Les Entreprises de Travail Adapté (ETA) permettent aux personnes en situation de handicap d’exercer un emploi digne, rémunéré et dans des secteurs d’activité variés. Si les places disponibles sont inférieures à la demande, on y observe également un pourcentage de femmes engagées très faible. Focus.
En Belgique, parmi toutes les personnes en situation de handicap âgées de 15 à 64 ans , seules 24 % ont un emploi, tous secteurs confondus. Même s’il existe peu de données sur le taux d’emploi des femmes en situation de handicap, nous savons que 62 % d’entre elles travaillent en temps partiel lorsque celles-ci trouvent un emploi (contre 18 % des hommes en situation de handicap). Dans le secteur plus particulier des Entreprises de Travail Adapté (ETA), les chiffres officiels nous indiquent que la disparité entre les hommes et les femmes est conséquente : 30 % de femmes travaillent dans les ETA wallonnes et 35 % de femmes dans les ETA bruxelloises.
Un chiffre qui trouve sa source dès la petite enfance
Les facteurs socio-économiques sont déterminants dès le parcours scolaire. La population qui fréquente les ETA varie aussi en fonction des éléments socio-économiques. Par ailleurs, les critères d’entrée en ETA sont notamment constitués du degré d’étude ou d’expériences professionnelles passées. Bon nombre d’ETA engagent du personnel pour de la manutention, des tâches catégorisées comme « masculines » et qui correspondent davantage à des parcours de vie où il y a un maigre parcours scolaire, alors que les femmes poursuivent davantage leurs études que les hommes, ce qui les exclut de facto des ETA. Enfin, les ETA ont été créées dans les années 60 (bien que d’autres structures de ce type existaient antérieurement), se concentrant à l’époque sur les métiers dits « masculins »… Une situation qui n’a que trop peu évolué depuis.
En outre, au sein de leur environnement familial, les femmes en situation de handicap sont jugées sur leurs choix de vie. Ainsi, certaines familles préfèrent les femmes en situation de handicap « à la maison ». D’autres personnes donnent des conseils censés être « bienveillants » aux femmes en situation de handicap, mais qui revêtent pourtant un aspect bien validiste : « il vaut mieux que tu ne travailles pas », « c’est trop dangereux pour toi, on doit te protéger », « tu dois déjà t’occuper de ta maison/ de tes parents, ta situation est bien comme ça ». Les aspirations des femmes en situation de handicap sont donc gommées, tout comme leur droit à s’autodéterminer, quel que soit le handicap rencontré. La faible proportion de femmes en ETA est donc bien le fruit d’une société validiste et sexiste.
Et conforté par les ETA ?
La survie du modèle socio-économique des ETA relève d’un jeu d’équilibriste : les enjeux économiques (compétitivité accrue, concurrence, diminution des subventions, automatisation), sociaux (diversité des handicaps, professionnalisation, etc.) et éthiques (maintien de postes de travail en pure perte pour préserver l’emploi en cas de handicap lourd, « tri » des handicaps en fonction des postes de travail) se croisent en permanence. Ainsi, les enjeux économiques étant souvent plus importants à la survie des ETA [1] que les questions de diversité, la personne en situation de handicap a donc tendance à être appréhendée comme « une entité uniforme asexuée » dans certaines ETA — Quelques exemples : « J’engage en fonction des besoins de l’entreprise et certains jobs ne conviennent pas aux femmes », « Nous n’avons pas de poste qui pourrait convenir à une fille. Et puis ce serait très difficile pour une fille de s’intégrer dans un groupe de garçons ».
Par ailleurs, toutes les ETA ne sont pas réticentes à engager des femmes, mais elles attendent que celles-ci se présentent spontanément, sans mettre en place des actions spécifiques ni un environnement sécurisé et favorable pour les inciter à postuler. Il s’agit bien d’un système qui entretient une vision stéréotypée des femmes en situation de handicap et qui ne favorise pas la prise de décision et leur autonomie dans le monde du travail.
Emploi ordinaire ou ETA… Même combat ?
La nature de l’activité de l’ETA impacte fortement le taux d’engagement de femmes : dans une activité de repassage, il y a 100 % de femmes. Dans une activité autour de palettes en bois, il y a 30 % de femmes et 70 % d’hommes… un taux similaire à une entreprise de ce secteur dans le circuit économique dit « classique ». La question dépasse donc les ETA et met en évidence la ségrégation qui est encore bien présente entre les métiers au sein de notre société, rappelant les enjeux d’éducation genrée dès la naissance, de choix des études, de choix de carrière, de la politique RH, etc. Pourtant, les ETA qui ont opté pour une gestion consciente de la diversité et qui ont mis en place les moyens requis en tirent une plus-value évidente : richesse des échanges interhumains, plus grand pool de talents, plus de flexibilité, plus de créativité, degré d’interaction avec le contexte socio-économique plus élevé. Dans ce type de culture d’entreprise, l’impact bénéfique de la bonne atmosphère sur la productivité et les résultats se fait sentir immédiatement. Ajoutons aussi l’enjeu d’une meilleure inclusion sociale et de la non-discrimination. Malheureusement, la proportion d’ETA y portant une attention particulière était assez réduite par rapport à l’ensemble des organisations visitées. Les femmes en situation de handicap souffrent, toujours aujourd’hui, d’une double peine.
Cet article s’inspire de l’étude ASPH « Les entreprises de travail adapté : un secteur en constante tension ».
[1] BEAUPAIN Gitte et BELLEFLAMME Charlotte, Le défi du genre pour les Entreprises de Travail Adapté et les Centres de Formation Professionnelle, Co-édition de la Fondation Roi Baudoin, AWIPH et PHARE, 2011, p. 45.