En Belgique, le débat concernant le port de signes convictionnels, entendons ici le voile islamique [1] , au sein des administrations publiques a été relancé fin août 2020, lorsque la commune bruxelloise de Molenbeek a voté favorablement cette motion. Cependant, la controverse autour de cette pratique anime notre société, dont les mouvements féministes, depuis des décennies.

L’islam et le port du voile

L’islam, en tant que religion, est loin d’être homogène. Plusieurs courants coexistent, les 2 principaux étant le sunnisme et le chiisme, eux-mêmes divisés en plusieurs branches. Par ailleurs, on estime que seul·e un·e musulman·e sur cinq vit dans un pays de langue arabe. Quant aux musulman·e·s vivant en Belgique, leurs pratiques religieuses sont variables. Le Coran, texte fondateur de l’islam, est donc soumis à de nombreuses interprétations. Toutefois, 5 piliers semblent aujourd’hui constituer, de manière générale, les bases de la religion musulmane : la profession de foi, l’aumône, le jeûne, la prière et le pèlerinage à la Mecque. Le port du voile dispose, quant à lui, d’un statut ambigu. Deux sourates [2] recommandent aux femmes de couvrir « leurs parures » en utilisant leurs voiles. Historiquement, il est établi que ces textes s’adressaient aux femmes libres, afin de les distinguer des femmes esclaves. Cette pratique était donc avant tout sociale et ne s’est transformée en « obligation religieuse » que par la suite. Ainsi, pour l’islamologue Jacqueline Chabbi, la lecture du Coran doit nécessairement s’inscrire dans son contexte géographique, sociologique et anthropologique. Symbole identitaire, acte de foi ou encore coutume sociale, les significations attribuées au port du voile par les femmes qui l’arborent aujourd’hui sont multiples.

La laïcité et le port du voile

Si la résolution adoptée par la commune de Molenbeek suscite autant la polémique, c’est parce qu’elle vient questionner le principe de laïcité sur lequel repose, en partie, notre société démocratique. Ce concept consacre la séparation entre l’État, c’est-à-dire la société civile, et les organisations religieuses et garantit ainsi la liberté de culte et la liberté de conscience. En d’autres termes, la laïcité offre à chacun·e la liberté de croire ou non, sans que personne n’y soit contraint·e. L’idée sous-tendue est qu’en étant impartial, l’État vise à l’émancipation, le respect et l’égalité des citoyen·ne·s dans une société solidaire. C’est pourquoi, sur base de ce principe, toute personne occupant une fonction dans l’administration, et par conséquent représentant l’État, se doit d’afficher et d’adopter une posture neutre quant à ses potentielles convictions. Comme le rappelle la présidente du Centre d’Action Laïque (CAL), « en Belgique, le port du voile, comme des autres signes religieux, est actuellement autorisé partout. Cette autorisation ne connaît que deux limites, très circonstanciées : la fonction publique et partiellement les écoles ». Cependant, la Belgique ne possède pas de législation nationale fixant la neutralité des agents de manière unilatérale, ce qui laisse la porte ouverte aux prises de décisions au niveau local. Pour lutter contre les discriminations et favoriser l’emploi des femmes voilées, le conseil communal de Molenbeek s’est donc emparé de la question et a tranché en faveur d’une logique dite de « neutralité inclusive » [3], déjà adoptée, par exemple, chez Actiris.

Le féminisme et le port du voile

Au sein des mouvements féministes, les débats témoignent également d’un clivage parfois marqué, voire hostile. Schématiquement, deux visions tendent à s’opposer, ce qui n’exclut pas les prises de position plus nuancées. La première défend une conception du voile comme étant un symbole univoque de l’oppression, du contrôle et de la domination exercés par l’islam sur les femmes musulmanes. Celui-ci, en établissant une séparation et une hiérarchie entre les sexes où les femmes sont considérées comme inférieures, est incompatible avec des valeurs d’égalité et d’émancipation. Dès lors, les femmes qui le portent ne le font jamais sur base d’un choix « libre et consenti » puisqu’elles sont, dans tous les cas, soumises à des pressions sociales et religieuses. À l’inverse, d’autres féministes s’attachent au concept de liberté individuelle et à la liberté à disposer de son corps, tout du moins dans un régime démocratique. Comme l’explique la féministe et essayiste musulmane Asma Lamrabet, aucune femme ne doit être contrainte de se voiler ou de se dévoiler, et, de ce choix, ne doit découler aucune conséquence discriminatoire. Un constat semble néanmoins s’imposer : les paroles et les vécus des femmes musulmanes (portant, ou non, le voile) sont souvent oublié·e·s et/ou invisibilisé·e·s dans l’espace public. Or, ces femmes sont porteuses d’expériences nécessaires à la compréhension des enjeux liés à cette question. Leur expertise mérite donc d’être intégrée aux réflexions, ce qui requiert une approche leur garantissant un espace d’expression. L’heure est dès lors au dialogue, plutôt qu’à l’affrontement.

[1] Dans cet article, le terme « voile » se réfère au hijâb, tel qu’employé généralement « pour parler du voile islamique le plus répandu, couvrant la tête et les cheveux, mais pas le visage ».

[2] Ensemble de versets du Coran.

[3] Principe selon lequel l’administration laisse s’exprimer la pluralité des appartenances convictionnelles, tant que cela n’interfère pas avec la neutralité de traitement.

Auteur
AuteurJean-Michel Vandergoten
Chargé de communication Soralia Bruxelles