En février 2020, un mouvement sur les réseaux sociaux dénonçait, sous le hashtag #MonPostPartum, le tabou qui entoure les semaines suivant un accouchement. Cette réaction a fait suite à l’interdiction de diffusion, sur une chaîne américaine, d’une publicité pour produits dédiés aux suites de couches, jugée « trop crue ». Pas de violences ni de sexe pourtant dans cette réclame. Seul le corps lourd et douloureux d’une femme qui vient d’accoucher et se rend aux toilettes pour changer sa serviette périodique.
Des femmes ayant accouché ont voulu partager sans filtre leur vécu du post-partum. Si les témoignages dénonçaient aussi le traumatisme de violences médicales ainsi que le tabou sur la dépression maternelle, ils pointaient surtout le manque de préparation et de représentations. Pour beaucoup, le plus grand choc était ce décalage entre les attentes et la réalité. « Si j’avais su que mon sang allait couler pendant des semaines, je ne me serais pas sentie souillée, anormale et effrayée les premiers jours qui ont suivi mon accouchement. La peur, c’est de ne pas savoir. La peur, c’est de ne pas être préparée », témoigne ainsi Ilana Weizmann, une sociologue à l’origine du lancement du hashtag en France. Pourquoi est-ce si dur de parler de ce que vit le corps après une naissance ? À quels idéaux et tabous font face les jeunes mères ?
Le corps des femmes et ses fluides : sale, honteux, sauvage ?
Tout comme le sang des règles est représenté par un liquide bleu dans les publicités, il n’est pas imaginable de parler ouvertement des pertes de sang qui peuvent durer des semaines après l’accouchement et des protections et culottes filet que l’on doit utiliser. De même, il est mal vu qu’on discute des contraintes de l’allaitement ou qu’on le pratique dans l’espace public. Est tabou tout ce qui ramène à l’animalité et à la réalité concrète du corps qui se modifie, qui fuit, laisse des traces, fait mal, déborde. Traditionnellement, le féminin est vu comme étant du côté de la nature, du sauvage, à la fois vulnérable et indiscipliné, tandis que le masculin se situe du côté de la civilisation, du contrôle et de la domination. Pour être accepté, le corps de la femme qui a accouché doit ainsi continuer à correspondre à une image contrôlée, « du lisse, du sans aspérité, du doux », note Ilana Weizmann : « Pas de cri, pas de sang, pas de sueur. Le corps post-partum vient ébranler ces attentes chimériques ».
Le corps sexualisé ou sacralisé, au service de l’homme ou de l’enfant
En effet, le corps féminin dans notre société patriarcale n’est accepté que sous une version hygiénisée : « pur » et sacré comme mère idéalisée, ou sexualisé et objectifié pour le regard de l’homme hétérosexuel. Impossible ainsi d’imaginer que le corps féminin puisse échapper à ce regard, que soudain un vagin, une vulve, un ventre, des seins, ne soient pas, d’abord, là pour le désir et le sexe, mais marqués par la grossesse et l’accouchement, à se réapproprier par la femme. Il est attendu que la femme se sacrifie pour l’enfant, soit mère avant tout, mais aussi qu’elle veille à rester séduisante selon les normes en vigueur. Cette injonction à ne pas « se laisser aller » et à s’inquiéter des kilos pris est omniprésente dans les représentations de la maternité, les attentes du cercle familial ou amical, voire même les remarques du corps médical. Les stars, sur leurs photos post-grossesse, paraissent inchangées, la taille fine, comme si le but à atteindre était de retrouver un corps qui n’aurait pas enfanté. Difficile alors de parler des seins douloureux et hypersensibles qui changent de volume plusieurs fois par jour au cours de l’allaitement et présentent des crevasses ; de la vulve meurtrie, qui doit cicatriser, du périnée à rééduquer, des difficultés à uriner ; du ventre gonflé par un utérus qui met du temps à se rétrécir ou de la perte de cheveux provoquée par les changements hormonaux. Difficile de ne pas culpabiliser sur ses aspirations, que ce soit se soustraire à la sexualité ou vouloir la reprendre le plus vite possible, allaiter ou non, regretter la vie extérieure ou aimer pouponner. Difficile de dire, tout simplement, que l’on a besoin de temps pour se réhabituer à son corps, se remettre du changement, et que l’on a envie de pouvoir en parler sans gêne.
Normaliser les corps et se réapproprier son expérience
Ce tabou sur la réalité du corps post-partum est emblématique des injonctions omniprésentes et contradictoires qui pèsent sur les femmes. Seule une certaine maternité, blanche, hétérosexuelle, docile et esthétique, est glorifiée. Peu d’espace est laissé aux mères pour parler à la première personne de leur expérience. De manière générale, le vécu intime des femmes est considéré comme un sujet peu digne d’intérêt, voire indécent ou obscène dès qu’il est assumé et revendiqué. Dans ce contexte, parler et montrer est politique. Parler des frustrations, de la douleur, de la solitude. Montrer des corps diversifiés, des corps réels. Il est temps de se libérer du sentiment de honte en normalisant les expériences corporelles.
Cet article s’inspire de l’analyse FPS d’Eva Cottin « Donner naissance, et après ? Les enjeux du tabou autour de la période du post-partum ».