En Belgique, le Gender mainstreaming s’inscrit, depuis 2007, comme un outil fondamental dans la lutte globale et structurelle contre les inégalités basées sur le genre au sein des politiques publiques. Malheureusement, sa mise en application est loin d’être efficace, ni même effective. Revenons sur ce concept et les obstacles qui compromettent son exécution.

Qu’est-ce que le Gender mainstreaming ?

Partout dans le monde, les inégalités entre les femmes et les hommes sont toujours présentes dans tous les domaines de la vie. Et, plutôt que de les atténuer, certaines politiques mises en place, en Belgique et ailleurs, les ignorent, voire les renforcent. Par exemple, le fait de prévoir une déduction fiscale en faveur du revenu le plus élevé du « ménage » va procurer un avantage indirect aux hommes, car les femmes ont souvent des revenus plus faibles [1] .

Pour éviter ces impacts négatifs sur la vie des femmes et renforcer l’égalité de manière générale, la notion de Gender mainstreaming a été introduite, pour la première fois, lors la troisième Conférence mondiale des Nations Unies sur les femmes (Nairobi, 1985). Son utilisation est ensuite recommandée par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe en 1998. Les objectifs de cette analyse spécifique sont d’identifier les causes des inégalités de genre directes et indirectes et d’y remédier afin de mettre en place l’égalité de genre en termes de conditions d’accès (égalité de droit) et de concrétiser cette égalité sur le plan des résultats (égalité de fait).

Le cadre législatif belge

Dans notre pays, l’application du Gender mainstreaming au niveau fédéral est une obligation légale depuis janvier 2007. Celle-ci est inscrite dans la « Loi du 12 janvier 2007 — Loi visant au contrôle de l’application des résolutions de la conférence mondiale sur les femmes réunie à Pékin en septembre 1995 et intégrant la dimension du genre dans l’ensemble des politiques fédérales ». Elle s’applique tant au gouvernement qu’à ses membres et à ses administrations et elle concerne tous les domaines politiques.

Concrètement, cela implique, par exemple, la rédaction d’un rapport d’évaluation de l’impact de tout projet d’acte législatif et réglementaire sur la situation respective des femmes et des hommes (le test gender), l’établissement d’indicateurs de genre pertinents dans la production de statistiques ou encore la désignation d’une personne dans chaque cabinet ministériel chargée d’assurer le suivi de la mise en œuvre de la loi. Y est également prévue la mise en œuvre du Gender budgeting, qui nécessite de prendre en compte la dimension de genre dans tous les processus budgétaires.

Cette loi spécifique est, à l’époque, inédite en Europe. Une circulaire en 2010 précise la méthode à adopter pour la mettre en œuvre, tandis qu’un arrêté royal, édicté la même année, établit la création d’un groupe interdépartemental de coordination (GIC) chargé du contrôle de son application. Cette approche sera par après déclinée au sein des différents niveaux de pouvoir communautaires et régionaux à travers l’adoption de plusieurs décrets.

Une mise en œuvre insuffisante dénoncée par les associations féministes

Aussi louable soit-elle, cette volonté d’appliquer le Gender mainstreaming ne se manifeste que de manière très limitée sur le terrain. Nombreux sont les cabinets ministériels et les administrations qui ne disposent pas, dans leurs rangs, d’un·e expert·e en genre pour se charger de cette matière et compléter assidûment le test gender. Et lorsqu’une lecture de ce type est apposée à un dossier, elle néglige très souvent les inégalités structurelles, au profit d’une analyse majoritairement quantitative et éphémère. Les différents services ne sont donc pas formés de manière unanime à cette approche, ce qui rend sa concrétisation hasardeuse. Quant à la collecte de données genrées, « seules 14 administrations fédérales (sur la cinquantaine que compte la fonction publique administrative fédérale) s’y sont tenues pendant la précédente législature [2014-2019] ». Entre manque de moyens humains, de ressources, d’intérêt ou encore de transversalité, cette mise en œuvre totalement insuffisante est dénoncée, depuis de trop longues années, par les associations féministes francophones belges.

Mais à chaque législature son nouveau plan Gender mainstreaming ! Présenté par la secrétaire d’État à l’Égalité des genres, Sarah Schlitz, et adopté par le Conseil des ministres en juin 2021, celui-ci se compose, cette fois-ci, de 186 mesures. Chaque membre du Gouvernement fédéral s’y engage à tenir compte de la dimension de genre dans les politiques qui la·le concerne, tout en veillant à l’intersectionnalité [2], une grille de lecture jusqu’alors peu mobilisée en politique. On y retrouve la réforme des pensions, la politique de fiscalité, l’application de l’Accord de Paris [3], l’amélioration du travail à temps partiel ou encore les soins de santé mentale. Un vaste programme, plutôt ambitieux, mais qui ne règle pas tout… notamment en termes de formation des équipes au préalable ! Un rapport intermédiaire d’évaluation sera publié par le Groupement Interministériel de contrôle (GIC) fin de cette année. Espérons des avancées à la hauteur des promesses formulées !

* En Belgique, le Gender mainstreaming (ou intégration du genre en français) est défini par l’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes [4] comme étant « une stratégie [transvesale] qui a pour ambition de renforcer l’égalité des femmes et des hommes dans la société, en veillant à ce que toutes les étapes des processus politiques — élaboration, mise en œuvre, suivi et évaluation — tiennent compte de la dimension de genre, c’est-à-dire des différences socio-économiques qui existent entre les hommes et les femmes » .

[1] En raison de divers phénomènes tels que l’écart salarial et les temps partiels contraints.

[2] Grille d’analyse et de lecture qui permet de penser des situations spécifiques d’oppression comme étant l’imbrication et l’interaction de plusieurs discriminations, non pensables séparément.

[3]  Traité international sur le réchauffement climatique adopté en 2015.

[4] Institution publique fédérale qui a pour mission, en Belgique, de garantir et de promouvoir l’égalité des femmes et des hommes à travers un cadre légal adapté, des structures, des stratégies, des instruments et des actions appropriés.

Auteur
AuteurFlorence Vierendeel