De l’insulte sexiste au féminicide, le quotidien des femmes et des minorités de genre reste encore impacté en 2023 par de nombreuses violences : sexuelles, physiques, symboliques, psychologiques. Elles sont nombreuses et revêtent des formes plurielles, à tel point qu’elles s’infiltrent dans toutes les sphères de la vie et tout au long de celle-ci. Les luttes féministes restent donc indispensables. Quelles solutions s’offrent à nous pour nous défendre? Comment pouvons-nous collectivement riposter, et sous quelles formes?

Une autodéfense féministe

Un outil semble particulièrement adapté pour contrer ce continuum des violences [1] : l’autodéfense féministe. L’autodéfense est habituellement associée aux techniques de défense physique en cas d’attaque dans l’espace public tandis qu’une approche féministe de l’autodéfense déconstruit le cliché de l’agression survenue dans une ruelle sombre par un inconnu. En réalité,  91% des agressions sont commises par des personnes connues des victimes !

L’espace public n’est donc pas le lieu privilégié des violences. Statistiquement, nous sommes bien plus exposé·e·s aux violences quotidiennes dans nos espaces privés et professionnels. Or, il est difficile de mettre en pratique des techniques d’art martial dans ces contextes. C’est pourquoi d’autres stratégies doivent être imaginées et valorisées. En ce sens, l’approche globale et préventive de l’autodéfense féministe est une solution puissante. C’est une nouvelle paire de lunettes à apposer sur son environnement, les autres et soi-même. Se défendre dans une perspective féministe, c’est désapprendre sa peur et savoir faire la différence entre vulnérabilité et faiblesse. C’est réclamer sa place et prendre conscience de sa valeur et de sa capacité d’agir.

L’autodéfense féministe, c’est donc moins une pratique qu’une éthique ! Se défendre commence par voir le contexte social et les systèmes de domination qui autorisent, légitiment et produisent les violences. Détecter et comprendre les rapports de force qui sous-tendent notre univers social, comme la socialisation genrée [2] qui alimente les stéréotypes et nous éduque à adopter certains comportements dès le plus jeune âge. Sans oublier les autres systèmes de pouvoir — racisme, homophobie, validisme, grossophobie, transphobie, entre autres — qui interagissent avec le sexisme et légitiment les micro-agressions comme autant de rappels quotidiens de notre subordination.

Toutes les formes de résistance sont légitimes

L’autodéfense féministe prend en compte les spécificités de chacun·e. Ce qui veut dire que tout le monde peut se défendre selon ses ressources disponibles. On peut d’abord commencer à agir sur la façon dont on se perçoit : la violence est aussi celle qu’on s’inflige à soi-même, l’oppression qu’on intériorise et retourne contre soi : minimiser notre voix, utiliser l’autodérision, etc. Dans ces cas-là, l’autodéfense est aussi mentale, émotionnelle. S’exprimer, être en colère, regarder les autres dans les yeux, parler fort, bouger son corps, apprendre à crier, à dire non, verbaliser ses limites… Toutes ces résistances en apparence « ordinaires » nous préparent à prendre de la place et impactent la façon dont on se présente aux autres et à soi-même. Nous avons le droit de faire du bruit, d’être visibles, d’occuper l’espace, de ne plus avoir peur de déranger. Ce sont tout autant de stratégies efficaces qui, à terme, permettent de prévenir les violences basées sur le genre.

Rien sans le collectif

Ces techniques sont notamment enseignées lors de stages d’autodéfense féministe. S’accompagner d’autres personnes concernées et de formatrices spécialisées permet d’intégrer les savoir-faire de l’autodéfense féministe. En Belgique francophone, l’ASBL Garance propose des formations de deux jours à destination des femmes et des minorités de genre. Des formations sont notamment adaptées aux réalités d’existence de chacun·e : handicap, racisme, LGBTQIA+, etc. À Liège, le CVFE organise également ses propres ateliers. La prévention est avant tout un enjeu collectif qui se situe bien au-delà de la répartie individuelle. Il est aussi possible de se préparer en groupe sur le terrain, directement dans l’espace urbain. Par exemple La Piraterie, masse critique queer et féministe à Liège, est un mouvement autogéré de cyclistes qui se réunit en mixité choisie pour réclamer un usage safe de la rue pour les femmes et les minorités de genre.

Pas de prescription aux effets de la violence

N’oublions pas : il n’y a pas de moment parfait et idéal pour se défendre. Selon Marie Dasylva, il n’y a pas de prescription au trauma. La défense ne doit pas obligatoirement être une réaction immédiate. En prévention, sur le fait accompli, plus tard, ou même jamais, l’autodéfense ne devrait jamais devenir une nouvelle injonction !

[1] Ce concept élaboré par Liz Kelly met en évidence la continuité des actes de violences sexuelles et sexistes, du plus « ordinaire » au « plus grave ».

[2] L’éducation et les instances sociétales éduquent de manière très binaire et schématique les hommes à la force et les femmes à la passivité.

AutriceJulie Jansen