Dans les années‘70, les femmes font massivement leur entrée sur le marché du travail en Europe. Il leur faudra pourtant plus de 30 ans pour pénétrer dans l’univers syndical, qui reste encore aujourd’hui majoritairement masculin. Dans les pays du Sud, on observe la même logique. Quelles sont les raisons qui expliquent ce phénomène ? Pour répondre à cette question, nous avons interrogé Yolanda Lamas, responsable du suivi des partenariats dans les Amériques pour l’IFSI [1] et Graciela Raquel López Quintero, coordinatrice du REMTE, un réseau syndical d’associations de femmes boliviennes partenaire de Solsoc.

Que signifie être une femme syndicaliste aujourd’hui ? Sont-elles vraiment représentées dans les syndicats ?

Yolanda : Que ce soit en Europe ou en Amérique latine, les femmes syndicalistes se battent contre les mêmes inégalités et le machisme dominant. Elles luttent face aux patrons, mais aussi contre certains de leurs collègues au sein du syndicat. On ne trouve, d’ailleurs, que très rarement des femmes au sein des directions syndicales. Une des raisons pourrait, sans doute, être que pour les femmes, dès qu’elles s’impliquent dans le combat syndical, assister aux réunions syndicales n’est souvent possible qu’après avoir assuré le repas du soir et obtenu le soutien de leur compagnon qui acceptera de garder les enfants… En Belgique, à la FGTB, une règle veut que la présidence et le Secrétariat général soient mixtes. Les femmes réclament depuis longtemps – et partout — l’imposition des quotas dans toutes les directions syndicales, mais les syndicats avancent lentement sur ces questions.

Graciela : En Bolivie, être femme et syndicaliste n’est pas une tâche facile ! Ce sont des champs de bataille contre le capital, le colonialisme et le patriarcat. Pour les travailleuses, le syndicat est un espace de défense de leurs droits et de leurs intérêts, mais aussi un lieu où se reproduisent les relations de pouvoir machistes de la direction masculine. REMTE cherche à changer cette culture syndicale pour renforcer la participation des femmes dans les espaces de décision, en respectant les principes de proportionnalité, de parité et d’alternance. Elle cherche également à impliquer des femmes au sein des formations syndicales qui sont généralement données par des hommes, afin d’y intégrer la problématique du genre de manière plus approfondie.

Quelles sont les revendications syndicales des femmes ?

Yolanda : En Europe, depuis des années, la lutte syndicale féministe se centre sur l’inégalité salariale, le plafond de verre et le plancher collant. En Colombie, les revendications sont tout aussi ambitieuses pour l’égalité des droits et contre le harcèlement. Mais les conditions de travail dans certains secteurs professionnels sont tellement épouvantables (utilisation de pesticides qui attaquent la peau sans port de vêtements et bottes de protection, heures supplémentaires nombreuses et non payées…) que la lutte syndicale se concentre sur l’obtention des droits bafoués  : un contrat de travail, le respect de la santé et sécurité au travail, la liberté syndicale… La lutte syndicale en Colombie est dure et l’est encore plus qu’en Europe parce que, comme les hommes, les femmes sont menacées de perdre leur emploi. Si elles n’abandonnent pas leurs revendications, elles sont licenciées. Contre elles, on utilise une arme presque systématique : le viol.

Graciela : En Bolivie, malgré les avancées légales et notre apport majeur à l’économie du pays, la majorité des femmes continuent de travailler dans les emplois les plus précaires, les moins productifs, avec de grandes différences salariales, des droits fragilisés et la permanence de violences, comme le harcèlement au travail et sexuel. Le secteur informel [2] concentre plus de 70  % des femmes. Mais il manque une plateforme qui puisse représenter tou-te-s ces travailleuses/ eurs. C’est pour ça que nous avons demandé un code du travail, qui intègre également les travailleuses/eurs de l’informel, plutôt qu’une loi du travail, qui ne concerne que les salarié-e-s. Mais nous n’avons pas obtenu gain de cause jusqu’à présent.

Au regard du contexte politique et économique actuel, êtes-vous plutôt optimiste ou pessimiste en ce qui concerne les droits du travail pour les femmes ?

Yolanda : Je suis plutôt pessimiste parce que la lutte devient de plus en plus compliquée. Les droits reculent partout. Cependant, je reste optimiste parce que je crois en la force de changement de la jeunesse qui nous a montré en Belgique et ailleurs comment elle peut s’organiser dès l’école secondaire et secouer le cocotier.

Graciela : Les femmes ont commencé à prendre conscience de l’importance de connaître leurs droits et d’occuper des espaces syndicaux. Les Fédérations comptent plus de femmes qu’auparavant, elles occupent des postes à responsabilités. Je suis également optimiste par rapport à l’inclusion de nouveaux décrets en faveur des droits des femmes au sein de la loi du travail. Il reste du chemin à faire, mais nous sommes sur la bonne voie…

Solsoc est une organisation non gouvernementale (ONG) de coopération au développement. Avec des organisations du Sud, elle combat l’exclusion et les inégalités en Bolivie, au Burkina Faso, au Burundi, en Colombie, au Maroc, en Palestine, au Sénégal et en République Démocratique du Congo, ainsi qu’en Belgique. Leur objectif commun est de contribuer à la construction d’un monde plus juste et plus démocratique.

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[1] L’IFSI est l’Institut de coopération syndicale internationale soutenu par la FGTB, une des deux grandes confédérations syndicales belges. Avec Solsoc, l’IFSI et le FOS sont dans programme commun Travail décent co-financé par la DGD.

[2] Le secteur informel correspond aux emplois où les travailleuses/eurs ne disposent pas d’un contrat de travail.

Aurore SchreiberAutrice
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