En Belgique, plus de 2 millions de personnes courent un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale . Cette situation s’est par ailleurs aggravée en raison de la crise sanitaire du Covid-19 . Les femmes et les jeunes sont particulièrement touché·e·s . Multidimensionnelle, la pauvreté repose notamment sur nos représentations sociales. Or, dans le monde occidental, les discours qui circulent à son propos sont souvent erronés et alimentent le rejet de certains groupes sociaux. Pour lutter efficacement contre ce fléau, il est temps de déconstruire quelques idées reçues…

La pauvreté touche des citoyen·ne·s « ordinaires »

Dans notre société, le statut de « pauvre » s’accompagne communément de stéréotypes dévalorisants et de représentations extrêmes. Cet imaginaire collectif pose problème sur plusieurs plans puisqu’il participe à la stigmatisation, à l’exclusion ou encore à la déshumanisation des personnes pauvres . Or, la pauvreté n’est pas abstraite, elle renvoie avant tout à des citoyen·ne·s qui disposent de droits, qui font face à des expériences qui varient en fonction de leur situation familiale, de leur milieu professionnel ou encore de leur trajectoire de vie et qui, très souvent, luttent pour s’en sortir via la débrouillardise .

Par exemple, de nombreuses·eux travailleuses·eurs ne disposent pas d’un salaire décent, ce qui les contraint à limiter drastiquement leurs dépenses. C’est le cas de beaucoup d’artistes qui, en l’absence de statut , n’ont accès qu’à de faibles rémunérations, tout à fait aléatoires. Au-delà de l’emploi, la composition du foyer est aussi significative. Comme l’explique le docteur en psychologie François Ghesquière, « Quand on travaille mais qu’on est seul, avec des enfants à charge, un salaire n’est souvent pas suffisant pour vivre dignement » . Par ailleurs, 80 % de ces familles monoparentales ont à leur tête une femme et, c’est parmi les mères monoparentales que le risque de pauvreté est le plus accru .

La pauvreté touche plus les femmes que les hommes

Dans notre société patriarcale, les inégalités de genre touchent toutes les sphères de la vie. La pauvreté est donc elle aussi sexiste en raison d’une superposition de discriminations dont les femmes sont victimes . Plusieurs mécanismes sont en cause comme l’écart salarial lié au taux élevé de temps partiels chez les femmes, au statut du care [1] dans notre société ou encore à la ségrégation horizontale [2] et verticale [3] du marché de l’emploi.

Ainsi, selon une enquête de Solidaris datant de 2016, en Belgique, deux tiers des travailleuses·eurs pauvres sont des femmes . L’écart salarial en Belgique s’élève en effet toujours, en 2017, à 9,6 % !  En cause ? Notamment les contrats à temps partiel, majoritairement occupés par des femmes et contraints…[4] Une des conséquences majeures de ce déséquilibre est la situation des femmes à l’âge de la pension. Leur pension s’élève en moyenne à 882 €, contre 1 181 € pour celle d’un homme, soit une différence de 26 % , alors qu’un séjour en maison de repos coûte en moyenne 1 562 € par mois…

La pauvreté est un problème structurel dont la responsabilité est collective

La façon dont la pauvreté est considérée dans notre société n’est pas anodine, elle est le reflet de l’idéologie dominante actuelle. Elle s’appuie sur un mythe qui persiste et qui sert notre système capitaliste [5] : celui de la méritocratie. En effet, notre société classe les individus entre les « gagnant·e·s » et les « perdant·e·s », estimant que chacun·e mérite sa place en fonction des efforts qu’elle·il a fournis pour y arriver . Le visage de la réussite est quant à lui uniformisé : il s’agit très souvent d’un homme blanc, riche, cisgenre et hétérosexuel. Pourtant, le mérite ne détermine pas le succès. Tout le monde ne naît pas avec les mêmes chances au départ ; les facteurs sociaux, économiques et culturels sont tout à fait déterminants. Si ce récit idéologique mensonger continue à être fortement véhiculé, c’est parce qu’il justifie à merveille les inégalités qui existent au sein de notre société  ! Il est par ailleurs dangereux, car il met à mal notre Sécurité sociale, basée sur la solidarité, et participe à la dérégulation du travail (intérim, flexi-jobs, sous-traitance, etc.) qui incite les personnes pauvres à accepter n’importe quel emploi, peu importe les conditions et le salaire, pour tenter de s’intégrer et de survivre … C’est ce que Robert Castel nomme « l’institutionnalisation du précariat ». La pauvreté est donc bel et bien entretenue par notre organisation sociale et juridique. Il s’agit d’un problème structurel, rythmé par des choix politiques et des mécanismes qui appauvrissent.

La pauvreté n’est pas une fatalité : en route vers plus de justice fiscale !

La méritocratie n’est pas la seule à alimenter le mode de pensée capitaliste ; le fatalisme l’accompagne. Les inégalités sociales ne sont pourtant jamais naturelles ni irréversibles, plusieurs exemples le prouvent . Elles sont idéologiques et politiques . Aujourd’hui, celles-ci sont tout à fait dramatiques. Les 1 % les plus riches gagnent plus de deux fois les revenus cumulés de la moitié la plus pauvre de la population mondiale !  Cette situation est le fait d’un système qui organise « l’enrichissement excessif des uns [ce qui] crée la pauvreté des autres » .

Les pratiques fiscales mises en place par l’État, permettant l’évasion fiscale, sont en effet l’une des principales causes de la pauvreté. Il s’agit de décisions politiques qui favorisent les plus riches sous prétexte qu’il faut protéger coûte que coûte les marchés financiers. Pourtant, la justice sociale, tout comme la justice climatique, est une urgence de premier plan. Pour s’y attaquer, nous prônons aujourd’hui l’adoption d’une justice fiscale, c’est-à-dire d’une fiscalité qui redistribue plus équitablement les richesses, ainsi que l’allocation de budgets nécessaires pour la mettre en œuvre.

[1] Le care recouvre à la fois l’attention portée aux besoins des autres mais aussi l’action de prendre en charge une personne qui n’est pas en mesure de répondre à ses besoins de manière autonome.

[2] Les femmes se retrouvent davantage dans des secteurs et des métiers moins valorisés et moins bien rémunérés que les hommes, tels que les métiers du care, en raison des stéréotypes et des rôles de genre construits dans la société.

[3] Les femmes accèdent plus difficilement aux postes à responsabilités, obtiennent moins de promotions ou de propositions de formations, elles se heurtent au « plafond de verre », leurs compétences n’étant que trop rarement reconnues à leur juste valeur.

[4] En raison de l’organisation du travail majoritairement dans les secteurs du care (horaires flexibles, conditions de travail éprouvantes, etc.) ou d’une insuffisance de services aux personnes (ex. : solutions de garde pour les enfants).

[5] Le capitalisme est un régime économique et juridique dans lequel les moyens de production n’appartiennent pas à celles·ceux qui les mettent en œuvre. Il est fondé sur : l’entreprise privée, la liberté des échanges, le pouvoir des actionnaires, la recherche de profit et l’accumulation du capital.

Auteur
AuteurFlorence Vierendeel