Le « syndrome méditerranéen » représente un ensemble d’idées reçues au sein du corps médical, qui suggèrent que certains patient·e·s originaires supposément des pays avoisinant la Méditerranée, exagèreraient les symptômes dont elles·ils sont victimes. S’il ne donne pas de toux carabinée ou de fièvre purulente, ce stéréotype culturel fait pourtant de nombreuses victimes… Explications.

Décembre 2017, Naomi Musenga souffre de violentes douleurs au niveau du ventre. Dans un état de grande détresse, elle contacte les services d’urgence. Violemment décrédibilisée et moquée par les opératrices téléphonique du SAMU, qui considèrent qu’elle exagère ses symptômes, la jeune femme appellera finalement SOS médecins… mais il est déjà trop tard. Naomi meurt d’une défaillance multi viscérale deux heures et demie après avoir contacté le SAMU. Si cette affaire a particulièrement fait parler d’elle, elle n’est hélas pas le seul cas illustrant une mauvaise prise en charge médi cale des personnes racisées [1]. Suite à cette affaire, de nombreuses·eux patient·e·s se sont exprimé·e·s sur les réseaux sociaux à travers les hashtags #MédecineRaciste et #BalanceTonMédecin. Par exemple, celui de cette femme, se plaignant de douleurs persistantes après son cancer et qui finira par mourir d’une tumeur au cerveau parce que les médecins croyaient qu’elle simulait ses symptômes pour ne pas retourner travailler. Mais comment peut-on arriver à ce genre de comportement ?

Aux origines

Dans chaque société, il existe ce que l’on appelle des représentations sociales. Celles-ci, souvent intériorisées de façon inconsciente, sont « composées de divers éléments issus de connaissances scientifiques ; de sens commun, de normes valeurs et croyances ». Elles permettent la construction d’une réalité commune, sont véhiculées de diverses façons (médias, diverses influences sociales telles que la famille, les personnalités publiques, les proches, etc.) et ont un impact sur notre façon d’agir et d’être. Cette méthode pour « classifier » le monde peut amener à des « représentations caricaturales, figées, véhiculées sans réflexion […] construites par deux mécanismes […] la simplification […] et la généralisation ». C’est ce qu’on appelle les stéréotypes. Dans le monde professionnel, et particulièrement dans le milieu médical, la catégorisation est monnaie courante et sert à « faciliter », par certains aspects, le travail du personnel. Les patient·e·s vont être classé·e·s en fonction de différents critères tels que leur âge, leur sexe, leur classe sociale… et leurs origines supposées ou réelles (au travers de leur nom, leur lieu de vie, leur couleur de peau). Le problème est que ces méthodes de catégorisation ne sont pas forcément neutres. Celles-ci, associées à des représentations sociales préalables stéréotypées mais aussi à un héritage colonial et racialiste [2] , ont tendance à réduire les patient·e·s à un groupe prédéfini. Cela amène certain·e·s spécialistes à avoir des préjugés racistes et à aborder les symptômes et les plaintes des patient·e·s sous une perspective culturaliste. Le culturalisme est un courant de pensée regroupant des théories qui attribuent des comportements spécifiques voire des traits de caractères à des groupes ethniques précis.

Un exemple très concret de ce culturalisme est justement le « syndrome méditerranéen ». Si le terme n’est heureusement pas enseigné dans les cursus, il est abordé de façon informelle lors de consultations ou de stages . Suite à l’affaire Musenga, un collectif d’associations a réalisé une enquête illustrant les différentes discriminations véhiculées par certain·e·s médecins. On constate, pour les personnes portant un nom à consonance africaine, arabe ou berbère, une surreprésentation des propos discriminants, des gestes brusques pour les personnes dites « non-blanches » voire même un refus de prise en charge pour les personnes ayant un nom à consonance étrangère ou un accent [3].

Une médecine raciste et marchandisée

Comme l’explique la chaîne YouTube Les dessous de la santé, dans un milieu professionnel particulièrement engorgé et répondant à des logiques de rentabilité financière, la prise en charge personnalisée semble de plus en plus complexe. Les discriminations à l’encontre des patient·e·s sont indéniables et semblent se renforcer lorsque l’on présente certaines caractéristiques telles que le genre, le poids ou la couleur de peau . Le refinancement structurel des milieux médicaux peut donc être une hypothèse envisagée pour favoriser une approche plus humaine et individualisée. Néanmoins, cette évolution du monde médical ne doit pas tout excuser. Une importante remise en question du secteur est indispensable. Comme dans de nombreux domaines, la médecine est le reflet des inégalités persistantes dans notre société. Pensée majoritairement par et pour des hommes blancs, valides et cisgenres [4], l’approche médicale n’est pas toujours des plus inclusives. Comme l’explique la militante féministe Rokhaya Diallo : « Le médecin est un être social qui est exposé aux préjugés. Mais il y a une vraie difficulté à reconnaître que la fonction médicale est aussi empreinte de racisme et de sexisme comme le reste de la société. En raison du serment d’Hippocrate[5], on a en effet tendance à penser que le médecin n’est pas imprégné de ce type de préjugés ». Cette sensibilisation au racisme et au sexisme doit être étudiée le plus tôt possible dans les cursus universitaires et de façon transversale car, comme l’explique Clara de Bort, directrice d’un hôpital français : « il y a encore trop peu de formation aux discriminations et aux stéréotypes dans les facs de médecine » tout en rappelant que « La bienveillance n’est pas une option » dans la formation médicale . Enfin, plutôt que de parler de syndrome méditerranéen, parlons de culturalisme ou de racisme institutionnel… chassez ce syndrome que je ne saurais voir !

[1] Qui souffre de façon continue et/ou systémique du racisme, sur des plans institutionnels, économiques, interpersonnels et sexuels, entre autres plans.

[2] Le racialisme est le fait d’attribuer des caractéristiques pseudo-scientifique à une personne en fonction de sa race.

[3] . À noter que d’autres discriminations telles que la grossophobie ont été évoquées dans cette enquête. LORIAUX Aude, « Refus de soin, grossophobie, racisme: le cas de Naomi Musenga est loin d’être isolé ».

[4] Personne dont le genre (identitaire) correspond à celui qu’on lui a attribué à la naissance. Note: Se dit d’une personne qui n’est pas transgenre.

[5] Il s’agit d’un code déontologique dans la profession médicale.

Autrice
AutriceElise Voillot