Privé·e·s de la possibilité d’exercer leurs activités durant la crise sanitaire, les artistes sont à bout de souffle. Et le «statut» qui leur est accordé en Belgique est loin d’être en mesure de pallier leurs conditions d’existence précaires [1]. Après des années d’ignorance politique, cette situation alarmante semble enfin préoccuper nos dirigeant·e·s, qui leur promettent, en 2021, une réforme… dont les enjeux sont multiples !

Un casse-tête administratif pour un statut qui, en réalité, n’existe pas !

En Belgique, lorsque vous êtes en activité professionnelle, trois statuts sociaux sont prévus par la loi : salarié·e, indépendant·e ou fonctionnaire. Ceux-ci ouvrent des droits en termes de Sécurité sociale. Les artistes et les technicien·ne·s du spectacle tombent majoritairement sous la première catégorie . Mais leurs profils sont tout à fait atypiques. « Conditions de travail précaires, revenus variables, multiplicité et coexistence de leurs activités ou encore absence d’un lien de subordination avec la·le commanditaire » [1] , celles·ceux-ci sont très rarement engagé·e·s sous contrat de travail fixe . Beaucoup vacillent entre des phases de travail rémunérées pour des missions spécifiques et des phases de création, parfois intrinsèques à leurs métiers, sans contrats. C’est ce qu’on appelle l’intermittence. Comme tout le monde, en l’absence de travail, l’artiste peut « bénéficier d’une assurance chômage s’il en remplit les conditions d’admission (avoir presté suffisamment de temps comme salarié·e sur une période de référence déterminée) et d’indemnisation (ce qui implique le respect de plusieurs obligations relatives à la disponibilité sur le marché de l’emploi, la résidence sur le territoire, etc.) » . Il s’agit bien d’une protection qui concerne l’ensemble des salarié·e·s, qui deviennent dès lors des demandeuses·eurs d’emploi. Et bien que quelques règles soient adaptées aux spécificités du secteur des activités artistiques [2], celles-ci, plutôt que de faciliter l’accès à ce droit, le complexifient.

À peu de chose près, l’artiste apparaît donc, juridiquement, comme un·e travailleuse·eur comme les autres… Sauf que, sous certaines conditions précises, comme le fait d’avoir travaillé 156 jours sur les 18 mois précédant la demande, elle·il a droit à un gel de la dégressivité du chômage qui, normalement, est d’application après la première année . C’est ce qu’on a tendance à appeler, à tort, le « statut d’artiste ».

Les femmes artistes : la double peine ?

Sans surprise, les femmes artistes, et notamment les femmes racisées, migrantes et/ou présentant un handicap, sont plus sévèrement touchées par ce régime inadéquat. Celui-ci s’ajoute en effet à la longue liste des discriminations qui jalonnent leur parcours professionnel . Invisibilisées pendant des siècles, leur reconnaissance tant sociale que finan cière est toujours loin d’être garantie. Victimes de la ségrégation verticale, elles n’accèdent que rarement à des postes hiérarchiques . Mais c’est aussi la ségrégation horizontale, accompagnée de toute une série de stéréotypes sexistes, qui les guette dès leurs premiers pas dans le monde des arts et de la culture. En témoigne, par exemple, leur surreprésentation dans les secteurs liés à l’enfance et à la jeunesse . Par ailleurs, cette absence de statut renforce leur précarisation déjà accrue, puisqu’en tant que femme, d’autres inégalités se superposent (accès au logement, aux soins, prise en charge des enfants, etc.). Une lecture genrée et intersectionnelle est donc de mise pour offrir, tel que le revendique le collectif féministe F(s), « une protection sociale [aux artistes] établie sur la base la plus inclusive possible ».

Une réforme à venir ? Plus qu’urgent !

Les critiques face au système actuel sont multiples et légitimes. Plusieurs enquêtes récoltant la parole des personnes concernées convergent. Les conditions d’accès au chômage sont trop contraignantes (tant au niveau du nombre de jours prestés que des plafonds salariaux) et ne sont pas appropriées à tous les secteurs, les phases de création sont passées sous silence et ne font l’objet d’aucune rémunération en tant que telles, les mesures d’incitation à la recherche d’un emploi sont maintenues sous chômage, ce qui revient à un déni même de leurs activités

Un chantier important attend donc le gouvernement fédéral, notamment le ministre de l’Emploi et du Travail Pierre-Yves Dermagne (PS), ainsi que les communautés, compétentes en matière de culture. Une conférence interministérielle à ce sujet a donc été mise sur pied tandis qu’une grande consultation mêlant les différents secteurs, les représentant·e·s politiques, les administrations et une série d’expert·e·s a été organisée . Aujourd’hui, de nombreuses pistes existent, à commencer par une revalorisation financière globale de ces métiers. Il est, somme toute, grand temps de valoriser les artistes à leur juste valeur, une valeur qui s’avère tout à fait essentielle.

[1] L’article 1 bis de la loi du 27 juin 1969 concernant la sécurité sociale des travailleuses·eurs prévoit que « les artistes qui ne sont
pas engagés par contrat de travail, mais qui travaillent néanmoins dans des conditions socio-économiques similaires à celles des travailleurs salariés (par exemple, certains comédiens jouant « au cachet ») » sont assimilé·e·s aux salarié·e·s.

[2] Telles que définies par l’article 27 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage. La loi ne définit par contre pas l’artiste en tant que tel.

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AuteurFlorence Vierendeel