Dans ce dossier, comme en général, nous avons beaucoup parlé des secteurs culturels et artistiques. Nous avons également souhaité donner la parole à un autre pan du secteur : le socio-culturel, et notamment l’éducation permanente. Un billet d’humeur aiguisé de Denis Dargent, co-directeur de Présence et Action Culturelles (PAC).
Avec la pandémie, on a beaucoup parlé de « culture » ces derniers mois. Mais de quoi ou de qui parlait-on exactement ? En gros, des institutions culturelles (théâtre et autres salles de spectacle) et des artistes, réduits à l’inaction faute de public. Et comme à chaque fois, on a beaucoup moins parlé de l’action socio-culturelle, pourtant vivace, mais ignorée des médias qui s’intéressent assez peu à la vie des gens. Voilà pourquoi la Culture dont on parle s’écrit souvent avec un grand C.
Et cette fois, de quoi parle-t-on ? De l’Art. Avec un grand A. L’Art considéré comme quelque chose de sacré, de supérieur. Les « vrai·e·s artistes » étant celles et ceux qui ont été désigné·e·s comme tel·le·s par les critiques et les marchand·e·s d’Art. Leurs œuvres entraînent de la spéculation sur le marché de l’Art, elles s’achètent ou se négocient comme de simples produits de consommation. Dans ce système, l’artiste star devient une marque, ce dont raffole le milieu de l’Art qui ressemble beaucoup à celui de la publicité.
Pour comprendre l’Art, il faut y avoir accès, appartenir à ce milieu. Ce qui signifie : adhérer à une théorie esthétique à la mode (autrement dit : une définition de ce qui est censé être « beau ») et en adopter les codes, le langage. Ne sera donc considéré comme artiste que celui ou celle ce qui sera connu, reconnu et labellisé par ce petit monde d’initié·e·s.
Le peuple lui, n’est pas considéré comme initié, il serait inculte par nature. Il ne possède pas les clés du royaume. Et l’enseignement me direz-vous ? Peine perdue : on n’y encourage pas l’esprit critique des individus. Les « chefs-d’œuvre de l’Art » sont déjà prescrits dans les manuels scolaires. Il ne s’agit pas d’en débattre, mais de les apprendre. Au peuple, encore lui, on demande d’admirer et de louer (au sens biblique du terme), sans participer au mystère de la création. On appelle ça la démocratisation de la Culture.
Ici, les spécialistes de la Culture se mettent à hurler : « Faites entrer l’Opéra dans les quartiers populaires et vous verrez la magie opérer ! L’Art c’est ce qui émancipe, ce qui libère ! » Mais libère de quoi au juste ? De la marchandisation de toute chose, du racisme, du sexisme, du réchauffement ou de la 5G ? Si l’art, que nous préférons avec un petit « a » peut-être porteur d’émerveillement et de transformation, ce que nous ne nions pas, il peut tout à la fois se faire complice de la domination. Ne l’oublions jamais.
Nous, quand nous parlons de culture, c’est avec un petit « c ». Ce qui, paradoxalement, en élargit le champ, au-delà des terrains balisés de la Culture. Nous, ce sont les actrices et acteurs de l’action socio-culturelle, qui défendons une idée pour laquelle le combat n’est jamais vraiment terminé. On appelle ça la démocratie culturelle. Son objet, c’est l’émancipation par la citoyenneté. Autrement dit, permettre à un individu de s’extraire de ses conditionnements (ce qui me détermine sans que j’en aie pleinement conscience) en construisant son propre regard critique sur la société. C’est une action éminemment culturelle puisqu’elle nous conduit toutes et tous à analyser et à remettre en cause ce qui colonise nos imaginaires à notre insu, de l’enfance à l’âge adulte. Ce qui est le cas, notamment, des discours de type publicitaire sur l’Art et la Culture, langues officielles des élites.
Et ne nous leurrons pas, il s’agit aussi de retrouver la voie d’un art repolitisé qui n’érige pas en valeurs le banal et les bons sentiments. Un art de rupture avec le « beau » normalisé et mondialisé qu’on cherche à nous imposer à grands coups d’évènements démesurés, auxquels il nous est demandé de participer en touristes spectatrices·teurs.
Nous revendiquons donc la liberté totale pour chacun, chacune, citoyens, citoyennes et non pas seulement « artistes », de créer en toute liberté, affranchi.es des codes, des dogmes et des traditions éprouvantes. Dans un temps historique particulièrement troublé, cette faculté de réappropriation créatrice apparaît plus que jamais comme une nécessité absolue.