Depuis quelques années, de nombreux projets et initiatives d’éducation aux médias en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) abordent la question de la désinformation et des fake news. Face au défi que représente cet important enjeu de société, différents écueils persistent. Et certaines idées communes sont encore à déconstruire, ou du moins à nuancer.
De façon générique, l’éducation aux médias se donne pour dessein de rendre chaque citoyen·ne active·tif, autonome et critique envers tout document ou dispositif médiatique dont elle·il est destinataire ou usagère·er . En Fédération Wallonie-Bruxelles, de nombreux projets éducatifs incarnent cette philosophie et témoignent ainsi de l’intérêt grandissant qui est porté à ces questions (citons parmi d’autres le programme On n’a que l’info qu’on se donne du Mundaneum, L’outil ultime de la critique de l’info d’Action Médias Jeunes, Critiquer l’info – 5 approches pour une éducation aux médias de Média Animation, l’opération Journalistes en classe de l’Association des Journalistes professionnels…). Au-delà de la visée particulière que toutes ces initiatives soutiennent, elles ont un trait commun : c’est de montrer à quel point travailler le regard critique des usagères·ers des médias est complexe et qu’il n’y a pas une façon unique (ni une formule « clés en main », toute faite et définitive) pour rendre le public autonome et critique. En tant qu’opérateur de formations et d’initiatives sur le sujet, il nous paraît intéressant de pointer, sur la problématique des fake news, un certain nombre d’idées reçues et/ou de conceptions qui méritent d’être relativisées et nuancées. Petit tour d’horizon de trois d’entre elles :
Le fact-checking : voie royale contre la désinfo ?
En télévision, sur YouTube comme au sein de nombreux titres de presse et web, se sont multipliés ces dernières années des espaces pleinement dédiés au fact-checking. Si ce travail de vérification des faits est fondamental, il n’en demeure pas moins que, pris dans une perspective sociétale large, il se trouve confronté à certaines limites : touche-t-il en effet réellement les publics les plus concernés par la désinformation ? Et même lorsqu’il les touche en termes d’audience, permet-il véritablement de les convaincre du caractère factice de ces infos ? En réalité, la réponse à ces questions tend le plus souvent à être négative et ce, pour de multiples raisons : la méfiance (devenue chez certain·e·s quasi-systématique) vis-à-vis des médias traditionnels, la prégnance de croyances (politiques, idéologiques, morales…) qui rendent « commodes » l’adhésion à certaines fake news (biais de confirmation), l’« effet anxiolytique » qu’elles peuvent avoir dans certains cas, la complexité voire l’impossibilité qu’il y a parfois à démontrer que telle ou telle info est fausse, ou que simplement la vérité se loge (comme souvent) dans des zones grises entre le « vrai » et le « faux »… Ainsi, si investiguer sur la factualité d’une information peut naturellement être considéré comme « la base » nécessaire à toute démarche critique, développer et favoriser chez chacun·e cette démarche passe indéniablement par d’autres voies de questionnements : celle de l’influence de nos biais cognitifs, celle de l’analyse plus globale du « marché informationnel » dans lequel nous évoluons, celle des enjeux de socialité qui se nouent inévitablement dans tout partage d’informations (notamment sur les réseaux sociaux)… Et parmi l’ensemble de ces questionnements, un enjeu central : celui de la restauration d’une confiance minimale dans les médias d’information traditionnels, confiance qui n’exclut en rien le regard critique qui peut leur être porté, mais sans laquelle rien ne peut être fait…
Fake news, algorithmes et bulles de filtres : l’alchimie forcément fatale ?
Il va sans dire que lutter contre la circulation des fake news et se questionner de façon critique sur le fonctionnement des algorithmes et des bulles de filtres est nécessaire. Cependant, il est aussi à noter que lorsque l’on se penche sur leurs impacts réels, ceux-ci sont sans doute à relativiser. Comme l’explique le sociologue Dominique Cardon : « que ce soit à propos des ’’bulles de filtres’’ , de la personnalisation publicitaire ou des “effets” des fake news, on ne cesse de supposer que les informations circulant au sein des médias numériques influencent fortement ceux qui s’y exposent. Rien ne permet de le dire et il est plus que probable que la réalité des réceptions numériques est tout sauf “forte” » . Pour ce qui est ainsi des fake news, il rappelle notamment que dans le cadre des pratiques numériques, on peut aussi les partager « sans penser pour autant qu’elles soient vraies, parce qu’on veut les dénoncer, parce que “je sais bien, mais quand même…”, parce que la mise en conversation d’informations surprenantes, choquantes ou polémiques autorise toutes formes d’usages sociaux et apporte des gratifications multiples (faire rire, provoquer, animer le débat…) » . Voir que telle « intox » a été vue/partagée x milliers de fois ne veut donc en aucun cas dire qu’elle a été perçue et intégrée comme vraie par ce même nombre d’internautes, probablement pas, d’ailleurs… En ce qui concerne l’influence des bulles de filtres, là-aussi, si le sujet prête à débats, certaines études en sciences sociales s’étant penchées sur la question relèvent que leur influence serait en réalité moindre que ce que l’on pourrait penser, et que là où on y verrait un enfermement « carcéral » dans nos opinions préalables, la réalité est (là aussi) sans doute plus complexe…
Les jeunes : premières victimes de la désinformation ?
L’ensemble des projets d’éducation aux médias précédemment cités s’adressent essentiellement à un public jeune (en contexte scolaire et associatif/jeunesse). C’est donc en quelque sorte et principalement à des citoyen·ne·s « en devenir » qu’ils se destinent. Or, s’il est certain que circulent nombre de fausses nouvelles (en tout genre), on sait aussi que celles-ci ne sont en réalité et très majoritairement pas le fait des jeunes mais bien de citoyen·ne·s adultes. Si personne n’est jamais prémunie contre la désinformation, les adultes en particulier ne sont pas ou peu formé·e·s à la critique de l’information. L’enjeu sociétal qui se dessine face à ce constat est de questionner la place et les espaces réservés à une éducation de ce type pour ce public… Face aux 3 réflexions esquissées ici, un défi d’envergure, donc : tenter de mobiliser l’ensemble des citoyen·ne·s dans un processus critique sain et un maximum éclairé sur les phénomènes complexes de désinformation.