaissais rien à ce pays et je ne parlais pas turc. J’avais peur et lui aussi, car j’étais seule. Lui ne pouvait pas fuir pendant son service militaire, car toute sa famille était menacée par le régime s’il partait.

En en parlant à ma mère, celle-ci m’a dit de ne surtout pas revenir et de tenter ma chance. Ce que j’ai fait.

Quand j’y repense, je me dis que j’étais folle. J’ai revendu ma bague et mon téléphone pour pouvoir continuer mon voyage. Je n’avais aucun médicament, j’ai commencé à avoir des contractions en Turquie, mais je n’ai osé rien dire, car je ne voulais pas rester dans ce pays. Mon but, c’était la Belgique parce que mon oncle et mes frères y vivaient.

J’ai essayé trois fois de traverser en bateau. La première fois était la pire. J’avais un gros ventre avec mon bébé qui bougeait énormément. J’ai grimpé une montagne très raide puis je suis redescendue pour rejoindre la plage et monter dans un bateau vers la Grèce. C’était fin novembre, il faisait très froid. On a attendu jusque minuit dans le froid que le bateau arrive. Il faisait très noir, on ne voyait rien.

Le bateau a commencé sa traversée. À bord, il y avait beaucoup de femmes, d’hommes et d’enfants et même une personne en chaise roulante. Tout à coup, l’eau a commencé à monter. Tout le monde s’est mis à pleurer et crier. On était dans une cale donc on ne pouvait pas voir la mer. Je me suis accrochée très fort au mât. Le passeur a sorti un pistolet. Il nous a menacés en nous demandant de nous taire ou sinon, il tirait. Nous avons fait demi-tour. Je ne sais pas comment on a réussi à revenir sur la plage, car je pensais vraiment que nous allions couler.

La seconde fois, les militaires turcs ont récupéré le bateau et attrapé les passeurs. Je suis restée 15 jours encore en Turquie pour tenter ma chance une troisième fois. On était 40-45 dans un bateau gonflable. Avec mon ventre, je n’ai pas pu mettre de gilet de sauvetage, car je n’arrivais pas à l’attacher… mais je devais continuer.

Dans les eaux territoriales, la mer était très noire et donc profonde. J’avais le vertige, car si nous étions renversés, je n’avais pas de gilet. En plus, je n’avais pas prévenu ma famille que je traversais ce jour-là, car je ne voulais pas les inquiéter. En pleine mer, le bateau s’est arrêté. Il n’y avait plus d’essence et le bidon de secours était resté sur la plage. Les gens ont eu peur et le bateau a commencé à tanguer, l’eau s’est infiltrée. Une personne syrienne qui était avec sa femme et son bébé d’un mois s’est mis debout. Il a dit que si sa femme et son fils mouraient, on mourrait tous. Soit on arrivait tous ensemble, soit on mourait tous ensemble. Il a pris deux personnes pour ramer et a demandé aux autres de garder leur calme. Ça a pris presque 4 heures, car le courant nous ramenait en arrière. Quand on est arrivés à proximité des côtes, on est tous descendus du bateau, j’avais pied et j’ai rejoint la plage. La Croix-Rouge m’a récupérée. Je tremblais beaucoup. Ils m’ont fait des prises de sang parce qu’ils ont vu que j’étais enceinte. Mon taux de sucre était très bas et ils voulaient que je reste sur place. J’avais mal, mon ventre se serrait, mais je ne voulais pas rester là-bas. J’ai dit que j’étais en forme et que je voulais continuer la traversée. J’ai pu repartir.

C’est la traversée en mer qui a été le plus difficile. Depuis, j’ai peur d’aller à la mer avec ma famille. Je ne peux même pas la regarder, je ne peux plus toucher l’eau.

Après, nous avons continué en marchant et en nous déplaçant en voiture de façon illégale. Je ne connaissais pas le conducteur ou les gens qui traversaient avec moi. J’avais peur d’être kidnappée, car certains passeurs volent les organes et abandonnent les corps en forêt [1].

Pendant le voyage, j’ai rencontré une autre femme syrienne enceinte. Je lui ai expliqué que j’avais peur d’accoucher avant d’arriver en Belgique, car c’est difficile de traverser avec un bébé. Elle a partagé ses médicaments pour éviter d’accoucher trop vite.

C’était un long voyage, mais j’ai fini par arriver auprès de mon oncle et de mes frères dans un centre. J’ai perdu beaucoup de poids en route, car j’étais très stressée.

J’ai accouché deux semaines après mon arrivée. Après 9 mois, j’ai obtenu mon titre de séjour et ma fille l’a eu en même temps. J’ai pu faire ensuite le regroupement familial pour mon mari. Un an et demi après mon arrivée, il m’a rejoint. Il n’avait encore jamais vu sa fille, sauf en photo. J’ai ensuite eu deux garçons. Ma mère est encore restée en Syrie 6 ans avant de nous rejoindre.

Aujourd’hui, mon mari travaille, mes enfants sont à l’école et moi j’apprends le français. C’est très bien qu’on soit ici.

La Belgique est mieux que d’autres pays par rapport au racisme. Mais il y a quand même des situations compliquées. On est réfugiés ici pour des raisons politiques, pas économiques. On est partis, car on voulait vivre libres et en sécurité. La liberté est un mot interdit chez nous.

J’ai hâte que mes enfants grandissent pour leur raconter ça et leur expliquer tout ce qu’on a fait ça pour leur offrir une belle vie.

Mon rêve c’est de terminer mes études. J’ai commencé ma formation d’assistante pharmacienne, j’ai réussi tous mes examens de première année, mais je n’ai pas trouvé de place en crèche pour mon fils. J’attends donc que mes enfants grandissent un peu, car c’est difficile d’étudier avec eux. Je rêve d’avoir un diplôme et d’avoir la chance de travailler.

FARAH ET ASMAR

FARAH : On habite au centre Fedasil2 depuis presque 6 ans. On est arrivés avec maman et on vit toutes les 3 ensemble. J’ai 29 ans…

ASMAR : … et moi 30 ans. On vient d’Azerbaïdjan. On est arrivées à Mouscron en février 2019.

F : Lorsqu’on est arrivées au centre le premier jour, les personnes ont été très gentilles avec nous. On a été accueillies avec des fleurs et tout le monde nous a dit bonjour [3].

A : On a traversé la Russie et la Pologne pour rejoindre la Belgique en avion et en voiture. On n’avait pas choisi de pays en particulier, mais on aime bien la Belgique. Un jour lors d’un concert quelqu’un m’a demandé d’où je venais et je lui ai répondu « Fedasil Mouscron » en fait il me demandait de quel pays je venais (rires). C’est notre première maison ici. On a très vite travaillé au service animation de Fedasil [il s’agit d’un travail communautaire. Celui-ci permet aux bénéficiaires du centre de Fedasil d’effectuer des tâches en interne comme le nettoyage et d’être rémunérées 1,90 euro de l’heure NDLR].

F : On a par exemple beaucoup travaillé pendant le COVID, on s’occupait des enfants au service animation. Les trois mois durant lesquels on n’avait plus le droit d’animer, ça a été très dur…

A : … parce que le travail nous permettait d’oublier les difficultés de la procédure pour obtenir nos papiers. Grâce à cette expérience, je travaille aujourd’hui à la Ruche [une maison de jeunes mouscronnoise qui se trouve à proximité du centre Fedasil NDLR]. Avant d’obtenir cet emploi, ma soeur et moi y étions parfois bénévoles. Quand j’ai vu qu’il y avait un poste j’ai postulé et j’ai obtenu un travail ici à temps plein.

F : Moi je travaille encore au centre, mais j’ai commencé des cours du soir en couture. Je cherche en parallèle un travail à mi-temps. J’aimerais après mes études soit continuer de m’occuper des enfants soit créer un atelier de couture.

A : On fait plein d’autres activités. On a commencé les Beaux-arts et on suit des cours d’arts plastiques en cours du soir. Dans mon pays, j’étudiais en tant que Graphic Designer. Quand les animateurs se sont rendu compte que je dessinais bien, ils m’ont proposé de faire des illustrations pour le centre. On a déjà exposé notre travail. J’ai aussi créé des illustrations pour des chaussettes « Lets do goods » [projet caritatif dont une partie des bénéfices sont envoyés à des structures NDLR]. J’aime aussi chanter et je participe aux concerts et aux activités du centre. J’ai aussi travaillé avec la Frégate pour la Semaine des droits de l’enfant. On a fait des grimages pour des activités comme les 24 h de Mouscron, le Relais pour la vie…

F : Moi j’ai aussi fait du théâtre !

A : Il y a trois ans, nous avons également rejoint le projet Younited Belgium [un projet qui permet à des personnes vulnérables comme les migrant·e·s de pouvoir suivre des cours de football et de participer à des tournois NDLR]. On a rencontré beaucoup de gens et on a appris à jouer au foot.

F : C’est un projet magnifique. On n’est pas des professionnelles, mais on adore participer à des tournois alors qu’avant on ne connaissait rien à ce sport.

A : Grâce à notre procédure de régularisation, on a eu notre titre de séjour. On a trouvé un appartement et on va quitter le centre en janvier. On est contentes d’avoir trouvé ce logement, car on sait que c’est difficile pour les gens de Fedasil de trouver quelque chose. C’est grâce aux gens que l’on a rencontrés et à notre propriétaire que l’on a réussi [4]. On est à 6 minutes du centre. Quand on aura du temps, on va y retourner. C’est comme notre maison et les enfants dont nous nous sommes occupés vont beaucoup nous manquer. J’ai plein de projets en tête. Là, pour l’instant, on a un projet entre Fedasil et La Ruche, on va participer à un concours pour le Ramdam Festival [un festival de cinéma à Tournai NDLR], on va leur envoyer un film. Plus tard, j’aimerais vraiment devenir artiste.

F : Moi je rêve d’ouvrir mon atelier de couture, mais j’aime aussi beaucoup travailler avec les enfants. Je vais devoir choisir entre mes deux passions et j’avance étape par étape. C’est comme un médicament pour moi de pouvoir faire ça.

MARTHA

Dans mon pays d’origine, la Colombie, il y a beaucoup d’insécurité. Certaines personnes n’osent même pas se déplacer avec leurs enfants. Il y a aussi beaucoup de corruption. Les gouvernants sont souvent soutenus par les groupes armés. Ils disent que tout va bien dans notre pays, mais c’est faux. Les gens qui arrivent au pouvoir ne servent que leurs intérêts et ceux des gens qui les ont aidés à monter au pouvoir.

Beaucoup de personnes ont des comportements violents pour se décharger d’un mal-être interne. Beaucoup d’enfants se retrouvent impliqués dans des groupes armés, certains enfants sont enlevés, séquestrés et violés.

Mon fils est autiste. Il a été victime d’un harcèlement très violent. Il se faisait frapper et on lui a cassé ses lunettes plusieurs fois.

C’est un enfant dans un corps d’adulte. Quand il fait des crises, il fuit et parle aux gens dehors de façon incohérente. Un jour, il s’est rendu dans une zone dirigée par un groupe armé dans laquelle il ne pouvait pas aller. Lui ne comprenait pas cette délimitation. Il a été tabassé, on a essayé de le tuer. Les personnes qui l’ont attaqué se sont justifiées en disant que sa tenue ressemblait à celle d’un autre homme qui était recherché.

On a kidnappé ma deuxième fille, sur le chemin qu’elle prenait habituellement pour rentrer de l’école. Elle avait 14 ans. Elle a disparu pendant plusieurs heures. Lorsqu’on l’a retrouvée, elle était dans un état horrible, mais n’a jamais expliqué ce qui lui était arrivé, car elle craignait pour sa vie.

Nous avons déménagé dans une autre région de Colombie après cela. Mon mari voyageait beaucoup dans le cadre de son travail. Certaines régions du pays sont dirigées par des groupes et ceux-ci trouvaient suspect que mon mari se déplace beaucoup. Ils ont cru qu’il était un espion pour un autre groupe ou un autre état. Ces groupes détiennent énormément d’informations plus précises que celles des services secrets. Il a été détenu pendant 15 jours. On lui a dit que s’il ne quittait pas le pays, sa famille était en grand danger. C’est là que l’idée de partir est née.

En Colombie, mon fils ne disposait pas de traitement pour ses problèmes de santé mentale. Il faut passer par des centres spéciaux et obtenir des documents spécifiques, ce qui est très difficile à obtenir. Il a finalement reçu un traitement adapté avec des médicaments fabriqués en Belgique. C’est comme ça que nous avons décidé de nous rendre dans ce pays.

Quand nous sommes arrivés ici en mai 2019 avec toute la famille, ça a été un soulagement total. On s’est senti en paix et en sécurité pour la première fois. Mon fils a pu obtenir une vraie prise en charge médicale, adaptée à ses besoins. Ses progrès depuis sont très importants. Il va bien et il est heureux, il parle et s’exprime. Il participe aussi à beaucoup d’activités.

Au bout de 4 mois ici, mon mari a obtenu un permis de travail. De mon côté, j’effectuais du travail communautaire à Fedasil.

La Belgique est un pays plein d’opportunités. J’espère avoir mon titre de séjour pour avoir une vie normale comme beaucoup d’autres gens. Je souhaite vraiment rester en Belgique et que ma famille vive dans la même ville que moi [une de ses filles est partie avec son mari à Arlon NDLR]. J’aimerais vraiment travailler et à côté de ça, j’aimerais enseigner ce que Dieu m’a permis de s’avoir à d’autres personnes pour partager humblement mes connaissances en couture, en tricot, en cuisine.

Propos recueillis par Elise Voillot, chargée de communication Soralia ; Avec le soutien de Leslie Laurent et Samira Bouguerra, animatrices Soralia, et de Yohann Miessen, médiateur au Centre Fedasil Mouscron

[1] Notes de la rédaction : il y a bien des trafics d’organes connus au Proche-Orient. Cependant, nos propres recherches n’ont pas permis d’identifier de source sûre que de tels trafics existent en Europe. Ces informations circulent néanmoins entre personnes migrantes et entretiennent un climat d’insécurité et de peur tout au long du trajet migratoire.

[2] Le centre Fedasil de Mouscron est le plus important centre ouvert accueillant des réfugié∙e∙s en Belgique. Il a l’avantage d’être implanté au coeur de la ville contrairement à d’autres centres parfois très isolés. Cela permet aux résident·e·s de s’intégrer plus facilement au sein de la commune.

[3] Comme l’explique Samira, animatrice Soralia en Wallonie picarde, les gens venaient à l’époque dans des bus remplis. Les associations impliquées au sein du centre Fedasil ont voulu offrir un accueil digne et humain aux arrivant·e·s et ont donc offert des petits cadeaux.

[4] Comme l’explique Samira, animatrice Soralia en Wallonie picarde, Asmar, Farah et leur maman se sont constituées un réseau important en dehors du centre en s’impliquant activement dans de nombreux projets. C’est notamment ça qui leur a permis de trouver un logement à Mouscron. Il est en effet très difficile pour des personnes migrantes de trouver un appartement malgré parfois des contrats de travail stables, car il y a beaucoup de racisme.

Autrice
AutriceElise Voillot