Hermione et Sophie se sont rencontrées au sein du mouvement écolo Extinction Rebellion (XR). Ce collectif, né en Angleterre, connu pour ses actions non violentes dans l’espace public, dispose d’un important réseau en Belgique. Alors qu’Hermione est encore active dans la locale de Saint-Gilles, Sophie, ancienne coordinatrice, a laissé sa place sans pour autant trop s’éloigner de la militance. Ensemble, nous avons discuté d’XR, mais aussi de médiatisation des luttes écolos et de convergence des luttes.
Comment vous mobilisez-vous au sein d’XR ?
S. : On a trois revendications : dire la vérité, agir et on souhaite la mise en place d’assemblées citoyennes. On n’est pas le nouveau gouvernement ni un groupe d’expert∙e∙s, mais on veut une vraie démocratie pour proposer de nouvelles lois sur le climat. Tout projet qui rentre dans l’une de ces trois valeurs peut être intégré à Extinction Rebellion. Tout le monde peut rejoindre le mouvement !
H. : Il y a une grande diversité d’actions, un champ des possibles impressionnant. Ça peut convenir à plein de gens. Ce cadre-là permet de naviguer d’actions sans risques à des mobilisations plus dangereuses. Le fonctionnement en groupes locaux avec une entité nationale permet de créer des modèles reproductibles. On entend parler d’une action menée dans une locale et du coup on va la faire rejaillir ailleurs.
Comment vivez-vous votre engagement au quotidien ?
H. : Quand j’ai commencé à militer, je me sentais comme obligée d’aborder le sujet avec tout le monde, mais ça me faisait souffrir d’être toujours confrontée à des oppositions. J’ai moins tendance aujourd’hui à essayer de convaincre tout le monde. J’essaie aussi de montrer d’autres réalités et imaginaires à mon entourage plutôt que d’être en colère tout le temps.
S. : J’ai du mal à croire que nos actions peuvent avoir de grosses conséquences sur le monde. Je crois plus au changement interne, à la création d’une petite société au travers d’XR, au fait de donner du pouvoir aux gens, leur offrir un espace créatif pour tenter des choses, pour réfléchir collectivement.
Je me questionne beaucoup sur notre efficacité. Il y a tellement d’autres combats et d’injustice qu’il est parfois difficile de trouver sa place. Je constate quand même que ce sont souvent les mêmes personnes que l’on retrouve en manif climat, en soutien aux réfugiés, contre les violences policières…L’ouverture à la militance nous ouvre à plus de luttes encore.
H. : C’est clair que ça t’ouvre à d’autres luttes, mais ça décuple parfois le sentiment d’impuissance. J’ai envie d’agir et d’avoir des choses à dire sur tous ces sujets-là, mais je me sens toute petite, perdue dans un monde malade… c’est à la fois très positif et très oppressant.
Le terme d’écoterrorisme se banalise de plus en plus dans les médias et criminalise la militance. Comment vous armez-vous face à ces propos ?
S. : La non-violence fait partie des valeurs de XR. L’écoterrorisme est un terme surtout utilisé par les pouvoirs en place pour empêcher tout changement et discréditer les mouvements. Où se trouve le terrorisme ? La destruction de la vie, de l’humain ? Nous on se bat pour cette survie de la nature. Les terroristes, ce sont finalement celles et ceux qui s’opposent à la terre.
H. : On fait aussi face à des luttes internes au sein des mouvements écolos par rapport à la radicalité vis-à-vis de la police. Certain·e·s membres des mouvements écolos ne cautionnent pas les actions menées par les manifestant·e·s. Je n’ai pas encore de vrais arguments pour soutenir la réponse radicale des manifestant·e·s même si je la soutiens. Je pense que la violence n’est pas de notre côté.
En quoi la désobéissance civile [1] est-elle légitime face aux questions écologiques ? Est-ce l’unique façon de se faire entendre aujourd’hui face à l’urgence climatique ?
S. : La médiatisation permet de donner de la visibilisation à nos actions. Lorsque l’on fait de la sensibilisation, on veut que notre message soit entendu. Mais cela entretient des rapports un peu spéciaux avec les médias. Il y a parfois des dérives. On mène parfois des actions calmes et les journalistes s’en vont. On a alors une pression à mener des actions qui montent en tension pour garder les journalistes, pour que notre action ne soit pas invisibilisée. On a déjà dénoncé le fait que la presse ne s’empare pas plus des questions climatiques, que l’on doit réaliser une action sensationnaliste pour que la presse s’y intéresse.
H. : Je pense que la désobéissance civile n’est pas le seul mode d’action pour se faire entendre et faire bouger les choses. Il y a des actions qui se passent en ce moment en Europe contre les SUV, où des militant·e·s dégonflent des pneus. Ça permet de visibiliser le sujet dans les médias puis à d’autres ASBL de reprendre le sujet et de faire par exemple du lobbying politique, plus classique. Les deux modes d’action sont hyper complémentaires.
S. : À XR, on ne défend pas uniquement la désobéissance civile, mais tout un panel d’actions comme les pétitions, les marches, les plaidoyers. On travaille avec plein de groupes différents. Les mouvements des un·e·s vont soutenir ceux des autres pour aller dans une même direction.
Comment croiser les enjeux écologiques face aux autres défis sociétaux ?
S. : On a eu deux cercles au sein de XR avec une volonté de convergence des luttes. Le cercle féministe et queer qui a créé des actions autour de l’écoféminisme en non-mixité. Il y avait une volonté de mener un groupe d’action, mais aussi une volonté de travailler sur les inégalités en interne. Tous les mouvements sont sujets au sexisme. Il y a aussi la volonté de questionner la place des personnes racisées et le racisme au sein du mouvement au travers de groupes d’action. Quand il y a eu Black Lives Matter, on avait envie d’y être, mais on s’est questionnées sur notre place, car notre mouvement est particulièrement composé de blanc·he·s. On s’est donc mis en lien avec les organisatrices·teurs pour plutôt se positionner comme stewarts, pour laisser la place visible et la parole aux personnes concernées.
H. : Les gens que j’ai rencontrés dans XR m’ont fait prendre conscience de la nécessité de faire le lien entre les différents combats et d’avancer sur ces réflexions. Mais on n’est pas encore hyper au taquet sur les différences injustices sociales. Ce n’est pas parce qu’on se trouve au sein d’XR qu’il est plus facile de prendre conscience de ses privilèges et de changer. Les personnes conscientes ne trouvent pas toujours leur place pour aborder ces questions dans le mouvement et s’orientent parfois vers d’autres structures.
Comment, via des individus issus de milieux différents, parvenez-vous à créer un mouvement collectif ?
H. : Le fait d’avoir des gens qui se réunissent est l’occasion d’évoquer certains sujets. Ça peut être l’occasion de planter des graines, de faire évoluer les gens dans d’autres directions.
S. : Comme c’est un mouvement presque exclusivement bénévole touchant des enjeux de société, on va se mettre au service d’un projet commun. On prend conscience de l’énergie dépensée par chacun·e et on se remercie les un·e·s les autres. Même quand une personne semble faire une action seule, il y a toute une équipe derrière. On a très vite le sentiment de faire partie d’un collectif, car on agit mieux ensemble.
Pensez-vous que l’espoir est encore permis face aux urgences que vous défendez ?
S. : Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Il faut accepter qu’on puisse influencer ce qui arrive sans contrôler tout ce qui nous arrive.
H. : Les petites victoires sont importantes. Quand les luttes locales permettent un réel impact, ça fait du bien. Je me dis que si personne ne lutte, le problème serait bien pire. C’est important de ne pas être uniquement dans l’opposition constante. On doit aussi participer à un autre imaginaire pour un futur plus désirable, c’est ça qui peut nous rendre optimistes même si le contexte n’est pas toujours rassurant.
[1] La désobéissance civile est le fait de refuser publiquement d’obéir à une loi, une organisation, un pouvoir et de manifester ce refus de façon pacifiste.